Dualité

Wendell Berry

Nous dédions cette traduction à notre ami Ivan Illich qui nous a fait connaître le poète Wendell Berry.

Hélène Laberge et Jacques Dufresne



Et Dieu créa l’homme à son image; à l’image de Dieu il le créa; homme et femme il les créa.

La douleur est l’envers de l’amour
Cela, je l’ignorais
lorsque je suis venu vers toi mendiant ton amour.
Il m’a bien fallu l’apprendre
pour connaître enfin ce que j’attendais de toi
et ce que moi-même je pouvais t’apporter.
J’ai pris sur moi une souffrance par moi-même infligée:
la tienne, la mienne,
la tienne devenue mienne:
Et c’est la tienne que j’ai le plus redoutée.

Douleur d’avoir aimé!
Comment empêcher que cet amer savoir
ne t’incite à rouvrir le livre de notre vie?
Car si tel était ton désir
tel aussi devrait être le mien.
Et nos héritiers, les jeunes amants qui nous suivront
dans la chaîne des amours,
en feuilletant les pages de notre histoire
n’y trouveraient plus que des mots raturés.

Peur de demeurer inconnu à tes yeux,
peur aussi de te blesser en me révélant.
Ah! Quand saurai-je enfin apprivoiser les mots?
Quoi! Tu pourrais m’entendre et ne pas me répondre
et ainsi le doute de ton esprit briserait l’élan de ton corps.
Car si notre voeu était que notre histoire ait une conclusion,
la vie tôt ou tard nous en fournirait la matière.

Et maintenant regarde-moi!
Après tant d’années regarde-moi encore
qui n’ai d’autre beauté
que le visage de notre être et de nos actes.

Regarde-moi enfin de ce regard
que la colère et la douleur ont meurtri:
Vision d’une âme désarmée
qui désormais ne sait plus rien garder.

L’éclair de tes yeux, lorsque tu me regardes,
je le reçois et te le rends.
Une tendresse radieuse nous enveloppe
et remplit cet instant
où les caresses répondant aux caresses
illuminent la nuit.
La flamme qui nous consume
devient la lumière de notre regard.

Regards qui se perdent sans fin
dans les regards de l’autre.
Caresses qui luisent dans la nuit,
souvenirs du Paradis, notre vraie demeure:
Une image de Dieu qui nous renvoie à elle-même.
Nous nous mouvons d’un mouvement
dont nous ne sommes pas la cause.
Lumières enlacées jour et nuit,
nous vacillons comme deux arbres
qu’un même vent balance.
Que notre histoire demeure sans conclusion!
Laissons plutôt nos corps s’enflammer
dans cet instant hors du temps.
Le Ciel et la Terre nous ont déportés vers cette nuit
où nous nous disons l’un à l’autre
la légende d’un Royaume désiré
et pourtant indicible et secret.
Notre chair se fait parole,
écho de nos joies confondues.

Unis au creux du temps qui meurt,
nous attendons la résurrection des mots.
Ils s’envolent de nos bouches,
délestés du mal, de la male heure et du mensonge.
Leur fraîche clarté fait scintiller les feuilles,
l’air devient cristallin
et dans le clair-obscur, les syllabes
jaillissent, brillantes comme des étoiles d’eau.

Dans l’ombre, inaperçus,
nous sommes enfin admis
au Festin des amants où tout est transparence.
Ils sont tous là,
ceux qui ne savent prendre qu’en donnant
et qui donnent encore quand ils prennent.
Ceux qui en vivant créent l’amour
et qui en aimant recréent la vie.

Autres articles associés à ce dossier

À lire également du même auteur




Articles récents