Claude Ryan : un spirituel ? un priant

Benoît Lacroix
«Claude Ryan fait un grand rêve: "Vivre ensemble, prier ensemble, méditer ensemble pour l'amélioration de la société sur la base des principes évangéliques, autant d'éléments qui sont devenus pour un nombre croissant d'entre nous un véritable mode de vie." Tel est un de ses vœux les plus chers, qu'il énonce publiquement à la faculté des sciences religieuses de l'université McGill le 25 février 2000.

Comme le sont le plus souvent les gens soucieux de l'avenir des sociétés, tel un Martin Luther King, en même temps qu'il se nourrit quotidiennement de croyances et de rites fondamentaux, Claude Ryan, militant chrétien engagé, donne sa vie à la manière de son premier mentor, Jésus de Nazareth, à savoir "qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie aux personnes qu'on aime".

Encore récemment et jusqu'à ses 79 ans, il agit, il travaille, discipliné, ordonné, réfléchi. Un vrai Gibraltar ! Un rocher de Percé ! Rien de la vieillesse grippette d'un passéiste ou d'un pelleteur de nuages. Il lit, calepin en main, il écrit, il discourt, il prie, il choisit ses lieux de culte. On le retrouve parfois agenouillé au Carmel ou dans une chapelle des Sœurs Missionnaires.

Tout l'intéresse de la religion instituée. En même temps, il respecte les cheminements spirituels de tous et chacun, il s'informe, écoute, discute, commente au besoin les messages parfois envahissants de son Église. Bien sûr, l'idéal est à respecter, mais la loi à elle seule ne suffit pas. Le mystère avant le dogme ! L'Esprit vaut mieux que la lettre ! Tertullien a raison : "On ne naît pas chrétien, on le devient."

Plus complexe est la vie politique, où l'on peut sombrer avant de devenir. La vie publique deviendra sa passion la plus évidente. Cependant, et quoi qu'il arrive, son cœur, le fond de son cœur, demeure rivé à sa famille, aux petits-enfants et à leurs proches. Il a toujours en mémoire d'époux, même après plusieurs années de deuil, le souvenir de sa Madeleine Guay, cette merveilleuse femme de bonté d'esprit et de cœur.

Celui qui donne parfois l'image d'une sévère et rigide rectitude morale pratique une tendresse émouvante face à ses petits-enfants. Sa dernière, Alice, est née à peu près en même temps qu'il apprend la nouvelle : un cancer définitif. La petite, il la prendra dans ses bras et doucement l'entourera.

Autant il pratique une charité domestique étonnante de générosité, autant il nous surprend par certaines de ses diatribes partisanes qui peut-être dépassent en mots une pensée plus nuancée. Un passionné, quoi ! De toute façon, il est sans illusion, comme doivent l'être les politiciens à la guerre. En politique, chacun est un peu comme Daniel dans la fosse aux lions, et les lions ont faim ! Hosanna aujourd'hui; à mort demain ! Pour sa part, et quelles que soient ses vicissitudes politiques, M. Ryan continue tout droit son chemin. Même sa mort, il la voit tout droit en avant.

Trois événements, deux maîtres à penser

Trois événements semblent avoir influencé ses choix, comme celui de demeurer dans l'institution ecclésiale en crise. Dans les années 50, ce fut l'avancée d'un mouvement liturgique qui donne plus de place aux laïcs (enfin !). Il y eut aussi le retour aux sources bibliques qui lui permettent une meilleure connaissance de l'essentiel de la foi monothéiste telle que proclamée par le Christ en Galilée et en Judée. Et, enfin, le Concile Vatican II, dans les années 60, par lequel les droits de la conscience critique sont ouvertement proclamés.

Deux maîtres à penser : le prêtre Newman ( 1890) et le laïc Jacques Maritain ( 1973). Ce dernier, il l'a connu personnellement; il lit tous ses livres, il admire son humanisme intégral, ses engagements politiques parfois audacieux et sa défense acharnée du bien commun ou des droits de la communauté humaine, alors que les droits de la personne risquent de prendre une importance démesurée. Car pour Ryan comme pour Maritain, l'équilibre toujours recherché entre la pensée et l'action s'impose, dans un cas comme dans l'autre. Quant à Newman, il devient son préféré, et de plus en plus, au point où ses dernières heures passent à la traduction française de ses sermons.

«La main de Dieu»

La sécularisation accélérée du Québec, les critiques parfois acerbes faites à son Église ne le dérangent pas outre mesure. De ce point de vue, il est de la race pacifiante d'un Charles Taylor, voire d'un Fernand Dumont. Ce qui le heurte et le blesse profondément est moins l'arrogance que l'ignorance.

Ainsi à propos de la main de Dieu. Cette expression, plusieurs le savent, est chère à plusieurs prophètes juifs en même temps qu'elle est un thème iconographique important. Il n'est que de penser à la main du Dieu créateur de Michel-Ange à la chapelle Sixtine. En outre, la pensée symbolique est de plus en plus populaire maintenant. Hélas !, dirait-il, certains ne semblent connaître ni la référence biblique, ni l'histoire de l'art, ni même les habitudes de la pensée symbolique. Claude Ryan le supporte mal. Question d'éthique journalistique ! Mieux vaut savoir ce dont on parle avant d'en discourir.

Passons ! Oublions ! Le beau rêve de Ryan d'être ensemble, il vient de se réaliser devant nous sans que lui ait pu humainement le voir concrétisé. Cette unanimité autour de lui, ces hommages venus de ses pairs comme de ses adversaires politiques les plus coriaces, l'attention bienveillante de diverses traditions religieuses, dont l'islam, tout indique que le rêve d'être ensemble pour s'aimer, pour réfléchir, peut-être pour prier, est possible.

À Noël dernier, il a confié à un ami, jeune prêtre d'ici : "Ma maladie, je l'offre à l'Église et au Québec." Claude Ryan croit fermement et depuis longtemps, je pense, au transfert des énergies spirituelles de la vie et même de la mort, selon une tradition chère aux premiers mystiques : "Nul ne vit pour soi-même, nul ne meurt pour soi-même." »

Merci, M. Ryan.

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