La transformation de l'école de Te Whaiti
Une brève incursion dans l’histoire et les légendes des Ngatiwhare nous aidera à comprendre leur wairua (esprit): «C’est par sa sagesse collective qu’une société atteint le bien-être collectif». En redécouvrant ses racines, la communauté de Te Whaiti a recommencé à vivre.
Plusieurs générations avant l’importante migration des Maoris vers Aotearoa (la «Terre du long nuage blanc»), ce pays qu’on appelle aujourd’hui Nouvelle-Zélande fut visité par Toi, un explorateur pacifique et courageux, qui y trouva les «descendants du doux peuple» ou Te Heke a Maruiwi, plus tard nommés Te Tini o Toi (la multitude de Toi) ou Marangaranga. Ils formaient une société intelligente, ingénieuse, travaillante et pacifique. Leur ordre social était très raffiné et ils possédaient une connaissance profonde de leurs interrelations avec la nature. Toi était un puissant leader en temps de paix. Il savait que la vraie force réside dans l’esprit. Par le partage des connaissances, il permit aux communautés de se développer dans un environnement difficile. Partout où il passait, il laissait des sociétés fortes qui échangeaient leurs arts, leurs technologies, leur sagesse collective et leurs ressources les unes avec les autres. Malheureusement, la logique de guerre leur était étrangère et elles furent facilement défaites et assimilées par les Maoris. Cependant, selon la légende, la fille de Toi, Hineruarangi, fut envoyée sous la forme d’un oiseau aquatique vivre dans le canyon de Te Whaiti Nui-a-Toi, pour être la kaitiaki (gardienne) de la forêt Whirinaki, de la nature, ainsi que de la sagesse et des valeurs de son peuple. Malgré de nombreuses guerres de clans, ses descendants, les Ngatiwhare, sont toujours revenus comme tangata whenua (humains appartenant à cet endroit) pour garder la semence de Toi bien vivante en ces lieux. «Voilà les valeurs que nous voulons que l’école transmette à nos enfants. Ces mêmes valeurs qui doivent inspirer notre façon d’exercer le leadership.» C’est ce retour à l’esprit de Toi, son ancêtre, qui est à l’origine de la métamorphose de la communauté de Te Whaiti .
Tout a commencé par un live-in, un week-end passé entièrement à l’école, pendant lequel les membres du conseil scolaire ont d’abord fait une profonde auto-analyse, une prise de conscience de leurs forces, de leurs faiblesses et de leurs démons intérieurs. Un bref examen du contexte suffit à mesurer l’importance du défi qu’ils avaient à relever: une région isolée, un taux de chômage avoisinant les 100%, aucune éducation préscolaire, un milieu familial ne favorisant pas toujours l’apprentissage, des jeunes parents de 15, 16 ou 17 ans continuant à grandir tout en élevant leurs enfants... «C’était terrifiant, mais ceux qui ont choisi de rester, et c’était la majorité, se sont dit : faisons simplement notre possible. »
Cette rencontre a servi de catalyseur à tout le processus. «Nous avons d’abord formé un cercle très serré où chacun a eu son mot à dire. Puis nous avons amené nos conjoints et nos enfants et nous nous sommes mis au travail. Comme nous nous amusions, nous avons créé un mouvement qui a attiré l’attention dans la communauté et a donné à plusieurs l’envie de s’y joindre. C’est ainsi que le ballon s’est mis à tourner», raconte Earl Rewi, alors président du conseil. Pendant les cinq années qui ont suivi le rapport dévastateur du ERO, les décisions concernant les enfants ont été prises de façon communautaire, en partageant le leadership. Les hui (rencontres) avaient lieu dans des salles de club plutôt qu’à l’école ou dans les marae (lieux de culture traditionnelle) afin que personne parmi les Kaumatua (aînés), les professeurs et les membres du conseil, ne se sente obligé de diriger la réunion.
Plutôt que d’invoquer ses piètres conditions de vie, (isolement, chômage, etc.) pour justifier ses maigres performances, la communauté s’est engagée collectivement dans la création du changement. Son objectif était clair: «Offrir à nos enfants les choix dont la majorité d’entre nous avions été privés». Quand le gouvernement a décidé d’allouer un budget spécial pour «éliminer les barrières à l’apprentissage des enfants», la communauté en a identifié plusieurs, incluant l’isolement de l’école et les problèmes de transport. La communauté a donc fait une demande de fonds pour acquérir son propre autobus scolaire, évitant ainsi le transport des 56 écoliers du niveau primaire par l’autobus de l’école secondaire régionale, ce qui les obligeait à quitter à 7heures pour ne revenir qu’à 18 heures. Comme il n’y a ni magasins, ni transports en commun à Te Whaiti, l’acquisition de cet autobus scolaire a permis à la communauté de conduire le samedi les équipes sportives et leurs supporteurs à Rotorua pour participer à des compétitions et de ramener du supermarché ses provisions hebdomadaires.
L’adoption des technologies de l’information a été un autre moyen de contrer l’isolement de la communauté et de préparer l’avenir des enfants. Pour minimiser le financement, on a choisi de louer des ordinateurs portables. L’achat d’ordinateurs de bureau et la construction d’une nouvelle salle de classe auraient forcé l’école à débourser $200 000. Aujourd’hui, il y a un portable pour deux étudiants parmi les plus âgés, et les professeurs s’occupent de les mettre à jour. Ils ont récemment construit leur propre serveur pour mettre tous les ordinateurs de l’école en réseau, et ils ont adopté un fournisseur de service Internet par satellite pour s’assurer des communications plus rapides et plus fiables. Internet a donné aux élèves l’accès au monde extérieur.
Les membres du conseil scolaire étaient conscients qu’ils seraient l’objet d’une étroite surveillance en ce qui concerne la gestion financière des différents projets. Le président, Earl Rewi, leur a dit qu’il appuierait toute initiative visant la collecte ou l’utilisation des fonds, tant qu’elle serait motivée par le bien-être des enfants. Ainsi, le système d’approvisionnement en eau posait des problèmes à la communauté. «Des experts sont venus de l’extérieur et ont dépensé des dizaines de milliers de dollars, forant des trous de sonde de plus en plus creux pour ne trouver finalement que de l’eau rouillée. Nous avons ensuite importé de l’eau à l’aide de camions-citernes destinés au transport du lait. Puis nous avons résolu de trouver nous-mêmes une solution. Grâce aux connaissances d’Earl qui est fermier, et avec le soutien de la communauté, nous avons installé un nouveau barrage et un système de canalisation qui ont réglé les problèmes de tout le monde. » Nous aurions pu faire tellement de choses pour nos enfants avec tout cet argent qu’on a jeté dans un trou d’eau !» C’est ainsi qu’on voit les choses maintenant à Te Whaiti… Dans le même esprit, les parents ont converti le vieux hangar de l’autobus scolaire en une nouvelle salle de classe, permettant d’économiser au moins $10 000. Et ils ont dû fournir tout le matériel, y compris les pelles.
Les membres du conseil disent que le succès de l’école est directement proportionnel au niveau d’engagement des parents et du reste de la société. Or, historiquement, les membres de la communauté n’accédaient pas au niveau secondaire. Partant du principe que le succès bâtit la confiance, on a d’abord trouvé une épreuve que les élèves pourraient réussir dès leur plus jeune âge, mais qui leur paraissait d’abord impossible à surmonter. Ravis de constater que les élèves de leur école primaire réussissaient à passer leur certificat, les parents se sont mis à encourager leurs enfants dans leurs travaux scolaires et à se rendre eux-mêmes à l’école. Aujourd’hui, la salle des professeurs ferme rarement avant 18h00 et les parents s’y arrêtent pour bavarder, car ils ont l’impression d’y avoir leur place. Certains ont même recommencé à étudier!
Mais pour préparer un avenir prometteur, la technologie ne suffit pas. Il est également important d’asseoir son identité sur des bases solides. Les parents ont donc insisté pour que leurs enfants retrouvent la vigueur de leur riche héritage maori et parlent le langage Te Reo couramment. Les plus jeunes commencent leurs études en immersion totale et les plus vieux reçoivent un enseignement bilingue: en maori et en anglais. Il n’y a pas si longtemps, pour de nombreux parents, le seul fait de parler maori à l’école leur méritait un châtiment corporel!
Quand le ministère de l’Éducation a présenté sa vision des «écoles de demain» (Tomorrow’s Schools), il a conseillé à ceux qui ne savaient pas comment s’y prendre de choisir comme modèle une école qui avait «réussi» et de l’appliquer quelque soit le contexte. «Ce modèle ne convenait pas à ce que nous voulions faire ici ; nous devions inventer notre propre système. Notre petite communauté d’anciens travailleurs forestiers ne comptait pas d’avocats, de comptables, d’hommes d’affaires, ni même de commerçants. Nous étions mystifiés par les procédures complexes et le langage hermétique des fonctionnaires du ministère de l’Éducation. Nous leur avons demandé de nous expliquer ce qu’ils voulaient en termes simples. Puis, nous avons développé notre propre matériel pédagogique et nous avons écrit nos propres règlements internes et nos procédures dans cinq cahiers de couleurs différentes. Aujourd’hui, plusieurs écoles veulent mettre la main dessus!» Grâce à cette réussite, le complexe d’infériorité de la communauté à l’égard des experts a fait place à une solide confiance en soi qui favorise la collaboration avec le Ministère.
Le plus cher souhait de Earl Rewi, ancien président du conseil scolaire, est de voir Te Whaiti continuer de se développer. En 2001, les parents ont décidé qu’il valait mieux fusionner les deux écoles de la vallée pour le bénéfice de leurs enfants. Ils ont organisé un nouveau live-in pour identifier les meilleurs actifs, pratiques, règlements et procédures des deux écoles et créer en les combinant une administration unique plus performante. En un temps record, ils ont soumis un plan stratégique en ce sens au ministère de l’Éducation. À ceux qui doutaient de l’efficacité d’une telle intégration, un membre du Conseil a exprimé ainsi sa vision des choses : «Notre nouvelle école possède cinq salles de classe reliées par un corridor de neuf kilomètres»...
L’école de Te Whaiti ne semble pas connaître la courbe de Gauss, comme en témoignent ses brillants résultats : chaque année, tous les élèves de la classe terminale obtiennent leur certificat d’études primaires avec des notes supérieures à la moyenne. En l’an 2000, les 17 élèves de cette classe ont reçu un prix d’excellence à l’examen national de mathématiques, en se classant tous dans le premier décile. Un élève de Te Whaiti a même remporté le premier prix en technologie de l’information dans un concours australien. Le ministère de l’Éducation a octroyé des contrats à l’école de Te Whaiti pour développer des contenus éducatifs et donner une formation en technologies de l’information dans les autres écoles de la région. Les enfants explorent le monde via Internet. Ils sont maintenant pleins d’assurance et ont retrouvé confiance en l’avenir. Et, fait remarquable, ils se sentent tous responsables de leur propre apprentissage.
Ce type de «pensée latérale» et d’approche communautaire a attiré l’attention sur l’école de Te Whaiti, qui reçoit fréquemment des visiteurs. Ce que cette équipe a réussi par ses efforts et son esprit innovateur suscite l’admiration et sert d’inspiration à de nombreux éducateurs et gestionnaires partout à travers le monde. En fidèles conservateurs de la tradition de Toi, les membres de la communauté de Te Whaiti n’hésitent pas à partager leurs nouvelles connaissances avec d’autres organisations désireuses de se tailler une place dans l’économie du savoir.