Le chasseur et sa proie
L'inégalité entre le chasseur et la proie constitue l'essence même de la chasse. Ortega y Gasset y revient constamment dans ses Méditations
Le combat est une agression mutuelle. En chasse toutefois, il s'agit toujours d'un animal qui s'efforce de chasser, pendant que l'autre s'efforce de ne pas être chassé. La chasse n'est pas réciproque. Elle ne l'est pas car elle consiste en une relation entre animaux qui exclut l'égalité de niveaux vitaux entre les deux et encore plus, c'est évident, qui exclut qu'elle puisse être exercée entre un animal inférieur à l'égard d'un animal supérieur. Le lion qui rencontre un tigre n'essaie pas de le chasser; il le laisse passer ou il le combat, car il sait que le tigre fera de même avec lui. Leur quasi-égalité est tellement fameuse qu'elle constitue le thème préféré des discussions dans les bar de province, à savoir si c'est le lion ou le tigre qui est le roi du désert.
L'inégalité essentielle entre la proie et le chasseur n'empêche pas l'animal poursuivi de surpasser parfois le poursuivant en qualités. Il peut être plus rapide ou plus fort ou plus perspicace. L'équilibre général des qualités vitales avantagera toujours le chasseur sur le chassé. La chasse est irrémédiablement un jeu du haut vers le bas.
Ainsi, sans l'avoir cherché, l'inégalité de niveau entre les espèces, ou hiérarchie zoologique, se manifeste à nous dans le fait universel de la chasse.
Au lieu de fonder la conceprion de la chasse sur sa technique ou sur les diverses fins auxquelles nous l'appliquons, nous devons l'extraire de sa finalité même qui devient manifeste dans l'activité du chasseur. La finalité interne du jeu de la chasse est simplement son terme, sa conclusion quand elle est complétée: c'est-à-dire quand c'est une chasse heureuse. Alors, la chasse se termine simplement par la prise de possession de la proie, morte ou vive. p. 64