L'Encyclopédie sur la mort


La leçon que les vieux apportent aux enfants: la mort

Né à Paris en 1921 et décédé en 1991, Michel Philibert, professeur titulaire à l'université des Sciences sociales de Grenoble (aujourd'hui Université Pierre-Mendès-France) a fondé en 1970 avec le professeur de gériatrie Robert Hugonot le Centre Pluridisciplinaire de Gérontologie qu'il codirigera, puis dirigera jusu'en 1989. La même année, il fonde la revue Gérontologie, dont il sera le rédacteur en chef jusu'à sa mort en 1991.

« Le 3° âge : un nouveau regard sur la vieillesse » est une conférence que Michel Philibert a donnée à Annemasse le 22 octobre 1982 dont  voici un extrait sur le deuil et sur le fait d'être vieux :

La mort c'est une séparation cruelle avec les gens que nous avons aimés ou avec lesquels nous avons vécu (aimés ou détestés,ça dépend des jours) mais avec qui nous avons été liés profondément par des émotions, des besoins, des intérêts, des actions communes, des souffrances communes. La mort nous sépare, la vie nous sépare quelquefois aussi des gens. La mort nous sépare et il semble que ce soit radical, et dans le deuil, dans le chagrin, on pleure une mutilation dont on pense que rien ne nous consolera; et puis il s'opère ce que le psychologue appelle le travail du deuil; c'est un lent travail de réflexion qui peut prendre des semaines, des mois, plus longtemps quelquefois, mais qui une fois fait, vous permet de continuer à avancer dans la vie sans être arrêté à chaque instant par la pensée : jamais plus, c'est fini. Et ce n'est pas comme on l'interprète superficiellement un oubli de mort (oh il y a des morts que nous oublions bien sûr! en un sens il le faut pour continuer à vivre), mais en réalité, le travail du deuil aboutit à changer le statut dans notre coeur et dans notre esprit de la personne que nous avons perdue et à nous permettre de retrouver - je ne craindrais pas à le dire - une nouvelle forme de communication, dans les deux sens, avec ceux qui sont morts (je ne fais pas allusion à des pratiques de spiritisme encore qu'elles aient une signification, mais enfin elles ne sont pas dans les perspectives de notre mentalité d'aujourd'hui), non : ce que je veux dire, c'est que chacun d'entre nous, s'il réfléchit maintenant à des gens qu'il a connus et qui sont morts depuis des années (des grands-parents, des professeurs, etc.) il arrive encore aujourd'hui qu'ils nous disent des choses nouvelles, je veux dire par là, quand vous avez des enfants ou des petits-enfants, vous êtes amenés à repenser à des souvenirs de votre propre enfance et à  des gestes ou à des propos de vos propres parents dont vous avez gardé le souvenir mais que vous n'aviez pas compris quand vous étiez enfant, et que maintenant que vous avez des enfants, ou maintenant que vous êtes malade, vous dites : mon père, ma mère, mon grand-père, mon professeur, mon vieux curé, peu importe, je comprends maintenant ce qu'il voulait dire, parce que maintenant j'ai de quoi le comprendre; qu'est-ce que la  piété filiale? C'est-à-dire je ne fais pas cette chose, je n'aurais pas pu le faire devant ma mère, devant mon père (pression terrible des vieux, du surmoi...), mais c'est aussi ça l'être humain. Il y a des gens dont le jugement nous paraît plus important que d'autres. C'est l'exemple de leurs actions et de leurs propos qui nous fait trouver la voie. Et nous disons, « oui c'est ça qu'il faut faire, et c'est une chose qu'ils n'ont pas faite, ils n'étaient pas dans les mêmes circonstances, mais c'est parce que nous les avons vu faire que nous les faisons aujourd'hui ». C'est en ce sens que je dis que le travail du deuil permet aussi de comprendre que les morts d'une certaine manière, continuent de vivre avec nous, non seulement  par leurs oeuvres, par les nombres, les découvertes scientifiques, par le long labeur anonyme des gens qui ont souffert, travaillé pour construire des routes, des ponts, les morts vivent avec nous par le souvenir des paroles et des actes. Ils ont paru incarner la grandeur humaine et nous fixer une direction.

[...]

Qu'est-ce qu'un vieux? C'est quelqu'un qui a vécu plus longtemps. Qu'est ce que ça permet de vivre plus longtemps? et que n'ont pas les gens qui n'ont pas vécu longtemps? Eh bien c'est très simple. Ça permet de réintégrer son passsé. Quand vous êtes jeune, vous avez beaucoup d'avenir et peu de passé et quand vous êtes d'un certain âge, vous avez moins d'avenir à certains égards et davantage de passé. Alors qu'est ce qui arrive? Un événement important de votre vie, vous l'interprétez au moins trois fois. Avant qu'il arrive, vous l'espérez ou vous le redoutez, vous le préparez, vous le prévoyez, vous le projetez, vous l'anticipez. Vous vous en faites une idée, vous lui donnez un sens; et puis le temps passe et l'évément se produit, et quand c'est là, ça n'est jamais tout à fait comme on l'avait anticipé. C'est autre chose, on est surpris, et on réinterprète, on donne un autre sens au moment où c'est là. Et puis quand c'est du passé, si on y repense 5 ans après, 10 ou plus, à cet événement important, il n'a pas non plus le même sens que quand on l'attendait ou quand on le vivait. Il a dégagé des conséquences q'on n'avait pas imaginées et qui en changent la perspective; aussi vos goûts, vos engagemenys ont changé, vous n'avez pas les mêmes critères: la chose qui vous paraissait très bien quand vous aviez 12 ans, vous paraît puérile aujourd'hui; la chose qui vous paraissait redoutable à 20 ans, vous la supportez très bien maintenant. On change son avis sur les choses et ça veut dire qu'en repensant à ce qui s'est passé avant, on peut le réévaluer, et modifier en conséquence son parcours. L'homme individuellement ne progresse pas autrement qu'encorrigeant l'espèce, dans le mouvement d'avance du savoir, par exemple, ne procède pas autrement. Prenez un livre comme celui de Gaston Bachelard sur la formation scientifique; il dit : « nous atteignons la vérité par un véritable repentir intellectuel ». Il veut dire que nous commençons par l'erreur, par les illusions, par les préjugés (Catherine Gucher, dir., La gérontologie sociale, héritages et réflexions contemporaines, Paris, L'Harmattan, 2012, p. 23-25).

Date de création:2012-11-25 | Date de modification:2012-11-25

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