Gainsborough Thomas

1727-1788
Ernest Chesneau sur Gainsborough
«C'est au milieu des champs, dés bois qui bornent son village, que Thomas Gainsborough, ouvert à toutes les impressions de la nature, les recherchant, les aspirant avec force, donne à son père, qui le laisse libre, la mesure puissante de ses instincts pittoresques. Et que d'anecdotes charmantes a ce sujet. Un jour, il saisit et fixe en trois coups de crayon la physionomie et le mouvement hardi d'un petit maraudeur pillant les espaliers chargés de poires par-dessus le mur du jardin où tout enfant il dessinait. Une autre fois, raconte-t-on, un voisin, trompé par l'apparence, interpella vivement une figure en bois, peinte parle jeune Thomas, revenu de Londres, dégoûté des écoles, des académies, et où il avait cependant appris les éléments de sa profession.
[...]
Ce que Reynolds est forcé d'apprendre, et ce qu'il apprend sans difficulté, car il est doué d'une vive intelligence, Gainsborough, dans ses forêts du comté de Suffolk, le devine, le crée pour les besoins de sa pensée. Aussi laisse-t-il dans ses œuvres un enseignement plus fécond que celui que Reynolds inscrit dans la collection de ses discours à l'Académie, quelque judicieux et savants qu'ils puissent être.

Le talent de Reynolds est une magnifique conquête de la volonté, celui de Gainsborough l'éclosion spontanée d'une fleur se transformant naturellement et devenant fruit. Ce fruit eut une saveur exquise.
[...]
Dans un de ses discours à l'Académie, Reynolds avait laissé échapper cette assertion que le bleu ne pouvait entrer dans un tableau comme couleur dominante, et cette autre, que les tons les plus vigoureux devaient être placés au centre de la composition.

Gainsborough répondit en peignant son fameux Blue Boy, l'Enfant bleu, de son nom, Master Buttal. Master Buttal est un jeune garçon d'une quinzaine d'années, de bonne mine, les cheveux et les yeux noirs, les joues et les lèvres rouges, naïvement campé tout droit dans son beau costume, la main gauche sur la hanche où s'accroche le pan d'un léger manteau. La main droite, pendant de long de la jambe, tient un chapeau de feutre à longs poils, orné d'une plume traînante. Une courte veste avec manches à crevés, une culotte retenue au jarret par des nœuds de rubans, des bas de soie et des bouffettes en guise de boucles aux souliers, composent ce joli vêtement, tout de satin léger et frissonnant. Sauf une transparente collerette et les crevés des manches, c'est du haut en bas le même bleu (de la nuance dite bleu de roi).

Il est facile d'inventorier ainsi l'une après l'autre les pièces de ce costume, mais comment rendre l'harmonie de cette composition? comment dire avec quelque détail les finesses, les reflets, les éclairs de lumière, les luisants et les ombres qui rompent, atténuent, modifient l'éclat de cette couleur franche? comment faire valoir la fécondité de ressources à l'aide desquelles le maître a ménagé ses transitions, détaché cette figure d'un fond de feuillage automnal, roux et vert, d'un ciel mouvementé, vigoureux et chaud? Il faut voir, admirer ce tableau, et en emporter cette impression que laissent les chefs-d'œuvre. Cependant, si l'on voulait absolument donner une idée de cette merveille, malgré ce qu'une telle indication a de vague et d'un peu puéril, il faudrait évoquer les noms de Watteau et de Van Dyck.»

ERNEST CHENEAU, L'art et les artistes modernes en France et en Angleterre, Paris, 1864, pages 52 et suiv.

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