L'Encyclopédie sur la mort


Casinos, lieux d'enchantement et de détresse

Éric Volant

Le 5 décembre 2007, la Cour d'appel a ordonné à Loto-Québec de divulguer les rapports concernant les suicides et les tentatives de suicide liés aux casinos de Montréal et du Lac-Leamy à Gatineau. C'est ainsi que Bill Clennett, militant de longue date contre le jeu et ses effets pervers, a eu gain de cause devant les tribunaux. Le 11 janvier 2008, un porte-parole de la société d'État a fait état de 168 incidents sérieux survenus dans ces casinos entre 1997 et 2007. Deux suicides et six tentatives ont été recensés et et sont directement liés aux casinos. Huit autres personnes auraient fait part de leur désir de s’enlever la vie après avoir perdu des sommes importantes.
Tentative de réduction du problème

Ce qui nous frappe immédiatement dans cet événement fort médiatisé c'est la façon dont le porte-parole de Loto-Québec a tenu à «relativiser, sans minimiser ces situations-là.» Les chiffres lui paraissent peu élevés : «Seize sur une période de huit ans, ça fait deux par année. Et deux par année, avec six millions de visites à Montréal, et trois au Lac-Leamy, ça fait deux incidents du genre sur neuf millions de visites.» Du point de vue éthique, nous avons le droit de nous poser des questions:

Ce rapport officiel révèle-t-il tout? N'y-a-t-il eu que deux suicides? On peux mettre en doute ces chiffres qui ne correspondent pas à ceux fournis par le coroner.

En plus, ceux-ci passent sous silence le nombre de vies brisées, de faillites personnelles et de victimes indirectes du jeu pathologique. Le rapport demeure fort discret sur tous les suicides et tous les autres gestes de désespoir qui se sont produits à l’extérieur des établissements de jeu.

En quête d'émotions fortes

Selon les chiffres avancés par les intervenants sociaux proches des joueurs de casinos et de lieux (brasseries, restaurants), où se trouvent les vidéo-pokers, près de dix pour cent de la clientèle est composée de joueurs pathologiques ou en potentialité de l'être. Une part de ces personnes souffrent déjà de certaines formes de dépression, manifestent des tendances maniaco-dépressives ou des conduites à risque (alcoolisme ou toxicomanie). Elles sont en quête d'émotions fortes ou de plaisir qu'ils ne peuvent pas satisfaire autrement que seuls et rivés, corps et âme, à leurs machines à sous, leur Eldorado. D'autres ayant «une boule au ventre», comme le confiait un ancien joueur libéré aujourd'hui de son mal, sont des femmes ou des hommes frustrés au travail ou à la maison. Sous-estimés et peu reconnus dans leur milieu ou dans la société, ils voient une issue à leur malaise, à leur mal de vivre en risquant le saut dans le vide d'un jeu sans modération. Ils se réfugient dans le rêve et se construisent des châteaux en Espagne. Ainsi veulent-ils se faire, par magie, une petite ou une grosse fortune afin de sauver ce qui reste de leur vie familiale et de leur être profond.

La banalisation des effets pervers liés au jeu

À cause de tout ce mal-être, vécu par une bonne partie des joueurs et par leurs proches, il faut éviter de banaliser le jeu pathologique. Dire, comme un ancien dirigeant de Loto-Québec, «notre prochaine cible, ce sont les jeunes», révèle une attitude irresponsable. Dire que «deux suicides et huit tentatives de suicide, c'est peu par rapport au grand nombre de visiteurs pendant une longue période de dix ans et plus, c'est un manque de respect et d'empathie pour les souffrances subies par les familles en deuil ou en détresse à cause de la conduite extrême de leurs proches.

L'accessibilité à ces lieux, à ces appareils et à ces billets de jeu est pour ainsi dire universelle, sauf, en principe, pour les jeunes et pour ceux qui se sont exclus volontairement. Voilà une autre forme de banalisation. «Tout le monde le fait, fais le donc». Le jeu remplit les coffres de l'État, voilà une bonne nouvelle du point de vue économique et de la prospérité du pays. Mais on oublie de calculer le prix que l'État doit payer en qualité de vie pour un bon pourcentage de joueurs pathologiques et de leurs proches, en ressources financières et humaines afin de contrer les effets pervers causés par le jeu compulsif.

La publicité entretient elle aussi cette banalisation du jeu pathologique. Par sa publicité, Loto-Québec présente un monde qui ne correspond pas à la réalité quotidienne. Faisant de l'argent une source assurée du bonheur, elle crée des attentes injustifiées dont seuls quelques-uns peuvent être bénéficiaires. Par contre, la publicité faite pour aider les joueurs pathologiques se limite, sur un ton feutré, à laisser un message que l'on peut décoder ainsi: si tu empruntes, si tu voles ou si tu délaisses ta maison et ton enfant pour suivre ta passion, c'est le temps de te poser la question: «le temps ne serait-il pas venu de chercher de l'aide?» Quel contraste avec la publicité tapageuse et impudente de Loto-Québec pour la population at large.

La responsabilité éthique de la société

La responsabilité de Loto-Québec consiste à rédiger un code d'éthique rigoureux où sont proposés les valeurs et les principes qui guident son institution, où sont stipulées et expliquées les règles auxquelles les dirigeants, les employés et les clients doivent se conformer en matière de publicité, d'accessibilité et de fonctionnements en ce qui regarde les lieux, les appareils et les billets de jeu. Ce code doit également viser à éviter tout conflit d'intérêt et toute apparence de conflit d'intérêt. C'est à l'État d'approuver ce Code d'éthique d'une société d'État et d'exercer un contrôle sur son application concrète. Il y va de la santé publique de la population.

La responsabilité éthique de la prévention incombe aux organismes indépendants présents dans les établissements de jeu qui réfèrent toute situation dramatique, individuelle ou publique, à des maisons disposant de ressources qualifiées pour venir en aide aux personnes en crise et à leurs proches. L'État doit offrir des ressources financières adéquates pour que ces organismes puissent faire un travail de prévention ou de réhabilitation de qualité.

Sur le plan éthique, il est important de qualifier davantage le terme «modération». Il est urgent pour tous d'emprunter le chemin de la sagesse et de la prudence. «Prudence» ne signifie ni «précaution», ni «pusillanimité», mais l'art de choisir l'action la plus adéquate ou la plus pertinente pour gérer une situation problématique.

Dans ce contexte, il est bon de se rappeler l'impératif catégorique d'Emmanuel Kant: «Agis toujours de telle sorte que tu traites la personne humaine, en toi-même comme en autrui, toujours en même temps comme une fin, mais jamais simplement comme un moyen.» Il ne faudrait d'aucune façon que la détresse des joueurs pathologiques serve à remplir les coffres de l'État. L'économie n'est pas le but de la société, mais un moyen pour assurer la santé publique et le bien-être des individus.
Date de création:-1-11-30 | Date de modification:-1-11-30

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