Solange Hubert
Cet article de Françcois Tremblay sur l'art naîf et sur l'oeuvre de Solange Hubert, a d'abord paru dans MAGAZINART, été/automne 2011.
« Art naïf, art populaire, art autodidacte, peu importe le nom qu'on lui donne, l'art qui se pratique en marge d'une formation officielle rencontre la faveur d'un large public. Au-delà du coup de foudre bien connu des collectionneurs, l'intérêt pour ces œuvres, au même titre que pour celles de l'art officiel, peut s'évaluer à partir de bien des critères, mais certaines qualités sont fondamentales : l'authenticité et la spontanéité. En cela, les œuvres de Solange Hubert sont un bon exemple.
Il existe en Europe de l'Est des écoles d'art naïf, c'est-à-dire des groupes d'artistes qui perpétuent une tradition stylistique et symbolique ancienne. On n'observe pas le même phénomène chez nous. Le groupe le plus ancien qu'on retrouve au pays s'est formé au Québec autour des artistes américains Patrick et Maud Morgan. Les peintres populaires de Charlevoix, loin d'avoir une unité stylistique à l'instar des Européens, ont plutôt eu en commun d'avoir marqué par le rayonnement de leur production, au cours de la décennie 1930, la naissance officielle d'un art naïf jusque-là relégué au titre de passe-temps ou d'artisanat, ce qui fut le cas, en particulier, de Simonne-Mary Bouchard et des sœurs Yvonne et Blanche Bolduc.
Solange Hubert a bien connu plusieurs des représentants de ce groupe au fil des nombreuses enquêtes que nous avons réalisées ensemble alors que j'assumais la direction du Musée de Charlevoix. Les peintres Yvonne et Blanche Bolduc, Georges-Edouard Tremblay, le sculpteur Lucien Bouchard, frère de Simonne-Mary, sont demeurés des proches jusqu'à leur décès. À leur contact, mais aussi à celui de plusieurs autres artistes populaires de Charlevoix d'une génération plus jeune, Solange Hubert a vu éclore en elle le goût de s'inscrire dans la continuité de ce courant artistique. Il ne va pourtant pas de soi qu'une diplômée universitaire, professeure de littérature, puisse aspirer à une production dite naïve. Après avoir étudié l'histoire de l'art et la littérature, après avoir contemplé les chefs-d’œuvre des plus grands maîtres, peut-on encore se dire naïf? La réponse est positive dans la mesure où un artiste reste authentique et spontané.
Les tableaux de Solange Hubert reflètent sa vie : le quartier ouvrier de Trois-Rivières où elle est née en 1946; Montréal où elle a fait ses études; Québec et Charlevoix où elle vit. Elle a aussi consacré toute une production aux auteurs qu'elle a enseignés et qu'elle affectionne particulièrement, ce qui lui a valu d'être remarquée par l'écrivain et éditeur Victor-Lévy Beaulieu. En 2003, il lui a consacré une publication intitulée Des lieux et des écrivains québécois. Cette dernière a accompagné une exposition qui a circulé dans des musées et centres d'exposition du Québec.
Rappelons que l'œuvre de Solange Hubert est, comme elle, authentiquement urbaine et littéraire. Sa technique, à l'instar de celle de ses vieilles amies Bolduc, s'est affinée avec une pratique qui date maintenant de plus de 15 ans. On constate facilement, depuis ses premiers tableaux, une évolution de la composition, un traitement plus élaboré des couleurs, un raffinement dans les détails. Elle règle les problèmes de perspective, de jeux d'ombre et de lumière spontanément, dans le feu de l’action. Comme beaucoup d'artistes, elle procède par essais et erreurs. De ce fait, les grands tableaux urbains remplis de menus détails et de dizaines de personnages sont très longs à produire. Elle aime ajouter non seulement des éléments d'humour mais aussi de fantaisie. II ne faut pas se fier aux décors de fond représentant l'une ou l'autre ville qu'elle a fréquentée; elle y représente des bâtiments avec un pinceau délinquant qui met l'accent sur les modèles architecturaux qui l'interpellent en escamotant les autres.
Lors de sa dernière exposition, A chacun son paradis, présentée à Québec en 2008, en commentant son titre, elle résumait ainsi son travail :
« Le paradis est un lieu de bonheur sans nuage qui ne connaît pas de lois, d'horaires, de règles ou de contraintes. C'est en ce sens que s'incarne pour moi l'acte de peindre. Chaque tableau s'élabore de façon spontanée et, même s'il donne un aperçu de la réalité, il peut être sujet à toutes les fantaisies. Au paradis, il n'y a pas de raison de porter de masques. Aussi, dans l'ensemble de ma production, on peut facilement deviner mon amour pour la littérature, le théâtre et l'histoire, mon goût des voyages, mon milieu de vie naturel : la ville et l'affection que j'ai pour mes proches.»
Solange Hubert, Charles rêve de s'envoler, tableau exposé au cours de l'été 2013 au Musée international d'art naïf de Magog,
II faut le constater : les tableaux de Solange Hubert sont naïfs dans leur forme, mais savants dans leur contenu. Ils empruntent des voies encore peu fréquentées. Ils participent à un mouvement non structuré mais émergent qui, dans une société largement scolarisée et informée, accorde aux artistes autodidactes la possibilité d'exister en dehors d'un univers traditionnel. Les promenades en voiture à cheval, les paysages bucoliques aux vieilles granges ne font plus partie de nos vies. Chez les naïfs, il faut maintenant s'attendre à voir des motoneiges, des VTT, des chantiers de construction et des fêtes populaires où l'on ne danse plus le quadrille. Solange Hubert fait partie de cette nouvelle catégorie.
Aujourd'hui, les artistes autodidactes (pour employer un terme qui se veut le plus englobant possible) comptent quatre grands groupes : les contemporains qui reflètent dans leurs œuvres leur vie et leurs intérêts; les folkloriques qui s'intéressent à un passé révolu rappelant des faits ou des légendes appartenant à une tradition ancienne; les oniriques dont les œuvres puisées dans l'imaginaire sont le plus souvent esthétisantes; et le grand groupe dit de « l'art brut » qui englobe l'art thérapeutique et celui par lequel s'expriment les personnes déficientes ou ayant des troubles importants de personnalité. Ces divisions ne sont évidemment pas étanches et sont en fait plus pertinentes pour appréhender les œuvres que les artistes eux-mêmes.
Solange Hubert, Chorlale de Noël, Place Jacques Cartier, à Montréal. Galerie Jeannine Blais à North Hatley.
La production, comme dans l'art officiel, devra subir l’épreuve du temps avant que des « noms » puissent sortir définitivement du rang. Un grand engouement populaire n'est pas garant de pérennité. C'est pourquoi il faut toujours acquérir une œuvre d'art d'abord parce qu'elle nous offrira du plaisir à la côtoyer. Pour ce qui est de l'assurance d'une bonne valeur à long terme, on ne peut s'en remettre qu'à son flair et à celui des galeristes ou de spécialistes compétents. Dans le domaine des peintres naïfs, ils ne sont pas légion. Au Québec, Jeannine Blais est l'une des très rares personnes à s'être investie dans ce domaine spécifique. Au fil de sa longue carrière, elle a su reconnaître et faire émerger plusieurs talents remarquables. Sa fille Mireille, qui prend progressivement la relève, s'est fait la gardienne des valeurs de la maison tout en imprimant sa marque en exploitant les nouvelles possibilités des cimaises virtuelles. Bref, une galerie, celle de Jeannine Blais, et une artiste, Solange Hubert, qui vivent en- accord avec leur temps.»
François Tremblay
Muséologue
Solange Hubert est représentée par la Galerie Jeannine Biais de North Hatley, Québec.