Le présent texte, légèrement modifié, fut publié dans Reflets, journal de lAQRP (Association québécoise des retraités des secteurs public et parapublic), juin 2007, p. 20.
Au matin de mes quarante ans, je me lève en panique: quarante ans! Plus de la moitié de ma vie qui vient de s'arracher de mon calendrier. Jamais je n'atteindrai mes quatre-vingts ans! Or, voilà! Je n'ai encore rien fait dans ma vie, ni de ma vie! Mon sens commun me regarde avec un brin d'ironie: depuis plus de trente ans, tu t'es agité, tu as déplacé de la poussière, mais qu'as-tu vraiment accompli de bon, de beau, de neuf et de durable? Décidément, mon sens commun manque d'indulgence. Voici que sa voix se fait plus insistante: fais quelque chose de toi! Quoi donc? Fais ce que tu aurais aimé faire. Prends ta plume et écris! Cela tombe mal, je n'ai rien à dire! Si tu veux écrire, commence d'abord par réfléchir! Or, il me manque des outils pour penser et écrire. A quarante ans et plus, je reprends mon sac d'école, je flâne dans les couloirs des universités. Depuis, l'urgence du temps ne me laisse pas de répit. J'ai enseigné, lu et ruminé une tonne de pages, gribouillé des feuilles, publié des essais et des articles.
Et me voilà rendu à mes quatre-vingt ans! J'ai doublé les chiffres: deux fois quarante! Mais, qu'ai-je donc fait de mon temps? Qui suis-je devenu? Comme le dit José Saramago, «le passage du temps angoisse toujours». Le temps me glisse des mains et se casse en mille morceaux. Je puis toujours ramasser les pièces, mais ne puis plus les coller. Mon sens commun me dit: ne perds pas ton temps à la recherche du temps perdu. Le passé est passé et ne reviendra plus. Sur lui, tu n'as plus d'empire. Même si tu n'en as jamais fini avec lui, tu ne parviendras pas à le récupérer, ni à effacer ses dégâts. Cependant, si tu en as le goût, fais mémoire de ton passé, rends présents les événements et les personnes qui t'ont façonné pour le meilleur et pour le pire. Tu pourras toujours retourner au lieu d'antan où le temps t'a souri pour la première fois sur les lèvres de ta mère. C'est un jeu auquel tu pourras jouer, une illusion, c'est-à-dire: une entrée dans le jeu de la mémoire. Mais tu ne redeviendras plus l'enfant ni le jeune homme que tu étais. Rappelle-toi: tu es vieil homme maintenant, même si ton esprit pense le contraire. Ce qui est fait est fait et ce qui reste à faire, fais-le donc! Ne tarde pas! Le temps n'a pas la patience de t'attendre, comme si tu crois avoir tout le temps devant toi. Sois jaloux de ton temps. Jaloux? La belle affaire! Oui, car «le temps, c'est de l'argent», ce qui veut dire: un don.
Un don, c'est gratuit. Voilà que tu me sers des pléonasmes! Si, un don que tu accueilleras avec reconnaissance et que tu ne gaspilleras pas à des choses dont le prix ne vaut pas la chandelle. Un peu de discernement, s'il te plaît! Si tu veux perdre du temps, perds-le à toutes les choses que tu aimes, prends ton temps pour rire et pleurer, aimer et haïr, lire et écrire, comme dit le Qohélet. C'est sur le tard que je commence à comprendre certaines choses. Pourquoi si tard? Comprends-tu vraiment mieux? N'est-ce pas une illusion propre aux vieux? Après tout, je le laisse parler, ce maudit sens commun à moi. Et je me surprends à suspendre le temps, juste pour un moment. Tu ne respires plus, me dit ma femme. Je suspends le temps pour un instant, juste pour compter les étoiles, un instant éphémère, un instant d'éternité, innommable! Multiplier et faire durer ces temps de ravissement, voilà une de mes aspirations.
Et me voilà rendu à mes quatre-vingt ans! J'ai doublé les chiffres: deux fois quarante! Mais, qu'ai-je donc fait de mon temps? Qui suis-je devenu? Comme le dit José Saramago, «le passage du temps angoisse toujours». Le temps me glisse des mains et se casse en mille morceaux. Je puis toujours ramasser les pièces, mais ne puis plus les coller. Mon sens commun me dit: ne perds pas ton temps à la recherche du temps perdu. Le passé est passé et ne reviendra plus. Sur lui, tu n'as plus d'empire. Même si tu n'en as jamais fini avec lui, tu ne parviendras pas à le récupérer, ni à effacer ses dégâts. Cependant, si tu en as le goût, fais mémoire de ton passé, rends présents les événements et les personnes qui t'ont façonné pour le meilleur et pour le pire. Tu pourras toujours retourner au lieu d'antan où le temps t'a souri pour la première fois sur les lèvres de ta mère. C'est un jeu auquel tu pourras jouer, une illusion, c'est-à-dire: une entrée dans le jeu de la mémoire. Mais tu ne redeviendras plus l'enfant ni le jeune homme que tu étais. Rappelle-toi: tu es vieil homme maintenant, même si ton esprit pense le contraire. Ce qui est fait est fait et ce qui reste à faire, fais-le donc! Ne tarde pas! Le temps n'a pas la patience de t'attendre, comme si tu crois avoir tout le temps devant toi. Sois jaloux de ton temps. Jaloux? La belle affaire! Oui, car «le temps, c'est de l'argent», ce qui veut dire: un don.
Un don, c'est gratuit. Voilà que tu me sers des pléonasmes! Si, un don que tu accueilleras avec reconnaissance et que tu ne gaspilleras pas à des choses dont le prix ne vaut pas la chandelle. Un peu de discernement, s'il te plaît! Si tu veux perdre du temps, perds-le à toutes les choses que tu aimes, prends ton temps pour rire et pleurer, aimer et haïr, lire et écrire, comme dit le Qohélet. C'est sur le tard que je commence à comprendre certaines choses. Pourquoi si tard? Comprends-tu vraiment mieux? N'est-ce pas une illusion propre aux vieux? Après tout, je le laisse parler, ce maudit sens commun à moi. Et je me surprends à suspendre le temps, juste pour un moment. Tu ne respires plus, me dit ma femme. Je suspends le temps pour un instant, juste pour compter les étoiles, un instant éphémère, un instant d'éternité, innommable! Multiplier et faire durer ces temps de ravissement, voilà une de mes aspirations.