Homélie prononcée lors des funérailles de Louis Valcke

Lucien Vachon

Prononcée le 22 décembre 2012.

Louis Valcke fut une personnalité complexe, non pas qu'il ait cherché les complications. C'est la vie qui s'est chargée de lui faire vivre plusieurs vies.

Il a épousé la vie.

La vie: pas comme «être en vie», respirer, pas la vie en attendant le ciel, pas la vie comme une salle d'attente, pas la vie terrestre comme un mauvais moment à passer. La vie humaine, dans l'histoire, qui mérite d'être vécue. La vie comme temps de grâce, comme chance de progrès, comme moment de l'histoire, comme service, la vie comme vocation. 

Conscient que cette vie était mortelle, il a voulu la défier, la retenir de force. Il s'est montré plus fort qu'un certain nombre de maladies dont chacune aurait pu être la dernière. Jusqu'à la dernière qu'il a prise à bras-le-corps (ce qui faisait dire à son infirmière, «il est un homme fort»).

Amoureux jaloux de la vie. Dévoué, en priorité et jusqu'à la dernière minute, à la vie intellectuelle, à l’intelligence, à la raison critique, à l'ordre, à la clarté. Sa recherche de la vérité fut durement bousculée par la vie.

Il a connu les siècles de «chrétienté», lui en Belgique, -- comme nous au Québec : la vérité claire, clairement exprimée et clairement pratiquée. La rité qui disait quoi penser, quoi faire. Et cette «religion» l'a profondément marqué, de son propre aveu et même aujourd'hui.

Il a connu ce qui se proposait comme l'anti-chrétienté. ll a vécu le Concile et surtout certains «produits» du Concile. «Ouvrez les fenêtres»: il a souffert de certains courants d'un certain air: Quoi croire? que faire?

ll a connu la «modernité», les influences du siècle des lumières. «Rationaliste critique» comme il aimait à se nommer, en tout cas à moi et devant moi, il a témoigné, toute sa vie des valeurs positives de la modernité: l'être humain comme sujet de l'histoire, l'autonomie, la valeur de l'individu, la liberté religieuse, la liberté de conscience, l'égalité, la fraternité... A cet égard, il a voulu honorer les possibilités de la raison, il a estimé qu'on ne devait pas lui être infidèle, et qu'on ne pouvait raisonnablement refuser ses généreuses promesses de meilleure vie pour un meilleur humain.

Mais, rapidement, son honnêteté intellectuelle lui a appris douloureusement que la modernité n'avait pas tenu ses promesses et qu'il fallait passer à la post-modernité, c'est-à-dire au dépassement de la raison critique -- trop sûre d'elle-même -- vers d'autres ressources de l'esprit humain.

Et puis, il connaissait ces zones mystérieuses, aussi attachantes qu’irritantes, où il se sentait invité mais où la raison humaine ne se sentait pas encore porteuse de la robe nuptiale. Ces lieux à qui la raison demandait un peu plus de temps ou un peu plus d'abandon. Sans dire non... on hésitait à dire oui. La raison ne se croit pas encore autorisée à aller au-delà.

Il a connu et vécu la post-modernité: une «raison», une intelligence toujours curieuse mais plus gourmande -- et plus humble -- qui s'intéresse davantage à d'autres composantes de la vie. Des composantes moins prétentieuses, moins «sèches». Des composantes proposées par la vie affective, esthétique, éthique.

L’intelligence de la vie de tous les jours, L’intelligence confessante, partenaire de l'amour, du «vivre ensemble», de l’amitié, de la famille, de la communauté, de la beauté, de l'art, de la musique. L'intelligence: amie de la vie. Un intelligence qui, sans se renier, s'accorde le droit et le bonheur d'aller voir et s'enrichir dans l’«ordinaire».

Est-ce que Dieu se cacherait dans l'ordinaire?

C'est ce «nouveau» Louis Valcke que notre communauté a le plus connu. Cest ensemble, à l'occasion de nos assemblées dominicales -- auxquelles il était d'une fidélité exemplaire. Des assemblées dominicales où, comme dans les assemblées vécues dans les premiers siècles du christianisme, les actions les plus importantes étaient précisément, de se rassembler, d'être ensemble, de partager la parole de Dieu, d'aider les plus pauvres.

Et, ensemble, lui et nous, nous et lui, nous découvrions et partagions les valeurs de l'Évangile: l'amour même des ennemis, l'option préférentielle pour les pauvres, la gratuité, la mémoire des défunts, la non-violence, l'humilité, le don de soi, la beauté, autant d'indices de transcendance.

Ces rencontres communautaires, aboutissaient à des gestes fondateurs: j'en évoque deux.

Chaque année, au début du carême et avec une conviction évidente, il se mettait en ligne pour qu'on lui impose les cendres ... geste fondateur de la véritable identité de l'être humain: l'humilité.

Chaque année, chaque vendredi saint, et sans jamais y manquer, il se mettait en ligne pour vénérer ostensiblement la croix, autre signe fondateur, i.e. l'être humain ne peut se sauver lui-même, par ses propres moyens.

Louis, l'amoureux de la vie, avait appris pour son plus grand malheur qu'il ne pouvait pas gagner son défi de la mort: la vie ici-bas est mortelle.

Aujourd'hui, pour son plus grand bonheur, il apprend que la mort elle-même est mortelle, et qu'alors on peut gagner.




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