L’incidence du suicide fléchit en période de guerre (J. Baechler, Les suicides, p. 447-453). Comme le note William Ralph Ingenon sans ironie: «Les statistiques* du suicide montrent qu’au moins pour les non-combattants, la vie est plus intéressante en temps de guerre qu’en temps de paix» (G. Evans et N. L. Farberow, The Encyclopedia of Suicide, p. 271). Cependant, le suicide n’est pas absent de la guerre. Il est d’ailleurs souvent déguisé en accident ou en geste de bravoure. Ainsi on range le suicidé parmi les victimes d’un bombardement et parmi ceux qui succombent à la faim ou à la misère. En temps de guerre, le taux de suicide diminuerait chez les hommes, tandis que chez les femmes* il aurait tendance à augmenter, notamment à Berlin-Ouest durant la seconde guerre mondiale. La guerre possède certaines caractéristiques qui l’apparentent au suicide collectif*. Les chefs d’État mobilisent les jeunes, volontaires ou non, qui s’engagent au combat prêts à donner leur vie pour la patrie. Suicide altruiste selon Durkheim*, leur mort est proclamée martyre* selon des perspectives politicoreligieuses. Effectivement, les activités militaires disposent au sacrifice* dans le but d’accomplir des missions dangereuses au service de la patrie.
La guerre est un lieu propice pour se valoriser à ses propres yeux et aux yeux de ses pairs. Elle peut devenir un jeu* plein de risques* où l’on ne dédaigne pas recourir à des conduites extrêmes* et où l’on se croit invincible par défi ou par déni de la mort. En termes de typologie du suicide*, les gestes de la guerre constituent une forme d’ordalie par laquelle on veut prouver que l’on a les dieux ou la fortune de son côté. Ainsi, Durkheim observe que, dans les principaux pays d’Europe, entre 1876 et 1890, «l’aptitude des militaires au suicide est très supérieure à celle de la population civile du même âge» (op. cit., p. 247). En effet, le coefficient d’aggravation de la crise suicidaire chez les soldats par rapport aux civils va de 1,25 en France jusqu’à 8,5 aux États-Unis et jusqu’à 10 en Autriche.
Une enquête, effectuée par la CBS aux États-Unis en lien avec la guerre en Irak «a permis d'établir que 6256 vétérans de l'armée, actifs ou non, se sont enlevé la vie lors de la seule année 2005, et ce, dans les 45 États qui ont répondu à la requête de CBS. Cela équivaut à 120 suicides par semaine ou 17 suicides par jour. Une analyse des données effectuée au département d'épidémiologie et de biostatistique de l'Université Georgia conclut que le taux de suicide chez les vétérans se situe entre 18,7 et 20,8 suicides par 100 000 personnes, soit deux fois plus élevé que dans le reste de la population, où il s'établit à 8,9 par 100 000. La situation est encore plus grave chez les anciens combattants âgés de 20 à 24 ans, soit ceux qui ont servi en Irak et en Afghanistan. Le taux de suicide de ces jeunes hommes varie entre 22,9 et 31,9 par 100 000 personnes, alors que leurs compatriotes se tuent dans une proportion de 8,3 par 100 000 personnes.» («Armée américaine: Revenir la mort dans l'âme», Radio-Canada, le samedi 17 novembre 2007)
Autrement que par l’héroïsme*, le suicide des militaires en temps de guerre peut s’expliquer par la puissance des traumatismes subis et par la panique collective, par la fatigue et la nausée d’une guerre qui n’en finit pas. Naît alors un sentiment aigu de la perte du sens de la vie où la mort violente est quotidienne. La culpabilité* ressentie à la mort violente infligée à autrui, fût-il un ennemi, ainsi qu’à la mort violente des civils innocents, plus particulièrement à la vue de la souffrance des enfants gravement ou mortellement blessés, peut créer un état psychologique propice à des projets suicidaires. En cas de défaite, des militaires se suicident afin d’éviter le déshonneur ou les mauvais traitements de la captivité. Après la guerre, le syndrome du stress post-traumatique afflige de nombreux journalistes, pompiers, policiers et militaires. Les manifestations de ce syndrome sont multiples: retour en arrière, cauchemars récurrents, anxiété, isolement, colère, déconnexion de la réalité ou sentiment de danger (F. Engel, Campus, vol. XXIV, no 31). Les personnes, vulnérables au stress, auront besoin d’un entourage empathique à toute expression de leurs émotions (sanglots, crises de larmes ou de peur) et capable de les libérer de leurs cauchemars. Dans les cas graves, l’aide professionnelle sera requise. La responsabilité éthique de l'État à l'égard des vétérans est d'une importance capitale pour la survie de tous ces jeunes et moins jeunes qui ont servi leur pays dans des conditions extrêmement difficiles. L'organisation des soins d'ordre physique et d'ordre psychique ainsi qu'une aide financière appropriée sont nécessaires et impératives.