La Saint-Jean, une fête rabelaisienne

Georges-Rémy Fortin

En ce lendemain de fête nationale du Québec, L’Agora vous invite à plonger dans le dossier François Rabelais. Pourquoi donc, demanderez-vous ? Eh bien, la Saint-Jean-Baptiste est un moment de réjouissance où les Québécois célèbrent leur culture avec exubérance. Il se trouve que cette vitalité débordante est éminemment rabelaisienne. Poursuivons un peu la célébration en jetant un regard pantagruélique sur la St-Jean.

Tout comme l’oeuvre de Rabelais, notre fête nationale perpétue la tradition médiévale du carnaval. Le carnaval est un moment de l’année où les conventions sociales et morales sont suspendues pour permettre une libre expression totale dans le jeu, l’humour et les arts populaires les plus divers. On retrouve cette belle folie dans le Pantagruel et le Gargantua, folie littéraire endiablée à côté de laquelle nos excès du 24 juin paraissent en fin de compte bien sages.


À la St-Jean, les enfants se font maquiller, les rues et les parcs deviennent le théâtre d’une célébration de la vie par de joyeuses parades et mille activités familiales. De même, la fête rabelaisienne est avant tout familiale. De Grandgousier, le grand-père, à Gargantua, le père, à Pantagruel, le fils, les romans de Rabelais s’articulent autour d’une filiation de rois débonnaires qui n’ont d’autre plaisir que de rassembler le plus grand nombre d’amis et de convives possibles dans un grand banquet littéraire.

Le 24 juin ressemble par moment à une excuse pour une consommation de bière immodérée. Aussi lamentables que soient les dérives éthyliques qui en résultent, celles-ci ne sont jamais aussi grotesques que les scènes de beuveries de Gargantua et de ses amis. Chez eux, tout est plus gros, plus ridicule, puisque ce sont des géants. Mais ces géants ont aussi le coeur sur la main, et n’hésitent jamais à se lancer dans d’extraordinaires aventures. Si nos beuveries montrent ce que nous avons de plus bas, nos parades de géants montrent la bonhommie sympathique de nos héros les plus altiers, Jeanne Mance, Louis-Joseph Papineau, René Lévesque.

Plus que tout, la fête nationale est un moment pour exprimer notre amour de la langue française, par d’innombrables spectacles où la quasi-totalité de nos chanteurs s’en donnent à coeur joie au quatre coins du Québec. Or notre français nord-américain a gardé un accent ancien très rabelaisien. Selon Antonine Maillet, cela n’est pas un hasard. Laissons la nous l’expliquer:

«[…] je m’en viens vous dire que Rabelais n’a pas vieilli depuis l’entrée en scène de Gargantua en 1534, pas moins que son fils Pantagruel parti en mer à la quête de la Dive Bouteille, l’urne gardienne de la connaissance et de la sagesse. En mettant le cap sur le nord- nord-ouest, avec au gouvernail de son navire nul autre que Jacques Jamet – alias Jacques Cartierndont la mère était une Jamet – le géant Pantagruel donc, en s’écartant un peu trop vers le nord, fut surpris soudain par une grêle de jelly beans, qui se nommaient à l’époque des dragées de couleurs et qui se mirent à pleuvoir sur la tête de son équipage. Une giboulée de paroles gelées durant le passage d’un navire précédent et qui, en fondant au temps doux, vinrent frapper les oreilles du géant. Une kyrielle de mots qui risquaient de se perdre... s’ils n’avaient été sauvés et transplantés par les héritiers de Grandgousier, Gargantua et Pantagruel, nos ancêtres qui s’établirent en Acadie et dans plusieurs régions du Québec : Charlevoix, l’Île-aux-Coudres, la Beauce, la Gaspésie… 1 »

Les géants rabelaisiens seraient donc littéralement nos ancêtres, du moins, ceux des Acadiens. Leur voix puissante résonne dans nos discours patriotiques. Les racines de la St-Jean-Baptiste, comme celles de la nation québécoise, plongent au plus profond de l’histoire. Des messes en plein air rappellent que la St-Jean est à l’origine une fête religieuse, célébration païenne du solstice d’été devenue célébration chrétienne du Fils de Dieu, lumière du monde.

Les Québécois farouchement laïques, passionnément anti-religieux sont peu nombreux à participer à ces messes, même si l’héritage catholique reste au coeur de leurs valeurs, de leur sensibilité. Cet anti-cléricalisme est un autre héritage rabelaisien. Peu savent toutefois que Rabelais est un auteur en quête de spiritualité. Pantagruel est un géant plein d’un amour si grand qu’il va au-delà de ce monde, un amour chrétien anti-conformiste, iconoclaste. Notre célébration de la famille, de la vie, de l’ivresse et de la langue est peut-être encore païenne, peut-être secrètement chrétienne, sans doute laïque. Très certainement, c’est une fête de l’amour. Gens du pays, c’est votre tour de vous laisser parler d’amour .

1. https://www.denise-pelletier.qc.ca/media/uploads/pages_de_cahier_prouesses.pdf

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