Pitié pour la science
Depuis toujours et aujourd’hui plus que jamais, les amis de la science regrettent de la voir confondue avec l’opinion du premier venu, mais ne serait-ce pas là, pour ce dernier, la manifestation d’un secret désir de venir enfin à cette science de tous les plaisirs, de tous les prestiges et de tous les pouvoirs ?
Au temps infiniment long et pas si lointain de l’empirisme, tous participaient à la science. Tous les paysans des sociétés traditionnelles auront eu leur petit mot à dire sur la façon de fabriquer le fer à cheval le mieux adapté à leur sol et à leurs bêtes. Conséquence : les progrès étaient lents. S’ils sont rapides aujourd’hui, c’est parce qu’il y a eu division des tâches au début des temps modernes, au moment où la science est devenue de plus en plus abstraite. Les savants discuteraient désormais entre eux, les autres deviendraient des exécutants ignorants.
On constate aujourd’hui mieux que jamais les conséquences de cette division des tâches. Les spécialistes du climat sonnent l’alarme et les victimes des feux de forêt consomment encore plus d’énergie fossile. Le dernier venu a perdu confiance en une science qu’il ne comprend pas parce qu’il n’a pas participé à son développement et peut-être aussi parce que, trop abstraite, elle est devenue magie plutôt que science pour les savants eux-mêmes. Seul remède : le ralentissement de la science et surtout de ses applications. Remède difficile pour une technoscience qui a elle-même suscité l’engouement pour la vitesse, dans tous les domaines y compris celui de la vie. «La science cherche le mouvement perpétuel: elle l'a trouvé, c'est elle-même.» (Hugo)
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