Technologie

Pourquoi a-t-on recours au mot technologie? «De deux mots, il faut choisir le moindre», disait Valéry. Or, il existe un mot, qui est moindre que technologie et qui signifie la même chose: technique. Pourquoi recourir au logos, qui signifie science alors que le mot technê qui signifie art est une racine grecque dont notre mot technique n'a pas à rougir et qui, en outre, permet de distinguer les applications de la science elle-même.

Le mot technique a un sens clair, proche de celui du mot méthode : il y a une technique du violon, il y a une technique du béton. Comme le rappelle Jacques Ellul, on commet déjà l'erreur d'employer le mot technique à la place du mot machine ou machinisme. Pourquoi ajouter à la confusion en employant le mot technologie, encore plus général, à la place du mot technique ?

Parmi les explications qu'il faut retenir, il y a l'influence de l'anglais, mais les mots anglais ayant, en l'occurrence, les mêmes racines grecques que les mots français, la même question se pose à leur sujet: pourquoi ne pas choisir le moindre?

C'est, semble-t-il, l'Américain John Bigelow, professeur à l'université Harvard, qui a lancé le mot technologie au milieu du XIXe siècle. Le mot technologie dans le sens qu'on lui donne depuis lors désigne la technique en tant que fondée sur la science moderne, par opposition aux techniques traditionnelles, celles du violoniste ou du peintre par exemple, qui étaient d'origine empirique. Mais à ce sens qui justifie peut-être la substitution du mot technologie au mot technique dans certains cas s'en ajoute un second, qui est proprement religieux: chaque fois qu'on utilise le mot technologie, on annonce le paradis sur terre et on adresse une prière à l'Homme, maître et souverain de la nature. Il s'agit d'une parole sacramentelle.

Essentiel

N'est-ce pas la dimension religieuse du phénomène qui explique pourquoi, en matière de technologie, tant de choix ne sont pas dictés par la raison, par le froid calcul de ses intérêts. Bigelow, celui qui a forgé le mot technologie, était le fervent disciple de l'ingénieur John Etzler, auteur d'un best-seller paru en 1833, sous le titre de The Paradise Within the Reach of All Men, Without Labor, by Power of Nature and Machinery.

The Paradise,
voici les lendemains qui chantent, voici la promesse électorale parfaite…Within the reach…Ce paradis sera sur terre et non dans un inaccessible au-delà, voici le millénarisme...All Men , voici la démocratie; by power of nature and Machinery, voici la technologie. Ce titre pourrait être considéré comme le thème central de la religion du progrès: le salut pour tous, mais sur terre et non dans une autre dimension, par le moyen de la technologie et non par celui de la purification personnelle. Lui-même adepte de cette religion, Bigelow était persuadé que l'homme était appelé à rétablir la domination adamique sur la nature. Cette domination adamique est la thèse centrale de la doctrine millénariste.

Enjeux

Quand vient le temps de s'équiper de nouvelles technologies, dans les familles comme dans les entreprises, on perd souvent la tête: rien n'est trop beau, rien n'est trop puissant. On a perdu la tête au point de commettre des erreurs aussi grossières et coûteuses que celle du bogue de l'an 2000. On estime que les quelque 500 milliards qu'aura coûtés le bogue auront annulé la totalité des gains de productivité, rendus possibles par les ordinateurs, au cours des dernières décennies.

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La technique est-elle neutre ?

Jacques Dufresne
Conférence de Jacques Dufresne à l'occasion de la Journée des communications gouvernementales, tenue à Québec le 23 novembre 1991

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