Voici le témoin d'une époque où l'eau paraissait plus dangereuse que le vin pour la santé... et le vin préférable à la drogue qui le remplace trop souvent quand on l'interdit, comme ce fut le cas aux États-Unis au début du siècle.
« L'usage excessif de l'alcool peut amener à la longue, dans un organisme prédisposé, des troubles graves, mais nullement comparables à ceux que causent, dans des organismes sains, l'absinthe ou la coco, par exemple. Chez la plupart des gens normaux, l'usage modéré de l'eau-de-vie - d'une bonne eau-de-vie - ne déchaîne ni la cirrhose, ni le delirium tremens, ni l'épilepsie. Nos pères et aïeux vivaient fort vieux, sans se priver de leur double petit verre pour la journée. Quant au vin, franc de bonne qualité, je le considère comme l'ami de l'homme et comme indispensable au tempérament français. Il ne paraît pas douteux que l'abus des eaux minérales prédispose à la gravelle et aux diverses formes de rhumatisme, bien plus fréquemment que l'usage du vin, même pur, ou additionné d'une faible quantité d'eau. C'est ainsi que je connais un cas de gravelle des glandes salivaires - laquelle est rare - chez une personne qui n'a jamais bu, de sa vie, une goutte de vin! Personnellement, j'ai atteint, sans rhumatisme, ni aucune manifestation d'ordre arthritique, l'âge de cinquante-six ans, en buvant, depuis l'âge de dix-huit ans, et en moyenne, une bouteille de vin au déjeuner et une bouteille et demie au dîner. Cela, sans nulle addition d'eau. C'est dire sans froisser nos amis américains, que je ne suis pas près de m'embarquer pour New-York. Il est à noter que l'usage de la morphine et de la cocaïne - je veux dire a coïncidé avec les campagnes des vinophobes et des hydromanes. Les dociles clients des morticoles insensés qui proscrivaient le vin de France et, bien entendu, le petit verre, ont fait rapidement du remplacement avec l'opium et la coco, poussés par ce besoin
d'euphorie que nous examinerons plus loin. C'était proprement tomber de Charybde - et d'un Charybde, quant au vin, inoffensif - en Scylla. Mieux vaut encore, à tout prendre, et bien que l'habitude en soit répugnante, se pocharder de temps en temps, et selon le rite traditionnel, se pocharder ne veut pas tant dire s'alcooliser que d'avoir recours à la terrible seringue Pravaz. Sans doute la sobriété est l'idéal, et elle est la règle de ces derniers mainteneurs de toute civilisation que sont les ordres religieux. Mais ceux qui, restant dans le monde, admettent la nécessité d'un stimulant, d'un auxilium contre les misères et les obstacles d'ici-bas, en dehors de la contemplation et de la prière, ceux-là seront sages de s'en tenir au vin, ami fidèle et sans caprices, pondérateur de l'organisme et régulateur de l'appétit. »