L'Encyclopédie sur la mort


« Les vieux ne meurent pas… » (Brel)

Éric Volant

Le présent article, publié dans Reflets (AQRP, décembre 2006, p. 13) est le résumé d’une communication sur l’exclusion* des aînés au colloque de la prévention* du suicide en janvier 2006 à Jonquières (Saguenay, Québec, Canada) et s’inspire de l'article Éric Volant, « À la fin d’une longue, très longue journée », Frontières, vol. 18, n.2 (2006), p. 41-45.
À l’approche de la mort du vieux couple Nicolas et Pernelle, Albus Dumbledore confie à Harry Potter que, pour eux, la mort, « c’est comme se coucher à la fin d’une longue, très longue journée. Après tout, pour un esprit équilibré, la mort n’est qu’une grande aventure de plus. » (1) Au regard rétrospectif des personnes âgées, la vie paraît comme une seule journée dont certaines heures furent trop longues, pleines d’ennui ou de désarroi, et d’autres, trop brèves, plus denses ou intenses, plus joyeuses ou plus tragiques. Il n’est donc pas inusité de voir les vieux se préparer à la mort, petit à petit, comme à une dernière heure, une expérience ultime. En vieillissant, on se fait à l’idée de mourir. Jacques Brel chante : « Les vieux ne meurent pas, ils s’endorment un jour et dorment trop longtemps. » C’est vrai pour certains d’entre eux qui veulent comme Hamlet « mourir, dormir, c’est tout. » (2) D’autres, par contre, décident de mourir, parfois pour rompre avec une vie estimée insupportable, parfois pour céder à une mort ressentie comme déjà présente ou très proche.

Si des personnes âgées se tuent et prennent pour arriver à leurs fins des moyens efficaces, c’est parce que leur décision de mourir est longuement mûrie et, par conséquent, très ferme. Se tuent-elles plus facilement parce que leur sacrifice à faire serait plus léger à quatre vingt-cinq ans qu’à soixante ans ou à quarante ans ? Peut-être pour certains d’entre eux ! En tout cas, leur suicide ne me paraît pas tant un acte de non-respect de la vie - dont elles ont pu pleinement apprécier le sens et la bonté pendant de longues années - que la cessation d’une longue journée dont l’ennui ou le tourment pèsent désormais trop lourds sur leurs épaules devenues fragiles.

Des mauvaises conditions d’hébergement, l’insuffisance des traitements médicaux, le non-respect de la capacité de consentement (ou de refus) aux dits traitements, le préjugé de l’inutilité sociale ou économique des personnes âgées font que la vieillesse est subie par certaines d’entre elles, comme une sanction injuste. Des cas d’intégration excessive, comme celui d’un contrôle sévère des médicaments ou de l’alimentation, chez des personnes vaillantes et lucides, ou, dans certaines maisons d’hébergement, une stricte surveillance de leurs allers et venues ou de leurs visites les insultent. Elles ne veulent pas être traités comme des enfants ou comme des irresponsables, elles qui ont eu un passé de responsabilités diverses et ont encore un esprit très éveillé, même si leur démarche est moins vive et le débit de leurs paroles plus lent ou plus hésitant.

Les pertes multiples et accumulées ouvrent, dans leur chair et leur cœur, une plaie béante dans laquelle peut s’infiltrer le désir de mourir. La liste n’est pas exhaustive : perte de sa santé et de son intégrité physique ; diminution auditive et visuelle avec limitation des déplacements et confinement à la chambre ; la mort d’un conjoint, d’un enfant, ou d’un proche ; perte de son domicile et de son environnement habituel ; perte des enfants par leur éloignement ou leur indifférence ; perte de relations et d’activités sociales ; souvenir d’une perte très douloureuse qui refait surface avec une grande intensité ; perte de son innocence ou le regret déchirant des erreurs ou des omissions de son passé, le sentiment de l’insignifiance de sa vie présente ! Toutes ces pertes contribuent à un rétrécissement de la vie, à une réduction du pouvoir d’agir et à une diminution de leur effort pour exister.

La tâche des intervenants est fort délicate. Or, on ne peut pas vouloir sauver coûte que coûte la vie de l’autre, car on ne peut pas tout faire. En revanche, ne rien faire, « parce que c’est inutile », par une sorte de fatalisme n’est pas mieux, car on ne peut pas abandonner une personne. Toute personne, jeune ou âgée, a besoin d’un accompagnement discret et d’un soutien effectif pour vivre et, le cas échéant, pour se détacher de sa vie lentement et progressivement, sans nécessairement demander une aide médicale qui prendrait la forme de l’euthanasie* ou du suicide assisté*.


(1) J. K. Rowling, Harry Potter. À l’école des sorciers, Paris, Gallimard, 2000, p. 290.
(2) Shakespeare, Hamlet, III, 1
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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