Les archéologues ont découvert dans les civilisations anciennes des vestiges et artefacts évoquant l'engouement et le pouvoir d'attraction exercés par les jeux de hasard. Les jeux de dés ou de tarot, parmi d'autres, remplissaient une fonction de clairvoyance, à la manière des arts divinatoires actuels tels que la cartomancie, les feuilles de thé et la boule de cristal. Souvent empreints d'un sens religieux profond, ces amusements servaient principalement à prédire et à interpréter la volonté des dieux.
Démocratisation des jeux
Étant perçus comme une déchéance, les jeux de hasard et d'argent ont pendant longtemps été prohibés avant de s'imposer. Démocratisés, ils ont envahi l'espace ludique des adultes de tous âges et de tous milieux sociaux. Ils ont même fait leur niche sur Internet. Au dépanneur du coin, la consommation des cartes à gratter ou des billets de loterie fait office de rituel quotidien, tandis que les casinos, ces nouveaux temples de la postmodernité, rayonnent comme lieux de culte dédié à l'argent.
N'étant plus l'apanage des aristocrates ou des riches rentiers, ces jeux tirent l'essentiel des bénéfices du nombre élevé de petits joueurs. Or ils rapportent gros. Au Canada seulement, les montants annuels injectés dans l'économie légalisée du jeu dépassent le chiffre astronomique de 30 milliards de dollars.
Ces divertissements de masse ne sont pas malsains en soi, pour autant qu'on s'y consacre avec retenue et qu'ils ne constituent pas l'unique source de loisir. Ils mettent à l'épreuve les habiletés de concentration et de mémorisation, encouragent les sorties en groupe, aident à nouer de nouveaux liens sociaux, en plus de divertir et de combattre l'ennui ou la solitude. Ces avantages sont fort prisés par les aînés. En revanche, les jeux passifs (vidéopokers, billets de loterie, gratteux) n'entretiennent que l'espoir souvent déçu d'un gain facile.
Philippe Bouvard faisait remarquer que le jeu permet de tout oublier, y compris qu'on n'a pas les moyens de jouer. En effet, l'essence même du risque qui s'y rattache, c'est de passer inaperçu. Comme la pièce de monnaie, le jeu d'argent comporte donc deux faces. Son côté reluisant est source de plaisir. Son côté terne nous rappelle le danger de développer une dépendance psychologique et de vivre des déboires personnels et familiaux. Endettement, faillite financière, toxicomanie, maladie, délit criminel, rupture conjugale et suicide figurent parmi les redoutables périls du jeu pathologique.
Signalons au passage que plusieurs personnes découvrent les jeux d'argent une fois à la retraite et que les sommes jouées augmentent avec l'âge. Les 55 ans et plus fréquentent plus que jamais les casinos, bien que leurs préférences demeurent dirigées vers le bingo et les loteries. En Estrie, les adeptes féminines du jeu, dans cette même tranche d'âge, représentent près de 30 % des joueurs, comparativement à 17 % chez les hommes. Dans notre région, on estime à 5 % la proportion des joueurs excessifs, ce qui représente plus de 4000 individus.
L'État, marchand d'illusions
Au vu des tendances de clientèles, Loto-Québec courtise de façon particulière les aînés, d'autant plus que leurs effectifs sont en hausse et que la génération des baby-boomers est financièrement plus à l'aise que les précédentes. Loto-Québec, certains clubs de l'âge d'or et d'autres agences privées organisent même des voyages de groupe vers les casinos, qualifiés de «busload of fun». Des incitatifs alléchants peuvent être proposés, comme des points privilèges échangeables contre de l'argent, le droit d'entrée, des cartes fidélité ou des coupons repas. Les automobilistes, de leur côté, ont accès à un espace de stationnement garanti et gratuit. Bref, tout est mis en place pour susciter de la bonne humeur et pousser à dépenser.
Or, dans une société qui proclame haut et fort se soucier du bien-être et de l'épanouissement des aînés, on s'attendrait à ce que ces derniers reçoivent, pour d'autres types d'activités, la même qualité d'attention que celle prodiguée dans les casinos. Au lieu d'orchestrer les pratiques douteuses décrites précédemment, pourquoi l'État ne pose-t-il pas à leur égard des gestes d'appui et de reconnaissance? Il pourrait s'agir notamment d'alléger leurs frais de transport en commun ou de stationnement dans les lieux publics, comme les hôpitaux, les CLSC, y compris les lieux culturels.
Confronté à l'accablante réalité du jeu pathologique, Loto-Québec persiste pourtant à tenir un discours qui se veut rassurant quant aux retombées positives des jeux d'argent. Même si cette «industrie» lucrative crée des emplois et génère des profits pouvant servir à lutter contre le chômage ou à financer des programmes sociaux, les impacts négatifs demeurent énormes, d'abord en coût humain et économique, mais également au regard de l'idéal de société qui se trouve promu.
De surcroît, un tel discours glorificateur met entre parenthèses les drames individuels qui se «jouent». Les sommes inouïes vainement dépensées par la totalité des joueurs, lesquels se retournent ensuite vers la société pour solliciter du soutien, combinées aux innombrables séquelles du jeu pathologique, occasionnent une dépense sociale injustifiée qui outrepasse les gains accumulés. Un joueur pathologique coûterait au bas mot 56 000 $ annuellement à la société.
Vis-à-vis les jeux d'argent, nous sommes tous foncièrement libres de gérer notre vie comme bon nous semble. Mais au-delà de ce principe sacré, nous demeurons responsables de nos actions, envers nous-mêmes, autrui et la société. N'empêche que des mesures émanant de l'État ou des associations pour aînés sont rendues nécessaires pour prévenir la dépendance au jeu et favoriser l'autonomie des retraités.
La société n'a-t-elle pas tout intérêt à déployer des stratégies efficaces pour mettre en garde les joueurs contre les risques auxquels ils s'exposent, pour promouvoir des sentiers de divertissement plus sains et constructifs que les jeux d'argent et surtout pour convaincre de ne pas confier son destin à des marchands de rêves et d'illusions?
Source: Richard Lefrançois,
Professeur associé à l'Université de Sherbrooke
Cyberpresse, La Tribune, Opinions, août 2009,
Étant perçus comme une déchéance, les jeux de hasard et d'argent ont pendant longtemps été prohibés avant de s'imposer. Démocratisés, ils ont envahi l'espace ludique des adultes de tous âges et de tous milieux sociaux. Ils ont même fait leur niche sur Internet. Au dépanneur du coin, la consommation des cartes à gratter ou des billets de loterie fait office de rituel quotidien, tandis que les casinos, ces nouveaux temples de la postmodernité, rayonnent comme lieux de culte dédié à l'argent.
N'étant plus l'apanage des aristocrates ou des riches rentiers, ces jeux tirent l'essentiel des bénéfices du nombre élevé de petits joueurs. Or ils rapportent gros. Au Canada seulement, les montants annuels injectés dans l'économie légalisée du jeu dépassent le chiffre astronomique de 30 milliards de dollars.
Ces divertissements de masse ne sont pas malsains en soi, pour autant qu'on s'y consacre avec retenue et qu'ils ne constituent pas l'unique source de loisir. Ils mettent à l'épreuve les habiletés de concentration et de mémorisation, encouragent les sorties en groupe, aident à nouer de nouveaux liens sociaux, en plus de divertir et de combattre l'ennui ou la solitude. Ces avantages sont fort prisés par les aînés. En revanche, les jeux passifs (vidéopokers, billets de loterie, gratteux) n'entretiennent que l'espoir souvent déçu d'un gain facile.
Philippe Bouvard faisait remarquer que le jeu permet de tout oublier, y compris qu'on n'a pas les moyens de jouer. En effet, l'essence même du risque qui s'y rattache, c'est de passer inaperçu. Comme la pièce de monnaie, le jeu d'argent comporte donc deux faces. Son côté reluisant est source de plaisir. Son côté terne nous rappelle le danger de développer une dépendance psychologique et de vivre des déboires personnels et familiaux. Endettement, faillite financière, toxicomanie, maladie, délit criminel, rupture conjugale et suicide figurent parmi les redoutables périls du jeu pathologique.
Signalons au passage que plusieurs personnes découvrent les jeux d'argent une fois à la retraite et que les sommes jouées augmentent avec l'âge. Les 55 ans et plus fréquentent plus que jamais les casinos, bien que leurs préférences demeurent dirigées vers le bingo et les loteries. En Estrie, les adeptes féminines du jeu, dans cette même tranche d'âge, représentent près de 30 % des joueurs, comparativement à 17 % chez les hommes. Dans notre région, on estime à 5 % la proportion des joueurs excessifs, ce qui représente plus de 4000 individus.
L'État, marchand d'illusions
Au vu des tendances de clientèles, Loto-Québec courtise de façon particulière les aînés, d'autant plus que leurs effectifs sont en hausse et que la génération des baby-boomers est financièrement plus à l'aise que les précédentes. Loto-Québec, certains clubs de l'âge d'or et d'autres agences privées organisent même des voyages de groupe vers les casinos, qualifiés de «busload of fun». Des incitatifs alléchants peuvent être proposés, comme des points privilèges échangeables contre de l'argent, le droit d'entrée, des cartes fidélité ou des coupons repas. Les automobilistes, de leur côté, ont accès à un espace de stationnement garanti et gratuit. Bref, tout est mis en place pour susciter de la bonne humeur et pousser à dépenser.
Or, dans une société qui proclame haut et fort se soucier du bien-être et de l'épanouissement des aînés, on s'attendrait à ce que ces derniers reçoivent, pour d'autres types d'activités, la même qualité d'attention que celle prodiguée dans les casinos. Au lieu d'orchestrer les pratiques douteuses décrites précédemment, pourquoi l'État ne pose-t-il pas à leur égard des gestes d'appui et de reconnaissance? Il pourrait s'agir notamment d'alléger leurs frais de transport en commun ou de stationnement dans les lieux publics, comme les hôpitaux, les CLSC, y compris les lieux culturels.
Confronté à l'accablante réalité du jeu pathologique, Loto-Québec persiste pourtant à tenir un discours qui se veut rassurant quant aux retombées positives des jeux d'argent. Même si cette «industrie» lucrative crée des emplois et génère des profits pouvant servir à lutter contre le chômage ou à financer des programmes sociaux, les impacts négatifs demeurent énormes, d'abord en coût humain et économique, mais également au regard de l'idéal de société qui se trouve promu.
De surcroît, un tel discours glorificateur met entre parenthèses les drames individuels qui se «jouent». Les sommes inouïes vainement dépensées par la totalité des joueurs, lesquels se retournent ensuite vers la société pour solliciter du soutien, combinées aux innombrables séquelles du jeu pathologique, occasionnent une dépense sociale injustifiée qui outrepasse les gains accumulés. Un joueur pathologique coûterait au bas mot 56 000 $ annuellement à la société.
Vis-à-vis les jeux d'argent, nous sommes tous foncièrement libres de gérer notre vie comme bon nous semble. Mais au-delà de ce principe sacré, nous demeurons responsables de nos actions, envers nous-mêmes, autrui et la société. N'empêche que des mesures émanant de l'État ou des associations pour aînés sont rendues nécessaires pour prévenir la dépendance au jeu et favoriser l'autonomie des retraités.
La société n'a-t-elle pas tout intérêt à déployer des stratégies efficaces pour mettre en garde les joueurs contre les risques auxquels ils s'exposent, pour promouvoir des sentiers de divertissement plus sains et constructifs que les jeux d'argent et surtout pour convaincre de ne pas confier son destin à des marchands de rêves et d'illusions?
Source: Richard Lefrançois,
Professeur associé à l'Université de Sherbrooke
Cyberpresse, La Tribune, Opinions, août 2009,