Le meilleur Pascal

Henri Brémond
Extrait de l'Histoire du sentiment religieux en France - L'école de Port-Royal. Le véritable, le meilleur Pascal, écrit Henri Brémond, n'est pas le Pascal querelleur des Provinciales, le rigoriste misanthrope raillé par Voltaire. C'est celui de la dernière année, alors qu'il s'est éloigné des amis de Port-Royal, celui que le sort des pauvres, de tous les chrétiens, préoccuppe. Par-delà le Christ exclusif de Jansénius, le meilleur Pascal est celui qui redécouvre le Christ de l'Évangile, mort pour tous les hommes. Et personne mieux que lui n'a su trouver les accents qu'il prend pour nous le faire aimer.
Le Pascal janséniste essaie de légitimer, de canoniser la résistance qu'il sait bien qu'il oppose à la véritable Église. Nous avons, par malheur, ces tristes brouillons. D'inconscients humoristes les publient comme fragments de l'Apologie! — «Le Pape... très aisé à être surpris, à cause de la créance qu'il a aux jésuites». Eh! qui vous assure que les Papes des premiers siècles n'auraient pu être surpris? Où nous menez vous? «Si l'ancienne Église était dans l'erreur, l'Église est tombée. Quand elle y serait aujourd'hui,cen'est pas de même». Distinction commode, mais sur quoi repose-t-elle? Où finit l'ancienne Église?

Dans l'Église d'aujourd'hui, ou bien «zèle sans science», ou bien «science sans zèle», ou enfin «ni science ni zèle». À Port-Royal, au contraire, «et zèle et science» , ils «sont excommuniés de l'Église et sauvent néanmoins l'Église».

Voilà certes de quoi réjouir les protestants et tranquilliser les libertins; mais voici que, jusque dans ces boutades anti-catholiques, se trahit le meilleur Pascal:
    En considérant l'Église comme unité, le Pape, qui en est le chef, est comme tout. En la considérant comme multitude, le Pape n'en est qu'une partie.

Qu'importe ce dernier point? Il nous suffit que le Pape soit «chef», qu'il n'y ait pas d'unité possible en dehors de lui, que «la multitude qui ne se réduit pas à l'unité», et que, par suite, le jansénisme, soit «confusion».
    Le Pape est premier... Quel autre est reconnu de tous, ayant pouvoir d'insinuer dans tout le corps, parce qu'il tient la maîtresse branche, qui s'insinue partout? Qu'il était aisé de faire dégénérer cela en tyrannie!

Que nous importe encore une fois? Tyran, Dieu le jugera, mais ses pires fautes ne l'empêcheront point de tenir «la maîtresse branche». Ainsi de l'Église, elle n'«inspire» pas, comme Dieu, et je ne sache pas d'ailleurs qu'elle prétende à ce rôle, mais enfin elle «enseigne... infailliblement... Ce qu'elle fait suffit pour condamner». Après cela, comment s'étonner que, dans la dernière année de sa vie, loin de ses amis jansénistes, seul avec Dieu et avec les pauvres, Pascal, enfin apaisé, rendu à lui-même, enfin logique, ait tiré la conséquence nécessaires de telles prémisses. Écoutez son confident suprême, le génovéfain Paul Beurrier, que «M. Pascal, six semaines avant sa mort, envoya quérir pour le consulter sur les affaires de sa conscience»; qui vint le voir «très souvent,» et qui le confessa «plusieurs fois», pendant les «six semaines» que «dura.. sa dernière maladie». Dès notre première entrevue, raconte Beurrier,
    il me mit... sur les matières du temps qui faisaient tant de bruit entre les doctes catholiques sur la doctrine de la grâce, de la puissance et autorité du Pape... et me dit qu'il gémissait fort de voir cette division entre les fidèles... m'ajoutant, qu'on l'avait voulu engager dans ces disputes, mais que..., depuis deux ans, il s'en était retiré brusquement, vu la grande difficulté de ces questions si difficiles de la grâce et de la prédestination. Et pour la question de l'autorité du Pape, il l'estimait aussi de conséquence, et très difficile à vouloir connaître ses bornes, et qu'ainsi, n'ayant point étudié la scolastique,

beaucoup de «zèle», mais pas assez de «science»
    il avait jugé qu'il se devait retirer de ces disputes... et ainsi qu'il se tenait au sentiment de l'Église touchant ces grandes questions, et qu'il voulait avoir une parfaite soumission au vicaire de Jésus-Christ, qui est le Souverain Pontife.

Ayant ainsi reconnu, en catholique et en savant, les imprudences «dangereuses» de ses premières aventures théologiques, ayant compris d'une part que la véritable tradition ne s'apprend pas en quelques semaines, et d'autre part que ni la «science», ni le «zèle» des maîtres de Port-Royal ne sauraient prévaloir contre l'autorité infaillible de l'Église, si Pascal avait eu le temps de se remettre à «ces questions difficiles de la grâce et de la prédestination», on peut croire qu'il aurait fini tôt ou tard par donner raison, non plus seulement en catholique docile, mais en savant, aux adversaires de Jansénius. Il se trouvait du reste, et depuis longtemps, orienté vers cette évolution bienfaisante. Comment veut-on en effet qu'un génie si vigoureux, si lumineux, si loyal n'ait jamais entrevu l'infirmité congénitale, si j'ose dire, d'une école dont les chefs ou bien ne s'entendaient pas eux-mêmes ou bien n'avaient pas le courage d'avouer toute leur pensée. D'une Provinciale à l'autre, on lui avait fait défendre le pour et le contre, aujourd'hui ridiculiser, demain louer les thomistes. Au nom de Jansénius, on l'avait façonné à croire, — et il avait cru certainement — que Jésus-Christ n'est pas mort pour tous les hommes, que certains commandements sont impossibles aux justes (question de droit), et bientôt les mêmes maîtres lui avaient enseigné que Jansénius n'a point soutenu ces monstres d'erreur (question de fait). Or, je sais bien qu'en pleine bataille, on n'y regarde pas de si près; la passion l'emporte sur la logique; par tous les moyens, il faut vaincre ou du moins tenir; mais le calme enfin revenu, un philosophe, un Pascal découvre bientôt les paralogismes. qui lui avaient d'abord échappé. On l'a fort bien dit, Pascal, dans la fièvre d'une polémique, «ne se rend jamais. La contradiction l'excite et l'arme de puissances nouvelles et de nouvelle volonté. Mais son intelligence est plus impartiale que son tempérament»; elle ne lui permettrait pas de concilier indéfiniment le oui et le non. Aussi bien. avouait-il au discret Nicole, «qu'il trouvait un peu à redire à quantité d'écrits jansénistes», y compris, je pense, aux rudes thèses de M. Arnauld. «Quoiqu'il fût la personne du monde la plus roide et la plus inflexible pour les dogmes de la grâce efficace, il disait néanmoins que s'il avait eu à traiter cette matière, il espérait de réussir à rendre cette doctrine si plausible et de la dépouiller tellement d'un certain air farouche qu'on lui donne, qu'elle serait proportionnée au goût de toutes sortes d'esprit». Ceci, bien entendu et comme on le voit, au plus vif de sa ferveur janséniste. Que n'a-t-il eu le temps et la force de tenter cette chimérique entreprise? Il eût bientôt vu que la difficulté n'était pas, comme il l'imaginait, d'ordre littéraire ou moral, mais dogmatique, et que nul «tempérament» n'atténuerait la «dureté» foncière du jansénisme. Ce n'est pas telle ou telle formule de Jansénius ou d'Arnauld, c'est leur doctrine même qui est «farouche». François de Sales en personne arriverait-il à dire suavement que le Christ n'est pas mort pour tous?

Mais à quoi bon chercher si loin? Une lecture attentive des Pensées ne rend-elle pas sensible, soit le conflit que nous avons dit entre le Pascal janséniste et l'autre, le meilleur Pascal, soit la victoire suprême du second sur le premier? Qui ne voit en effet que ce qu'il y a de plus original, de plus vivant, de plus fort dans l'apologétique des Pensées, de plus profond dans la vie intérieure de Pascal, respire, comme on disait alors, contre les dogmes de Jansénius? Et sans doute, il a d'abord conçu la grâce comme une concupiscence sainte, une assurance béatifiante, une certitude personnelle; sans doute l'intime jouissance de sa prédestination le tient dans la joie, modifie sa foi, son espérance, sa charité; donne un autre accent que celui que l'on croit entendre d'ordinaire au Mémorial et au Mystère de Jésus; mais enfin il n'y a pas que cela dans sa conception et son sentiment du christianisme: il y a encore l'idée réelle et vécue de la coopération personnelle et de l'amissibilité, possible malgré tout, de la vocation et de la grâce; il y a l'idée anti-janséniste du travail méthodique et ascétique de la volonté, organe de créance; il y a la recherche d'une voie spéculative et pratique pour exercer une action sur les incroyants, il y a le désir apostolique de susciter dans l'âme de ses lecteurs une initiative, de leur faire tendre, à tous, les bras au Libérateur. S'il paraît quelquefois se mettre en contradiction avec les mystiques et avec l'école française sur l'objet suprême de la religion, il rentre dans l'orthodoxie par son insistance à proclamer, contre les faux mysticismes, que Jésus-Christ est la seule voie, la seule vérité, la seule vie. S'il exagère les suites de la faute originelle, et si nous préférons de ce chef aux outrances de son augustinisme la philosophie plus humaine et tout ensemble plus divine de François de Sales, son erreur même sur tous ces points nous met en garde contre un optimisme décevant qui méconnaîtrait, soit la malice intrinsèque du mal, soit la distinction nécessaire entre l'ordre de la nature et celui de la grâce, comme si la création n'avait qu'à se déployer en son sens pour atteindre la fin divinement marquée à sa destinée. Encore une fois, je n'oublie pas que, dans vingt endroits de son livre, Pascal nous montre le monde présent comme un enfer où toute communication est rompue entre Dieu et l'homme. Il le dit, il le répète, mais à quoi bon, puisque le meilleur de ses arguments suppose une philosophie toute contraire, son appel aux raisons du cœur n'étant plus qu'une ironie désespérante si la faute originelle a complètement perverti le ceeur auquel cet appel s'adresse? J'avoue qu'il humilie notre raison, et avec outrance, mais parce qu'elle n'est que raison, et non parce qu'elle est raison déchue. Pourquoi ferait-il crédit à notre ceéur, lequel ne serait pas moins déchu que notre raison? Qu'on s'y prenne comme l'on pourra et que l'on choisisse: si le plus profond Pascal résiste à cette philosophie de François de Sales, que tantôt nousopposions au Pascal, disciple d'Arnauld, l'Apologie est bâtie sur un sophisme, elle ne vaut plus que par le style.

«C'est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c'est que la foi, Dieu sensible au caeur», si, comme on le reconnaît, je crois, Pascal n'a rien écrit de plus personnel que cette bienheureuse phrase, qui ne voit encore que par là nous est rendu le Dieu créateur, le Dieu Père que toute la tradition chrétienne nous ordonne et que le Pascal janséniste ne nous permet pas d'aborder «directement»? «Je dis que le cœur aime l'être universel naturellement», oui certes, et saint Thomas et saint François de Sales l'ont dit avant vous. Or cet amour, quasi instinctif, possible, facile à toute créature raisonnable, bien que, dans l'ordre présent, chrétiens ou païens, nous en devions les inspirations vraiment salutaires à la grâce du Christ-Rédempteur, cet amour ne saurait avoir pour objet direct l'Homme-Dieu envisagé comme «réparateur de notre misère»; il s'adresse directement à l'Être des êtres, à Dieu même. Enfin et comme tout se tient dans une tête bien faite, voici que par le même chemin qui le rapproche des humanistes dévots, Pascal rejoint aussi les mystiques, ses vrais frères. Ce cœur, en effet, qui sent Dieu et qui nous fait connaître «les premiers principes»', doit toucher, au moins par ses ultimes frontières à cette «suprême pointe de l'esprit», je veux dire, à cette zone profonde où se fait la rencontre mystique entre l'àme et Dieu. Et c'est ainsi que, dans une âme vraiment vivante, la vie elle-même, complète, corrige et déborde les formules trop étroites sur lesquelles on avait cru la régler.

«Vivante», ces trois syllabes résument ce que j'aurais voulu dire dans ce long chapitre. Plusieurs, je le crains, m'en auront voulu de tant insister et si lourdement sur le jansénisme de Pascal. On connaît aussi bien que moi les textes que j'ai invoqués, mais, au lieu de les prendre tels qu'ils sont, l'on s'ingénie à les tourner. La raison raisonnante et querelleuse de Pascal aurait accueilli les dogmes du jansénisme, son cœur les aurait toujours combattus; la théologie de Pascal aurait été plus ou moins sectaire; sa prière, exclusivement catholique; abandonnant le polémiste à ses amis de Port-Royal, nous garderions pour nous le mystique. Oui certes, si nous en avions le droit, mais la solution me paraît plus élégante que solide. Encore un coup, Pascal n'était pas homme à ne pas essayer de vivre les dogmes que ses maîtres lui présentaient comme essentiels au christianisme. En fait, il les a vécus.

Et sans doute nous aimerions mieux qu'il eût été autre, car nous voudrions, de lui à nous, une communion parfaite, nous à qui l'état d'esprit janséniste est devenu tellement inassimilable que nous ne pouvons même pas le concevoir; mais quelle compensation ne nous offre pas la belle expérience dont nous venons d'esquisser la courbe et qui a conduit Pascal de l'un à l'autre pôle de la philosophie chrétienne, c'est-à-dire de Jansénius à François de Sales, du demi-calvinisme ou du méthodisme au mysticisme traditionnel et à l'humanisme dévot. Expérience qui perdrait presque tout son prix si nous réduisions, au gré de nos préférences personnelles, la jansénisation première de Pascal. Quoi qu'il en soit, ou bien les textes n'ont plus de sens, ou il faut nous résigner à voir en lui, non pas seulement un disciple quelconque, mais l'enfant terrible du parti; celui qui se moque des subterfuges et qui voudrait afficher sur les toits la doctrine qu'on le suppliait de garder pour lui. Enfant terrible plus encore dans sa vie intérieure que dans son activité spéculative. Quand le grand Arnauld se met en prière, il laisse, à la porte de la chapelle, son bagage doctoral. Pascal au contraire; pour lui, toute doctrine religieuse est ferment et règle de vie religieuse. Et de là vient le prodigieux intérêt de l'expérience que nous racontent le Mémorial, le Mystère de Jésus, toutes les Pensées.

Nous avons reconstitué, pas à pas, cette expérience. Comme il arrive souvent, elle n'a pas donné d'abord les résultats que nous aurions cru. — «Joie, joie, pleurs de joie!» — Nous attendions plutôt des cris d'angoisse, les affres du désespoir, un Pascal tout semblable à ce que nous serions nous-mêmes si nous pensions comme lui. Ici encore, il a fallu nous incliner devant les faits. Que nos prévisions le condamnent ou non à la tristesse, Pascal n'est pas triste. Mais plus attentif à la logique de la vie morale et aux leçons de l'histoire, bien loin d'être déconcertés par cette joie, nous l'aurions presque prévue. L'amour-propre est en effet le plus subtil des théologiens; s'il accepte une doctrine cruelle, soyez sûr qu'il saura l'humaniser, l'attendrir. Ni le calvinisme, ni les écoles qui découlent de lui, n'auraient pu se propager, s'ils n'avaient invité plus ou moins expressément chacun de leurs adeptes à ne pas douter de son propre salut. Qu'importe, leur disait-on, que le Christ ne soit mort que pour quelques privilégiés, puisque nous vous offrons le moyen de croire qu'il est mort pour vous? Vieux talisman que les montanistes connaissaient déjà, et auquel la révolution religieuse du XVIe siècle avait donné un regain de force. Il ne peut presque plus rien aujourd'hui, grâce au progrès constant de la civilisation chrétienne. Nous ne voudrions plus d'un Christ qui n'eût versé «telles gouttes de sang» que pour nous, qui eût rigoureusement exclu des mérites de sa passion, les trois quarts de l'humanité. Mais Pascal en voulait encore, trop noble néanmoins pour ne pas trouver douloureux le revers de son privilège, en quoi il diffère de ses terribles contemporains, les «saints» du puritanisme.

Et puis, et surtout, nous ne devons pas oublier la complexité d'une expérience où Pascal ne fut pas le seul agent ni le principal. Dieu l'a visité dans la nuit du ravissement; le Christ est avec lui, lui parlant comme un ami a un ami, lui interdisant l'inquiétude et lui commandant la joie. Que, du reste, il ait interprété ces grâces exceptionnelles d'après les dogmes qu'il professait alors; qu'elles aient donc été pour lui ce qu'elles n'étaient en effet ni ne pouvaient être, à savoir des «signes» certains de «prédestination», il n'y a rien là qui puisse nous embarrasser. La grâce nous prend tels que nous sommes, elle se risque même à paraître confirmer pour un temps les illusions dont elle veut, dont elle saura bien nous guérir. Faisons-lui crédit: l'âme qu'elle travaille ici est souple, mobile, vivante au sens le plus intense du mot.

Plus nous avançons, plus l'expérience se complique. Deux courants ou deux ferments opposés se disputent la prière de Pascal, d'une part l'instinct catholique et la grâce, de l'autre les idées-forces du jansénisme. Il va sans dire que de cette contradiction permanente et active, Pascal n'a pas conscience. Elle ne l'en divise pas moins, comme nous l'avons longuement montré, suivant, dans ses outrances, d'ailleurs logiques, l'enfant terrible du parti, le voyant s'écarter de plus en plus de la tradition religieuse qu'il pense défendre, pendant qu'une philosophie plus haute et qu'une prière plus profonde, insensiblement le ramènent au catholicisme intégral. A-t-il nettement reconnu dans les derniers mois de sa vie, a-t-il effacé le schisme intérieur que l'on vient de dire, cela nous paraît presquecertain, mais quand il nous faudrait rejeter parmi les fables l'affirmation ferme, franche, décisive du prêtre qui reçut, à maintes reprises, ses dernières confidences, nous n'en resterions pas moins persuadés que le meilleur, que le vrai Pascal est tout nôtre. Il l'est par tout ce qu'il y a d'unique vraiment dans ses Pensées; il l'est par les principes premiers de son apologétique victorieuse; il l'est plus encore par l'incomparable témoignage qu'il a rendu à la personne de notre Christ. Si le cœur a ses raisons que la raison ne comprend pas, l'amour de Pascal pour le Rédempteur a sa théologie qui déborde, qui réfute surabondamment les inhumaines spéculations de l'auteur des Écrits sur la grâce. Si Pascal a d'abord cru chercher le Christ de Jansénius, il a sûrement trouvé le Christ de l'Évangile et de l'Église, celui qui nous a enseigné le Pater noster, celui qui est mort pour tous les hommes. Ce Rédempteur, cet Homme-Dieu, on peut dire, je crois, sans exagération que, personne, depuis bien des siècles, personne autant que Pascal, ne nous a convaincus de sa réalité et de son amour. Sans phrases, sans éloquence, et même sans poésie. «Il est si peu déclamatoire et si vrai», disait de lui Maine de Biran.
    Je pensais à toi dans mon agonie, j'ai versé telles gouttes de sang pour toi...
    Je te suis plus ami que tel ou tel...
    Je t'aime plus ardemment que tu n'as aimé tes souillures.
Pour ces divines paroles, qui ne donnerait les plus beaux sermons du monde, et jusqu'aux Élévations de Bossuet. «Il faut avoir beaucoup prié pour apprendre aux autres à prier». Non, cela ne suffit pas toujours; il faut encore avoir prié d'une certaine façon, d'ailleurs ineffable, qui émeuve d'abord les moins recueillis, qui leur donne comme la sensation du Christ présent. Telle est la prière de Pascal. Nous en connaissons de plus sublimes, mais non, si l'on peut dire, de plus contagieuses, mais non de plus semblables aux prières de l'Évangile. «Seigneur, a qui donc irions-nous, puisque c'est vous, et vous seul, qui dites les paroles de la vie éternelle?» — «Seigneur, voici que celui que vous aimez est malade.»; — «Seigneur, la nuit tombe, restez avec nous». Pascal voit le Christ, il lui parle, il l'entend comme l'ont vu, l'ont entendu et lui ont parlé, Pierre, Madeleine et les disciples d'Emmaüs. Il peut dire avec saint Jean: Quod vidimus... et manus nostram tontrectaverunt de verbo vitae.

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