La chasse régulatrice de la vie
La chasse n'est pas quelque chose qui arrive à l'animal par hasard, car dans les profondeurs instinctives de sa nature il a déjà prévu le chasseur. C'est que la chasse est un des grands instruments que la nature utilise pour régler la vie sur la planète. Les espèces, dit Cuvier, 1 sont nécessaires, les unes comme proies, les autres comme destructeurs et modérateurs de propagation. On ne peut se représenter rationnellement un état de choses où il y aurait des mouches sans hirondelles et réciproquement. Seules échappent à la sensibilité de l'animal les choses qui ne sont pas naturelles.2
C'est terrible et admirable de voir comment chaque espèce chasseuse est associée à un groupe d'espèces qui sont ses proies. Le profil de la capacité agressive que celles-là possèdent coïncide précisément au profil de la capacité défensive et évasive de celles qui constituent leur usufruit. Ce qui nous fait réaliser qu'il n'y a pas de chasseur universel, une confirmation éminente de notre thèse: que la chasse implique une inégalité entre les espèces, mais que cette inégalité ne peut être excessive. Aquila non capit muscas. 3
On oublie que la vie entière de l'animal est modelée par l'attente incessante d'une agression; pour lui vivre est une alerte perpétuelle contre le chasseur, qui souvent n'existe pas. Plus que voler, courir et être aux aguets, les habitudes nocturnes de l'animal le défendent. Ici, nous avons un mystère biologique dont l'explication habituelle et évidente ne le rend que plus hermétique. C'est tragique qu'un animal merveilleux, dont la simple contemplation nous convaint qu'il a été fait pour la lumière, ait déformé son existence en convertissant le jour en nuit et vice-versa.4
Notes
1) Baron Georges Cuvier (1769-1832) zoologiste et paléontologue français, fondateur de l'anatomie comparée, mais qui s'est opposé à la théorie de l'évolution.
2) p.69
3) L'aigle ne chasse pas les mouches. p. 69
4) p.70