Faut qu'on se parle
Citation de M. Jean Allaire dans le Rapport du Groupe Réflexion Québec intitulé Un Québec responsable publié par le magazine
L’Agora en novembre 1993
Les photos sont celles des neuf membres fondateurs du mouvement Faut qu'on se parle.
L’annonce de la création du mouvement citoyen Faut qu’on se parle1 par le groupe auquel appartiennent Jean-Martin Aussant et Gabriel Nadeau-Dubois a suscité bien des questions et commentaires. Prélude à un nouveau parti politique ? se demandaient les uns. Pas une autre consultation ! s’écriaient les autres. À ces derniers j’aurais aimé demander « Dans une démocratie, à partir de quand le peuple est-il trop consulté ? »…
Néanmoins, l’initiative, qui connaît déjà beaucoup de succès avec plus de 200 demandes d’assemblées de cuisine et des salles combles lors des consultations publiques, est une belle occasion de faire comprendre la notion de « leadership partagé », d’adopter un cadre d’analyse mieux adapté à la réalité complexe d’aujourd’hui et de faire l’expérience de la démocratie délibérative. Nous examinerons d’abord en quoi consiste cette dernière à l’aide des travaux de trois chercheurs chevronnés2,3,4, puis nous verrons comment elle a été appliquée à travers le monde et nous nous demanderons si le Québec a déjà connu un exercice de démocratie délibérative semblable à Faut qu’on se parle.
Le leadership partagé
Le leadership partagé est fondé sur la distribution des rôles d’influence selon les circonstances et les besoins. Le leadership est alors assumé par un membre qui se sent désireux et compétent pour l’exercer. Ce type de leadership ponctuel peut donc être exercé par l’un ou l’autre des membres du groupe à des moments précis, permettant d’utiliser son plein potentiel.
Dans une démocratie participative, le leadership est partagé, comme on l’a vu dans les mouvements Occupy ou, plus récemment, Our Revolution. Les analystes semblent avoir beaucoup de difficulté à comprendre ce concept de « leadership partagé ». Il fallait les voir essayer en vain d’identifier les leaders du mouvement Occupy Wall Street ou attribuer le succès phénoménal de Bernie Sanders à sa seule autorité. Les partisans du sénateur du Vermont se sont reconnus en lui et en ont fait leur messager, pas leur « chef »5. Plus près de nous, Gabriel Nadeau-Dubois a dû dépenser beaucoup d’énergie pendant le « printemps érable » à expliquer aux journalistes qu’il était le porte-parole et non le responsable de l’ASSÉ. D’ailleurs, les journalistes appellent encore le trio qu’il a formé avec ses deux collègues les « leaders étudiants » !
Accueillir la complexité
L’exercice de démocratie délibérative proposée par l’équipe de Faut qu’on se parle est une occasion unique d’adopter un cadre d’analyse mieux adapté au monde d’aujourd’hui. L’humanité est devenue une force géologique capable de modifier le climat et les conditions de la vie sur notre planète ; la mondialisation de l’économie a multiplié les échanges et les transports, ajoutant aux problèmes sanitaires, aux inégalités et aux conflits géopolitiques ; les nouvelles technologies progressent de façon exponentielle en se combinant et en se renforçant mutuellement, modifiant profondément le monde du travail, des loisirs et des communications. La société québécoise doit rapidement s’adapter à l’ajout de toutes ces couches de complexité.
Le découpage de la connaissance en disciplines académiques et la division de l’administration publique en ministères et en juridictions ont été un gage d’efficacité à une époque où les systèmes étaient moins interconnectés. Mais ce morcellement des secteurs n’est plus adapté à la réalité d’aujourd’hui. Les recherches sur les systèmes complexes, la théorie des réseaux, la biologie systémique et l’écologie nous font comprendre que nous sommes mal équipés pour faire face aux défis qui se multiplient dans notre monde de plus en plus complexe. Comprenons-nous bien, il ne s’agit pas de renoncer aux connaissances spécialisées ni à une structure de gouvernance efficace, mais nous avons un urgent besoin d’une vision systémique globale pour chapeauter l’ensemble. « Chapeauter » ne veut pas dire centraliser mais, au contraire, intégrer une grande variété de perspectives pour prendre des décisions locales, collaboratives et participatives.
Dans les médias, on entend parler de crises énergétique, climatique, sociale, environnementale, politique, etc. Elles ont l’air de converger parce qu’elles ne sont que les symptômes d’une seule et même crise, une crise de perception. Née en 1991 à Stanford en Californie, la « pensée design » est un modèle de management moderne parfaitement adapté au traitement des problèmes complexes inter reliés dont l’issue est incertaine. Selon l’un de ses principaux protagonistes, le designer industriel et PDG d’IDEO Tim Brown6, récemment de passage à Montréal, le principe de la « pensée design » est de décloisonner les modes de pensée pour réfléchir et inventer collectivement des solutions novatrices. Une équipe pluridisciplinaire d’adeptes de la pensée design a la capacité de s’attaquer à des problèmes nettement plus complexes, car la diversité des connaissances et des compétences des intervenants, ainsi qu’un intense partage d’information, d’expériences et d’histoires, incluant les émotions, permettent d’en explorer tous les aspects. Si nous avons bien compris, c’est justement à un tel exercice que nous convient les instigateurs de Faut qu’on se parle.
Un devoir de cohérence
Si placer un mouvement à gauche ou à droite sur un spectre politique a du sens, que signifient la gauche et la droite dans un monde en réseau ? Il va falloir abandonner une fois pour toute la pensée linéaire qui conduit tout droit à la polarisation. Les réseaux sociaux révèlent une diversité d’opinions et d’intérêts telle qu’il est de plus en plus difficile d’étiqueter les gens. C’est pourquoi même s’ils défendent des causes très différentes, on peut retrouver divers types de militants dans un même mouvement, comme Occupy, Our Revolution ou notre « printemps érable ». La polarisation se situe dans l’étiquette et non dans la population. Des gens d’opinions et d’intérêts divers se regroupent sous une même bannière parce qu’ils comprennent, souvent inconsciemment, que tout est lié ; ils reconnaissent qu’ils sont interdépendants et ils recherchent la cohérence par-delà la gauche et la droite. Une vision systémique globale permettrait d’assurer cette cohérence.
Les problèmes systémiques appellent des solutions systémiques. Il en existe déjà de très intéressantes : permaculture7, mouvement de transition8, biomimétisme9, économie biophysique10, science « réparatrice »11, The Natural Step12, etc. Mais on n’en entend pas beaucoup parler. C’est qu’elles sont très peu présentes dans le système d’éducation et encore moins dans les médias traditionnels. Pourtant, elles font souvent fureur ailleurs dans le monde…
L’exercice de démocratie délibérative que nous propose l’équipe de Faut qu’on se parle mise sur la diversité des citoyens et sur la variété et la complémentarité de leurs points de vue et de leurs compétences pour affronter les enjeux d’aujourd’hui de façon cohérente. Nous vivons dans un tissu de relations et c’est la diversité et la redondance qui assure la résilience d’un réseau.
La démocratie délibérative
La démocratie délibérative a déjà fait couler beaucoup d’encre chez les chercheurs en sociologie et en sciences politiques. Elle renforce la capacité des peuples à prendre les décisions concernant leur propre destinée. « L'idée principale de la démocratie délibérative, inspirée par les théories de John Rawls et de Jürgen Habermas, est qu'une décision politique est réellement légitime lorsqu'elle procède d’un réflexion publique approfondie de citoyens (libres et) égaux. » (Wikipédia)
En Australie, à l’Université de Sydney, le professeur Lyn Carson2 a fait de l’engagement communautaire et de la démocratie délibérative son champ de recherche. Selon elle, cette dernière comporte trois idéaux : la représentation, la délibération et l’influence. Nous les présentons en nous inspirant largement des travaux du professeur Hervé Pourtois3. La démocratie délibérative met l'accent sur les capacités de jugement des citoyens « ordinaires » tout en insistant sur le fait qu’elles ne sauraient se déployer que dans un cadre procédural adéquat pour favoriser l’empowerment des individus, comme le décrit le chercheur Julien Talpin4.
Les trois idéaux
La représentation
Lyn Carson s’inquiète du manque de représentativité des élus par rapport à la population. Ainsi, par curiosité, nous avons vérifié la formation des 27 membres du cabinet ministériel québécois ; si on enlève trois secteurs (droit, médias, administration/économie), il reste sept ministres. Par exemple, la culture et les sciences (sauf dans le cas de Dominique Anglade) n’y sont à peu près pas représentées. Précisons qu’il ne faut pas en conclure que ces secteurs sont mal défendus.
Pour pallier à ce défaut de représentativité, les partisans de la démocratie délibérative ont recours à « un dispositif qui (permet) de simuler, à petite échelle et dans un cadre régulé, ce que devrait être une délibération au sein du grand public »3. Il s’agit de recréer notre population en miniature et de faire en sorte que les quelques personnes qui délibèrent soient représentatives du grand public. Concept emprunté à Robert A. Dahl, professeur émérite de science politique à l’Université Yale, le mini-public délibératif est « une assemblée ou un jury de citoyens ordinaires, sélectionnés de manière aléatoire en vue de remettre un avis, de proposer une solution à un problème politique ou même de prendre une décision politique »3. Les mini-publics servent aussi à stimuler le débat au sein du grand public.
La logique des mini-publics est proche de celle du jury. Leur représentativité est le plus souvent garantie par un mode de sélection aléatoire (tirage au sort ou constitution d’échantillon statistique) et par la diversité de ses participants. Tout le monde a une chance égale d’être choisi. En Australie, les gens supportent le processus de sélection au hasard parce qu’on le croit juste et qu’il est supervisé par une organisation indépendante, la Commission électorale australienne (Australian Electoral Commission), qui s’est mérité la confiance du public.
On doit cependant distinguer le mini-public du forum, où les citoyens participants sont le plus souvent auto-sélectionnés, et des autres mécanismes de démocratie directe « qui visent à associer les citoyens aux décisions qui les concernent le plus directement en se substituant aux autorités publiques traditionnelles, par exemple le budget participatif ou, plus classiquement, le référendum ou la consultation populaire »3 ou encore la e-démocratie basée sur des forums internet.
Lyn Carson est d’avis que nous devrions convoquer des mini-publics pour des sujets importants comme l’éducation, la santé, le transport, le développement du territoire, ou quand les sujets sont controversés, que des décisions à long terme doivent être prises et que les politiciens hésitent à agir.
La délibération
Le second idéal de la démocratie délibérative, selon Lyn Carson, veut que les décisions politiques majeures soient prises au terme d’échanges d’arguments plutôt que lors d’un marchandage ou d’un simple vote associé à des règles numériques consacrant l’opinion du plus grand nombre. « Mais ce moment de délibération citoyenne, proprement interne, est très souvent précédé d’un moment où les citoyens participants peuvent entendre le point de vue des experts, des acteurs sociaux, des hommes politiques, des responsables d’administrations ou d’organisations, et parfois même échanger avec eux »3. La délibération n’est donc pas simplement une conversation, un échange d’opinions, car sa dynamique permet de modifier les positions de chacun en intégrant le point de vue des autres. C’est dire que la nature même du mini-public fait que ses participants cessent de penser de la même manière que le font effectivement les citoyens au sein du grand public. C’est là tout le défi de la représentation en démocratie de masse.
En janvier 1994, le magazine L’Agora publiait un article sur le sondage délibératif basé sur les travaux du professeur James Fishkin de l’Université Stanford. Selon lui, les participants à ce type de sondage « deviennent représentatifs de ce que penserait l’opinion publique si elle était plus souvent amenée à réfléchir sur tel ou tel sujet… »13, contrairement aux répondants dans les sondages ordinaires. Dans l’exercice démocratique, la délibération recherche ce que le chercheur Julien Talpin appelle un « consensus raisonnable » sur les décisions à prendre qui, le plus souvent, seront finalement approuvées à la majorité. « Mais c’est précisément la délibération qui précède la décision majoritaire qui rend l’usage de la règle de la majorité légitime : celle-ci ne traduit plus simplement un décompte de préférences brutes et l’entérinement d’un rapport de force (Manin, 1985) »3.
Les conceptions classiques du parlementarisme au XIXe siècle réservaient strictement l’exercice de la délibération aux enceintes parlementaires, la masse étant jugée inapte à produire une opinion raisonnée. Renversant cette perspective, la théorie délibérative contemporaine affirme la nécessité de faire participer « les membres de la société » à la délibération et de faire en sorte que l’opinion publique ainsi formée détermine la décision publique.
Notons que la professeure Carson est d’avis que sans composante délibérative, un référendum n’est rien d’autre qu’un sondage d’opinion. Le sujet tend alors à devenir extrêmement polarisé à moins qu’il ne reçoive l’appui des principaux partis.
L’influence
Le troisième idéal de la démocratie délibérative est de faire des mini-publics un outil d’aide à la décision pour les autorités publiques. Lyn Carson croit que nous ne devrions pas procéder avec des mini-publics à moins que ce processus n’ait reçu l’assentiment des preneurs de décisions. Entre l’impossibilité d’une délibération de masse et l’insuffisance d’une délibération entre les élus de manière que chaque citoyen du grand public reconnaisse que son point de vue a été pris en compte dans la discussion, les mini-publics offrent une façon efficace d’influencer les décisions. Il ne s’agit pas de remplacer les gouvernements ou les parlements mais de remettre aux décideurs un avis informé et argumenté sur une ou plusieurs questions d’intérêt.
Mais les élus ne veulent pas céder leur pouvoir car ils perçoivent leur mandat de gouverner comme une simple délégation de pouvoir. De plus, la structure même de la démocratie électorale n’est pas porteuse d’une dynamique de délibération dans la décision politique. La solution se trouve peut-être dans une interaction entre le mini-public et les preneurs de décisions. Dans la revue Harvard Business Review, Tim Brown propose une procédure itérative pour gagner leur assentiment14. Avec cette approche, l’acceptation finale devient une formalité car les décideurs sont associés à la définition du problème, aux études à réaliser dans la recherche de solutions et aux conclusions des analyses, qui ont graduellement gagné leur approbation tout au long du processus.
Le cadre procédural
Julien Talpin4 propose ici trois conditions procédurales favorables à l’empowerment des citoyens dans une délibération, mais elles sont loin des pratiques dominantes actuelles :
2. on doit accepter les conflits, ce qui suppose la possibilité « de désigner des coupables, d’imputer des responsabilités, de pointer des inégalités structurelles, ce qui risque de casser le fun et le consensus de façade » ;
3. on doit reconnaître les vertus de l’expertise, alors que trop souvent les organisations civiques promeuvent l’idée que chacun est porteur de savoirs et que tout est affaire d’opinion.
Quelques exemples de démocratie délibérative
En 1998, à l’initiative du premier ministre français, l’Office parlementaire d’évaluation des choix scientifiques et technologiques a confié la tâche à un groupe de quatorze citoyens d’élaborer un rapport et de lui remettre des recommandations sur la culture des organismes génétiquement modifiés (OGM). Les citoyens n’étaient ni des spécialistes ni des acteurs directement impliqués dans le domaine. L’élaboration collective du rapport a été précédée d’une phase d’information des participants et de l’audition d’acteurs et d’experts sélectionnés par le panel. Le rapport destiné au gouvernement a été rendu public.3
L’expérience française n’est pas unique. Des dispositifs du même type ont été mis en place ailleurs dans le monde. Ainsi au Danemark, le Conseil danois de la technologie convoque automatiquement des mini-publics pour faire des recommandations au Parlement. Si ce dernier n’a pas l’intention d’adopter ces recommandations, il doit expliquer pourquoi. En Toscane, une loi (# 69) stipule qu’en cas de controverse, le gouvernement régional doit faire appel à un processus délibératif, et là aussi il doit expliquer pourquoi il ne souhaite pas agir selon les recommandations proposées.2
En Australie occidentale, une ministre de la Planification et des Infrastructures avait promis d’avoir recours à des mini-publics pour ses prises de décisions ; elle s’en est tenue aux recommandations des citoyens. À l’est du pays, le gouvernement local de Canada Bay dans le New South Wales a sélectionné au hasard un groupe de 40 citoyens qui se sont réunis pendant cinq fins de semaine dans le but de préparer un budget participatif. Ils ont écouté des experts et discuté pendant de longues heures. Ils ont formé des petits groupes de travail pour considérer différents aspects du budget et ils ont fait des recommandations lors d’une réunion publique du Conseil. Le gouvernement local a décidé d’adopter ces recommandations.2
En 2004, le Parlement de Colombie-Britannique a confié à un groupe de 160 citoyens, sélectionnés au hasard, la tâche d’élaborer un projet de réforme du système électoral qui devait faire ensuite l’objet d’un référendum. Ces citoyens n’étaient ni des professionnels de la politique, ni des spécialistes des systèmes électoraux, ni des élus. Pendant plusieurs mois, ils ont recueilli des avis d’experts, de représentants politiques, mais aussi de simples citoyens comme eux. Ils ont débattu entre eux pour finalement remettre un projet de réforme électorale qui a ensuite été soumis dans deux référendums (en 2005 et en 2009). Le projet de réforme n’a toutefois pas recueilli le 60 % requis pour introduire une modification du système électoral.3
En avril 1994, dans son cahier intitulé L’avenir du système de santé québécois, L’Agora publiait un article sur un rare exercice de démocratie délibérative dans le domaine de la santé qui s’est échelonné sur cinq ans. En 1987, sous la direction du président du sénat de l’Oregon, l’urgentologue John Kitzhaber, la législature de l’état a mis sur pied une commission sur les services de santé (Health Services Commission) chargée d’établir une liste des services, par ordre de priorité. À partir de cette liste, les législateurs allaient définir le régime de base des services de santé qui seraient assurés. Tous les soins situés au-dessus d’une ligne de démarcation, décidée par les élus en fonction du budget alloué au système de santé, seraient couverts par le système public, alors que ceux situés sous cette même ligne devraient être défrayés par les patients. Il appartiendrait aux législateurs de tracer la ligne pour le remboursement des services, mais en aucun cas ils ne pourraient modifier la liste établie par la Commission, ni même déplacer un seul article à l’intérieur de cette liste.
La commission délibérative était composée de onze bénévoles étrangers à la scène politique mais concernés par le système de santé comme professionnels ou usagers. Quatre membres provenaient de minorités ethniques et six étaient des femmes. La Commission a décidé de mettre l’accent sur la consultation de la population afin de bâtir un consensus raisonnable autour d’un ensemble de valeurs qui servirait de guide pour l’allocation des ressources dans le système de santé. Dans ce but, la Commission organisa trois types de consultation : des assemblées de citoyens, des audiences publiques et un sondage téléphonique ayant pour but d’établir une échelle relative des niveaux de bien-être à partir de la perception du public à l’égard de la sévérité des symptômes et des handicaps. De plus, dans le cadre des audiences publiques, la Commission a recueilli de l’information et des témoignages de représentants des personnes âgées, des handicapés, des citoyens à faibles revenus, des consommateurs de services en santé mentale et des experts en services de santé, médecins, dentistes, chirurgiens, pharmaciens, infirmiers, psychologues, chiropraticiens, naturopathes ou autres professionnels de la santé pratiquant en clinique ou en milieu hospitalier. La dernière version de la liste officielle, issue des nombreuses délibérations de la Commission, fut approuvée par les législateurs de l’Oregon au début de décembre 1992. Elle comprenait 688 lignes et les élus décidèrent que les services seraient financés jusqu’à la ligne 568.
Faut qu’on se parle
Les groupes de citoyens dans les assemblées de cuisine organisées par le collectif Faut qu’on se parle ne seront pas à proprement parler des mini-publics car les participants sont auto-sélectionnés, comme dans le cas des forums de citoyens, ils ne seront sans doute pas informés par des experts et leurs recommandations ne serviront pas directement à la prise de décision concernant le bien public, à moins qu’elles ne soient reprises par le gouvernement. Toutefois, ces groupes seront suffisamment petits pour être authentiquement délibératifs et le résultat de ces délibérations débordera sans doute dans l’espace public en étant médiatisé. De plus, il est fort à parier qu’on évitera le piège de la fragmentation des enjeux politiques qui guette les mini-publics dont le mode de fonctionnement favorise la concentration sur des enjeux plus étroitement circonscrits.
En somme, la démarche de Faut qu’on se parle est un bel exercice de démocratie délibérative et les petits groupes qui se formeront au cours de l’exercice pourraient se transformer en mini-publics à condition qu’ils soient « suffisamment représentatifs pour être authentiquement démocratiques » comme dirait Hervé Pourtois. Nous ne pouvons donc qu’applaudir cette brillante initiative et lui souhaiter le meilleur des succès.
Il est intéressant de se rappeler qu’il y a vingt-trois ans un autre groupe de citoyens soucieux du bien commun et de l’avenir du Québec a fait lui aussi un exercice de démocratie délibérative…
Le Groupe Réflexion Québec
Nous avons pu observer aux premières loges le Groupe Réflexion Québec (voir à la fin la liste des membres) puisque son rapport intitulé Un Québec responsable a été publié par L’Agora en novembre 1993 et que Jacques Dufresne était un membre actif du Groupe. Voici comment les deux signataires ont présenté le rapport au public :
Nous avons mis sept comités sur pied, chacun étant dirigé par un des membres de notre Groupe avec une marge de manoeuvre considérable incluant la possibilité d’ouvrir le comité à toute personne de son choix.
Les sept comités ont tenu des réunions régulières, consultant de nombreux spécialistes, universitaires, gens d’affaires, etc. Le Groupe Réflexion Québec était tenu régulièrement au courant des travaux des sept comités.
Ce Groupe a poursuivi un objectif sans équivoque : proposer aux Québécois de toutes origines des idées pour sortir du marasme politique actuel. Attelés à cette tâche, nous avons choisi de ne pas intervenir dans les débats de l’heure afin de ne pas nous laisser distraire par les problèmes ponctuels qui sont dans bien des cas les conséquences du marasme politique.
(…)
Jean Allaire, Mario Dumont
À la suite de sa publication, le rapport du Groupe Réflexion Québec a trouvé écho dans les médias. Dans le magazine L’Agora de décembre 1993/janvier 1994, Jacques Dufresne écrivait ceci : « Après avoir lu attentivement le rapport du comité sur l’éducation, monsieur Normand Girard du Journal de Montréal a attiré l’attention de ses lecteurs sur le problème des professeurs d’université ou de cégep qui, dans certaines disciplines, ont souvent l’occasion de doubler ou tripler leurs revenus par des activités à l’extérieur. Pendant ce temps on voit s’accroître le nombre des jeunes docteurs qui, en attendant de trouver un poste aux États-Unis, végètent ici dans des emplois précaires à 18,000$ par année. » Et Jacques Dufresne de poursuivre : « Ceci nous amène à la question du projet de société qui, il faut l’espérer, aura bientôt sa place à côté du débat sur la souveraineté. La justice, la simple et éternelle justice, sera toujours le premier et le dernier mot de tout projet de société digne de ce nom. La justice est la grande finalité en politique : la souveraineté et même la démocratie viennent après et dans son sillage. »
Plusieurs ont reproché à Mario Dumont sa hâte de former un parti politique et sa récupération de plusieurs idées du Groupe Réflexion Québec, dont il faisait partie. À ceux-là Jacques Dufresne a répliqué : « Voilà le premier angle sous lequel il faut se placer pour interpréter l’action de Mario Dumont et de ses amis. Il est essentiel que les jeunes puissent parler haut et fort au nom de tous les précarisés. Ils sont les seuls qui peuvent le faire. Si on estime regrettable qu’ils se fourvoient ainsi en politique, qu’on les aide à faire en sorte que leur réflexion et leur action puissent être efficaces sans être politique. Il y a trente ans, les homologues de Mario Dumont, qui le jugent sévèrement aujourd’hui, faisaient trembler les aînés autour d’eux. (…) La génération de ces derniers s’apprêtait à épuiser le crédit du Québec tandis que la génération de Mario Dumont (et les suivantes…) devra payer l’hypothèque. Faut-il s’étonner de ce que la seconde génération veuille un parti politique à elle ? »
« … la mission des penseurs et des leaders politiques, toujours la même, depuis toujours, est de redonner au mot « justice » le caractère sacré qu’il conserve aux yeux des malheureux, dont il est le dernier espoir. »
Aux jeunes (et moins jeunes) loups de Faut qu’on se parle nous souhaitons sincèrement d’y parvenir.
1. https://www.fautquonseparle.org
Les trois spécialistes de la démocratie délibérative sont Lyn Carson de l’Université de Sydney en Australie, Hervé Pourtois, professeur de philosophie politique à l’Université catholique de Louvain et Julien Talpin, chercheur au CNRS :
2. http://permaculturenews.org/2013/11/29/improving-democracy-deliberation-interview-lyn-carson/
3. http://id.erudit.org/iderudit/1018719ar
4. http://www.laviedesidees.fr/L-essentiel-n-est-pas-de.html
5. http://agora.qc.ca/documents/les_racines_du_socialisme_de_sanders
Pensée design (Design Thinking) :
6. https://www.c2montreal.com/fr/speaker/tim-brown/
Solutions systémiques :
7. https://permacultureprinciples.com/fr/
8. https://transitionnetwork.org
9. http://biomimicry.net
10. http://faculty.washington.edu/gmobus/Energy/Hall_IJTR_Article_Vol1_No1(2).pdf
11. http://agora.qc.ca/dossiers/Science
12. http://www.thenaturalstep.org/our-approach/
13. « Intelligences » dans Courrier international, no 157, nov. 1993
14. https://hbr.org/2015/09/design-for-action
Liste des membres du Groupe Réflexion Québec :
Jean ALLAIRE – Claude BÉLAND – Louis BALTHAZAR – Linda CARDINAL – Denis DANIEL – Jacques DUFRESNE – Mario DUMONT – Michel FRÉCHETTE – Alain GAGNON – Roger GALIPEAU – Philippe GARCEAU – Jacques GAUTHIER – Lucie GRANGER – Marie GRÉGOIRE – Jean-Pierre GUAY – Moncef GUITOUNI – Guy LAFOREST – Michel LALONDE – Normand LAPOINTE – Pierrette LAVOIE STE-MARIE – Richard LE HIR – Michel MARULLO – André MÉNARD – Roger NICOLET – Jacques PROULX – Roméo SAGANASH – Jean-Guy ST-ROCH – Charles TAYLOR – Raymond THÉORÊT – Frédéric TRÉPANIER – Daniel TURP