De l'histoire et de la géographie
Ce n'est pas assez pour nous de vivre avec nos contemporains et de les dominer. Animés par la curiosité et par l'amour propre, et cherchant par une avidité naturelle à embrasser à la fois le passé, le présent et l'avenir, nous désirons en même temps de vivre avec ceux qui nous suivront, et d'avoir vécu avec ceux qui nous ont précédés. De là l'origine et l'étude de l'histoire, qui, nous unissant aux siècles passés par le spectacle de leurs vices et de leurs vertus, de leurs connaissances et de leurs erreurs, transmet les nôtres aux siècles futurs.
C'est là qu'on apprend à n'estimer les hommes que par le bien qu'ils font, et non par l'appareil imposant qui les environne : les souverains, ces hommes assez malheureux pour que tout conspire à leur cacher la vérité, peuvent eux-mêmes se juger d'avance à ce tribunal intègre et terrible; le témoignage que rend l'histoire à ceux de leurs prédécesseurs qui leur ressemblent est l'image de ce que la postérité dira d'eux.
La chronologie et la géographie sont les deux rejetons et les deux soutiens de la science dont nous parlons, l'une place les hommes dans le temps; l'autre les distribue sur notre globe. Toutes deux tirent un grand secours de l'histoire de la terre et de celle des cieux, c'est-à-dire des faits historiques et des observations célestes; et s'il était permis d'emprunter ici le langage des poètes, on pourrait dire que la science des temps et celle des lieux sont filles de l'astronomie et de l'histoire.
Un des principaux fruits de l'étude des empires et de leurs révolutions est d'examiner comment les hommes, séparés, pour ainsi dire, en plusieurs grandes familles, ont formé diverses sociétés; comment ces différentes sociétés ont donné naissance aux différentes espèces de gouvernements; comment elles ont cherché à se distinguer les unes des autres, tant par les lois qu'elles se sont données, que par les signes particuliers que chacune a imaginés pour que ses membres communiquassent plus facilement entre eux. Telle est la source de cette diversité de langues et de lois, qui est devenue, pour notre malheur, un objet considérable d'étude. Telle est encore l'origine de la politique, espèce de morale d'un genre particulier et supérieur, à laquelle les principes de la morale ordinaire ne peuvent quelquefois s'accommoder qu'avec beaucoup de finesse, et qui, pénétrant dans les ressorts principaux du gouvernement des États, démêle ce qui peut les conserver, les affaiblir ou les détruire : étude peut-être la plus difficile de toutes, par les connaissances qu'elle exige qu'on ait sur les peuples et sur les hommes, et par l'étendue et la variété des talents qu'elle suppose, surtout quand le politique ne veut point oublier que la loi naturelle, antérieure à toutes les conventions particulières, est aussi la première loi des peuples, et que, pour être homme d'État, on ne doit point cesser d'être homme.
Voilà les branches principales de cette partie de la connaissance humaine qui consiste ou dans les idées directes que nous avons reçues par les sens, ou dans la combinaison et la comparaison de ces idées, combinaison qu'en général on appelle philosophie. Ces branches se subdivisent en une infinité d'autres dont l'énumération serait immense et appartient plus à l'Encyclopédie même qu'à sa préface.