Je ne sais où l'on a pris que le style de Buffon a de l'emphase: il n'a que de la noblesse; de la dignité, une magnifique convenance, une clarté parfaite. Il est élevé, moins par le mouvement et le jet, que par la continuité même dans un ordre toujours sérieux et soutenu.
Fontenelle, avant Buffon, avait beaucoup fait pour introduire parmi le monde, pour insinuer la science; mais quelle différence entre cette démarche oblique et mince et la manière grande, ouverte et vraiment souveraine de Buffon! Ce à quoi Buffon tenait avant tout en écrivant, c'était à la suite, au lien du discours, à son enchaînement continu. Il ne pouvait souffrir ce qui était haché, saccadé, et c'était un défaut qu'il reprochait à Montesquieu. Il attribuait le génie à la continuité de la pensée sur un même objet, et il voulait que la parole en sortit comme un fleuve qui s'épand et baigne toutes choses avec plénitude et limpidité. «Il n'a pas mis dans ses ouvrages un seul mot dont il ne pût rendre compte.» On voit, d'après une critique qu'il fit en causant d'un écrit de Thomas, ce qu'il entendait par ces petits mots, par ces liens naturels et ces nuances graduées du discours, et quelle finesse de goût il y apportait. Il était, en ce genre de soin, aussi scrupuleux que le plus délicat des Anciens; il avait l'oreille, la mesure et le nombre. La clarté autant que l'enchaînement était sa grande préoccupation. En faisant lire tout haut à son secrétaire ses manuscrits, au moindre arrêt, à la moindre hésitation, il mettait une croix, et corrigeait ensuite le passage jusqu'à ce qu'il l'eût rendu lumineux et coulant. Après cela, je ne trouve pas chez lui une nouveauté ni une création d'expression aussi vive qu'il se pourrait aujourd'hui imaginer;
Chateaubriand à cet égard, et même Bernardin de Saint-Pierre, l'ont fait pâlir. On cite chez lui quelques exemples charmants d'une langue neuve et véritablement trouvée, mais ils sont rares. La grande beauté chez Buffon consiste plutôt dans la suite et la plénitude du courant. Son expression, du moins, n'a jamais ce tourment ni cette inquiétude qui accompagne chez d'autres l'extrême désir de la nouveauté. Elle offre, dans certains coins de tableaux, de ces grâces légères qui me touchent plus que les endroits plus souvent cités. Par exemple, parlant du Cerf: «Le Cerf, dit-il, paraît avoir l'œil bon, l'odorat exquis et l'oreille excellente. Lorsqu'il veut écouter, il lève la tête, dresse les oreilles, et alors il entend de fort loin:
lorsqu'il sort dans un petit taillis ou dans quelque autre endroit à demi découvert, il s'arrête pour regarder de tous côtés, et cherche ensuite le dessous du vent pour sentir s'il n'y a pas quelqu'un qui puisse l'inquiéter.»
Quel tableau léger, dessiné en trois lignes, et tranquillement complet! Ainsi, parlant de la Fauvette babillarde, de cet oiseau au caractère craintif et si prompt à s'effrayer, il dira: «Mais l'instant du péril passé, tout est oublié, et le moment d'après notre Fauvette reprend sa gaieté, ses mouvements et son chant.
C'est des rameaux les plus touffus qu'elle le fait entendre; elle s'y tient ordinairement couverte, ne se montre que par instants au bord des buissons, et rentre vite à l'intérieur, surtout pendant la chaleur du jour. Le matin, on la voit recueillir la rosée, et, après ces courtes pluies qui tombent dans les jours d'été, courir sur les feuilles mouillées et se baigner dans les gouttes qu'elle secoue du feuillage.»
C'est dans ces parties fines et transparentes que Buffon se rejoint comme peintre à Bernardin de Saint-Pierre, lequel apportera de plus, dans ces scènes de la nature, un rayon de lune et une demi-teinte de mélancolie.