Le destin de Lucien Bouchard et l'avenir du Québec - S'associer à un projet de constitution pour faire avancer le Québec

Guy Laforest
Lucien Bouchard aura été l'un des leaders politiques les plus populaires de l'histoire du Québec. Un sondage récemment paru dans Le Devoir démontre que l'affection de la population à son égard demeure très forte. Dans l'article d'hier, j'ai rappelé que la carrière de M. Bouchard reste associée à plusieurs échecs du Québec. Cet homme ne veut plus faire de politique active mais souhaite encore contribuer à l'avancement de notre société.

J'estime qu'il y a un projet, cent fois commencé mais jamais complété depuis la Révolution tranquille, qui permettrait à M. Bouchard de donner sa pleine mesure tout en faisant énormément avancer le Québec sur le terrain de la liberté politique et sur celui de la distinction identitaire. Ce projet, c'est celui de doter notre société d'une vraie constitution, officielle et précise, au sein de la fédération canadienne.

Une idée répandue

D'un point de vue technique, le Québec possède déjà une constitution en harmonie avec le droit canadien. Celle-ci est faite de lois, de coutumes, d'arrêts judiciaires et de conventions. C'est donc une constitution informe, dispersée.

Depuis Jean Lesage en 1963, la plupart de nos premiers ministres, de nos gouvernements et de nos partis politiques se sont prononcés en faveur d'un projet de rassemblement de ces divers éléments en un tout cohérent, ordonné et éloquent. Daniel Johnson père, Robert Bourassa et René Lévesque ont sérieusement songé à faire de cette idée une priorité de l'État du Québec. Dans le monde politico-intellectuel, Jacques-Yvan Morin et Daniel Turp au Parti québécois ainsi que Gil Rémillard et Benoît Pelletier au Parti libéral du Québec ont beaucoup écrit à ce sujet.

Ce projet était dans l'air au temps de la commission Bélanger-Campeau, à laquelle Lucien Bouchard a participé. Évoquée dans le rapport Allaire en 1991, l'idée a été recommandée par le comité présidé par Jacques Gauthier et adoptée par l'Action démocratique du Québec en juin 2001.

Ces dernières années, il me semble juste de reconnaître les apports du juriste Marc Brière et du politologue Marc Chevrier sur l'urgence et la nécessité d'une réforme procurant une véritable épine dorsale constitutionnelle au Québec.

Une telle constitution, le ministre Benoît Pelletier l'a rappelé lors d'un discours fait à l'Assemblée nationale le 12 mai dernier, pourrait inclure la Charte québécoise des droits et libertés de la personne, la Charte de la langue française, la Loi électorale et celle sur les consultations populaires, en somme les lois fondamentales représentant les règles de base de notre vie politique.

Que gagnerait le Québec s'il décidait enfin à s'engager sur cette voie ? Selon le sociologue Guy Rocher, en élargissant au maximum l'autonomie politique dont dispose l'État de la nation québécoise dans un texte constitutionnel, on ferait surgir une «personnalité juridique et politique à laquelle pourront se référer tout citoyen et tout éducateur». D'après les juristes Guy Tremblay et Bjarne Melkevik, cela contribuerait à fonder la légitimité nationale du Québec et à revitaliser notre espace public. Pour le politologue Alain-G. Gagnon, l'action de doter le Québec d'une constitution serait également un marqueur identitaire fort. Selon lui, le Québec jouit de la liberté de se désigner comme il le veut, et ce droit «révèle une affirmation identitaire et constitue d'autre part l'acte d'habilitation publique par excellence».

À l'occasion du même colloque où s'exprimait le ministre Pelletier, la juriste Nicole Duplé faisait remarquer que l'intégration de la Charte québécoise des droits et libertés de la personne dans une véritable constitution pourrait donner de l'éclat à notre communauté politique. Cela s'inscrirait dans une politique de grandeur.

Ai-je tort de penser que nos patriotes les plus reconnus, à commencer par M. Bouchard, devraient se sentir interpellés par une telle idée ?

Dans un discours prononcé à Granby le 7 mai dernier, le chef de l'ADQ, Mario Dumont, soulignait que la politique autonomiste de l'ADQ, «c'est le Québec qui ne demande pas la permission pour se définir à travers sa propre constitution et sa propre appellation d'État autonome du Québec». Dans le programme adopté en 2005, le PQ, de son côté, réaffirme le besoin d'une constitution pour le Québec.

Dans un document qui porte son nom au PLQ, Benoît Pelletier affirmait qu'il pourrait être opportun de réunir nos principales lois en un vrai document constitutionnel. À peu près à la même époque, les commissions des États généraux sur l'avenir de la langue française et sur la réforme des institutions démocratiques parvenaient à la même conclusion.

L'exemple catalan

Au Québec, depuis deux décennies, on multiplie les discours sur l'identité sans progrès significatifs sur le terrain de la liberté politique. Il est temps de changer de stratégie. Il faut une grande action sur le terrain de la liberté, laquelle aura des effets positifs pour notre identité collective. En somme, le Québec a besoin de charpenter son espace juridique, sa propre constitution, pour consolider et préciser son identité politique.

Dans l'Espagne contemporaine, la Catalogne nous donne l'exemple d'une société qui donne la priorité à la recherche de liberté politique sans négliger la dimension identitaire. Le 18 juin prochain, les Catalans seront consultés par référendum sur l'approbation d'une réforme de leur statut d'autonomie, leur propre constitution interne dans l'État espagnol. Cet exemple devrait inspirer les Québécois et faire réfléchir des gens comme Lucien Bouchard. Il faut prendre le chemin de Barcelone !

Par coïncidence, le Mouvement démocratie et citoyenneté du Québec, animé par Claude Béland, organise les 17 et 18 juin un rendez-vous citoyen dans la capitale nationale sur l'idée d'une constitution pour le Québec d'aujourd'hui. En Australie, en Allemagne comme aux États-Unis, les États membres des régimes fédéraux les plus développés possèdent leur propre constitution.

Après tant de discours et trop de velléités, le temps est venu de passer aux actes sur cette question. L'enjeu fondamental a été résumé par Pierre Vadeboncoeur en une phrase brève et limpide : «Seule la victoire noue.» Le Québec a besoin d'une action gagnante, vigoureuse, pour se solidifier en tant que communauté politique. Il est impératif pour nous tous, selon l'esprit persévérant de Marc Chevrier, de nous projeter dans l'avenir, de laisser un héritage, de transmettre aux enfants du Québec le flambeau d'une constitution.

Si Lucien Bouchard s'associait à ce projet en y donnant sa caution morale et intellectuelle, en jouant un rôle clé dans une commission parlementaire élargie, à la Bélanger-Campeau, ou dans des assemblées citoyennes, il parachèverait la logique de sa carrière politique et ferait avancer la société québécoise de façon considérable.

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