Sir Edmund Hillary

20 juillet 1919-11 janvier 2008
Sir Edmund Hillary
L’apiculteur alpiniste

par Andrée Mathieu

La Nouvelle Zélande pleure son héros. Affaibli par une pneumonie, Sir Edmund Hillary a été emporté par une crise cardiaque à son domicile d’Auckland vers 9h00 le vendredi 11 janvier 2008; il avait 88 ans. Bien sûr, Sir Hillary est connu dans le monde entier pour son formidable exploit sportif, mais il était beaucoup plus qu’un remarquable alpiniste. Il incarnait l’esprit Kiwi, cette simplicité, cette générosité et cet esprit d’aventure que j’aime tant chez ce peuple insulaire du bout du monde. Car la peur ne fait certes pas partie du décor en Nouvelle Zélande! Ce pays est le royaume des sports extrêmes et il n’est pas étonnant de trouver parmi ses citoyens des gens comme A J Hackett, l’inventeur du saut à l’élastique (bungee) ou Burt Munro, le célèbre motocycliste qui, à 68 ans, a éétabli le record du monde de vitesse sur terre avec une moto inférieure à 1000 cc! Les Kiwis sont audacieux et se défendent bec et ongles contre tout excès de prudence imposé par des lois ou des règlements. Pour eux, la vie même est un risque et on doit, sans hésiter, saisir toutes les occasions qu’elle nous présente en utilisant les talents qu’on a reçus. Sir Hillary en restera l’une des plus inoubliables illustrations.

Edmund Hillary est né dans la région de Auckland le 20 juillet 1919. Il était le deuxième enfant de Gertrude, une institutrice, et de Percival Hillary. Ce dernier, un vétéran de la Première Guerre mondiale, était revenu de la bataille de Gallipoli plus affecté moralement que physiquement, d’où son caractère irascible. Pendant sa jeunesse, le jeune Hillary est souvent victime de l’intransigeance de son père, qu’il n’arrive jamais à satisfaire. De plus, en arrivant à l’école secondaire, il se fait humilier par un professeur d’éducation physique qui, voyant ses épaules tombantes et son dos courbé, le classe dans un groupe de «cas désespérés». L’alpiniste dira qu’il a passé toute sa vie à essayer de se prouver à lui-même qu’il n’était pas aussi moche qu’il se sentait, et que même les gens ordinaires peuvent accomplir des choses extraordinaires.

Premières conquêtes dans les Alpes du Sud

Enfant, Sir Ed s’endurcit les pieds et le caractère en parcourant pieds nus le kilomètre qui sépare sa résidence de l’école. Mais c’est à la fin de son cours secondaire, pendant une semaine de plein air au mont Ruapehu, que le jeune homme se découvre une passion pour la montagne. Pendant ses études supérieures, il se joint au club de randonneurs de l’université et passe ses fins de semaine dans le parc national de Waitakere Range. Faute d’intérêt, il abandonne son cours universitaire après deux ans et devient apiculteur comme son frère et son père qui possède plus de mille ruches. Cet emploi estival est idéal car il lui permet de pratiquer l’alpinisme en hiver. A 20 ans, pendant quelques jours de vacances dans l’île du Sud, il fait sa première véritable conquête, celle du mont Olivier dans les Alpes du Sud. Cette expérience, la plus belle de sa jeune existence, allait déterminer son avenir.

Élevé par ses parents dans une religion nouvel âge prônant le pacifisme, Sir Hillary éprouve des problèmes de conscience au moment du déclenchement de la Seconde Guerre mondiale. Heureusement pour lui, son travail d’apiculteur est jugé essentiel et le dispense de s’enrôler. Mais la menace japonaise dans le Pacifique et la conscription ont raison de ses penchants pacifistes et, en 1944, il rejoint l’armée de l’air de la Nouvelle Zélande. Il est basé aux îles Fidji et Solomon où il est épargné des horreurs de la guerre jusqu’à ce qu’il soit sévèrement brûlé dans un accident, mettant sa résistance physique à rude épreuve.

De 1946 jusqu’à son premier voyage dans les Himalayas, Sir Hillary va conquérir tous les sommets dignes de ce nom dans les Alpes du Sud. Plusieurs de ces ascensions seront effectuées sous l’œil vigilant de son mentor Harry Ayres. De son propre aveu, il n’atteindra jamais la perfection technique de son professeur, mais il sera imprégné de sa philosophie d’escalade prudente et énergique. Il apprendra à lire la neige et la glace, cette science subtile que seule l’expérience peut enseigner. En 1949, il accompagne deux concitoyens dans les Alpes suisse et autrichienne, et deux ans plus tard, l’année où le Népal ouvre ses frontières aux alpinistes, il participe à la première expédition néo-zélandaise dans les Himalayas. Il se fait remarquer par les Britanniques qui l’invitent à faire partie d’une expédition de reconnaissance au mont Everest. Deux ans plus tard, plus précisément le 29 mai 1953, lors d’une autre expédition britannique, Edmund Hillary et le Sherpa Tenzing Norgay atteignent le sommet du monde, où ils ne s’attardent que quinze minutes avant de redescendre. C’est en retrouvant son équipier néo-zélandais George Lowe qu’il prononce cette phrase désormais célèbre: «Well George, we finally knocked the bastard off» («Nous avons finalement rayé cette bâtarde de la liste») au grand désespoir de sa mère! Cette boutade typique des joyeux Kiwis ne traduit pourtant pas l’immense respect que Sir Hillary vouait à l’Everest: «Nous n’avons pas conquis la montagne, a-t-il dit, elle s’est finalement inclinée».

Réflexion en passant sur le culte de la performance

J’aimerais ici ouvrir une petite parenthèse. Le culte de la performance individuelle n’a malheureusement pas épargné la conquête de la plus haute montagne du monde. Il fallait, pour satisfaire l’appétit des journalistes et des politiciens, savoir qui de Hillary ou de Tenzing avait foulé le sommet le premier. Le roi du Népal a déclaré que, selon Tenzing, c’est lui, le Sherpa, qui a eu cet honneur, alors que dans son livre Vue du sommet Sir Hillary affirme que c’est plutôt lui qui est arrivé le premier. Dans son autobiographie intitulée Man of Everest, Tenzing écrit que la montagne est trop précieuse pour mériter autre chose que la vérité, et il confirme les propos de Sir Ed. Cette controverse, qui est venue menacer l’amitié des deux hommes, n’est-elle pas d’une infinie tristesse? Car, enfin, les deux hommes s’étant encordés pour l’ascension, il fallait bien qu’il y en ait un qui soit devant l’autre! De plus, les deux ne pouvaient pas se tenir debout sur la même petite surface en même temps… Quel débat ridicule et regrettable qui vient assombrir un travail d’équipe aussi exceptionnel! Tenzing l’a bien exprimé: « Nous n’étions pas leader et suivant, nous étions partenaires»!

Au sommet de l’Everest, Edmund Hillary était loin de se douter de ce qui l’attendait en redescendant! D’abord, sans même l’avoir consulté, la reine Elisabeth a décidé de le sacrer chevalier pour souligner l’exploit qui a été rendu public à la veille de son couronnement et qui constituait un heureux présage pour son règne. Cet homme simple qui avait horreur des titres devient soudainement «Sir» Edmund Hillary. Il continuera de signer simplement Ed Hillary, mais les Néo-Zélandais l’appelleront affectueusement «Sir Ed». C’est donc bien malgré lui qu’il devient un personnage public et influent. Mais il conservera jusqu’à la fin cette grande simplicité et cette franchise qui lui ont mérité l’affection et le respect de ses compatriotes.

La fondation de Himalayan Trust

Après sa conquête de l’Everest, Sir Hillary aurait pu vivre confortablement de ses livres, conférences et commandites publicitaires, mais il a préféré utiliser sa notoriété et son inépuisable énergie pour améliorer le sort des Sherpas du Népal auxquels il est resté très attaché. Ainsi, dans les années 1960, il a fondé le Himalayan Trust qui, au fil des ans, a construit 27 écoles, deux hôpitaux, une douzaine de cliniques médicales, des pistes d’atterrissage, des ponts, des aqueducs et différentes infrastructures selon la volonté des gens de la région de Solu Khumba. En 1987, Sir Hillary a été honoré par le programme des Nations Unies pour l’environnement pour avoir semé plus d’un million de pins dans les hautes terres du Népal afin de remplacer les arbres abattus par les pauvres paysans en quête de bois de chauffage. Mais il ne s’intéressait pas qu’au bien-être physique des Sherpas; avec sa fondation, il a travaillé à reconstruire et entretenir les monastères bouddhistes qui constituent l’épine dorsale culturelle et spirituelle du Népal. Sa philosophie de l’aide humanitaire est simple, elle repose sur la bonne réputation. «Nous ne devrions pas nous attendre à ce que les gens soient continuellement reconnaissants pour ce que nous faisons pour eux. La plupart de l’aide humanitaire est fortement teintée par des intérêts personnels. Alors que la gratitude exprime une certaine inégalité dans les rapports, la bonne réputation est un objectif dont tout homme fier n’a pas à rougir. Car les gens créent leur bonne réputation par leurs actions – ce que l’argent seul ne peut pas faire». Il a souvent mis la main à la pâte et il était beaucoup plus fier de son oeuvre humanitaire que de son exploit sportif.

Malheureusement, le succès et la bonne réputation ne mettent pas à l’abri des drames personnels, Sir Edmund l’a tristement constaté. Une autre conquête l’avait attendu au retour de son voyage au sommet du monde. D’un caractère très timide avec les personnes du sexe opposé, il avait dû avoir recours à sa belle-mère pour demander en mariage sa belle musicienne, Louise Rose. De leur union sont nés trois enfants: Peter, Sarah et Belinda. Pendant 22 ans le couple a filé le parfait bonheur. Mais le 31 mars 1975, Louise et Belinda, alors âgée de 16 ans, allaient rejoindre Sir Edmund au Népal quand leur avion s’est écrasé peu après avoir décollé de Katmandu. Totalement dévasté par la mort de sa femme et de sa fille, Sir Hillary sombra dans une profonde dépression, abusant même de l’alcool à l’occasion. Il avoue avoir songé au suicide et s’est reproché de ne pas avoir su aider ses deux autres enfants à survivre à cette rude épreuve. Quatre ans plus tard, en novembre 1979, il doit s’envoler pour l’Antarctique à bord du vol 901d’Air New Zealand, mais il est retenu par un autre engagement. L’avion s’écrase sur le mont Erebus ne laissant aucun survivant. Parmi les victimes se trouve son grand ami Peter Mulgrew. Les Hillary et les Mulgrew étaient très liés. Leur destin commun tend à rapprocher Sir Ed et son amie de longue date, la veuve June Mulgrew. Ils se soutiennent et s’encouragent mutuellement et, plusieurs années plus tard, Edmund épouse June à l’âge de 70 ans. Il se dira privilégié d’avoir eu deux femmes merveilleuses dans sa vie.

Ses expéditions scientifiques

Les drames qui ont ponctué la vie de Sir Hillary n’ont jamais atténué son goût de l’aventure. Parmi ses autres expéditions, plusieurs sont dignes de mention. Ainsi, en 1958, il se rend au pôle Sud en traversant l’Antarctique à l’aide de trois tracteurs de fermes modifiés. Quoi de plus Kiwi! Mais le plus drôle c’est qu’il ne devait pas s’y rendre. Il était censé préparer les points de ravitaillement pour une expédition britannique menée par Sir Vivian Fuchs. Voyant le temps passer et les conditions se détériorer, et peut-être un peu exaspéré par la minutie de l’explorateur anglais, Sir Edmund décide de compléter le trajet avant son arrivée. Il paraît que les journaux britanniques ne l’ont pas manqué… Mais ceux qui le connaissaient bien assurent qu’il n’était aucunement motivé par la compétition. Il était ainsi fait. S’il y avait quelque chose à accomplir, il s’y mettait sans tarder, par simple plaisir, un point c’est tout. En 1961, il accepte de diriger une expédition scientifique qui a pour but d’étudier les effets d’un séjour prolongé en haute altitude, tout en recherchant le légendaire yeti. Sir Hillary n’est pas vraiment étonné de ne pas rencontrer l’abominable homme des neiges, mais la mission scientifique n’en est pas moins réussie. Elle démontre que les longues périodes en altitude sont aussi dommageables que les ascensions trop rapides. En 1967, il fait la première ascension du mont Herschel en Antarctique, mais il est de plus en plus incommodé par le mal des hauteurs. C’est en 1971 qu’il complète sa dernière ascension majeure, celle du mont Aoraki (mont Cook) en Nouvelle Zélande. En 1977, il mène l’expédition Ocean to Sky dans laquelle il remonte le Gange en jetboat pour ensuite grimper jusqu’à sa source. En avril 1985, il accompagne le premier être humain à s’être posé sur la lune, l’astronaute Neil Armstrong, jusqu’au pôle Nord où il devient le premier homme à se tenir à la fois sur les deux pôles et sur le sommet le plus élevé de la planète. Sir Hillary sera resté actif jusqu’à la fin. Ainsi, c’est en 2006 qu’il a fait son dernier voyage au Népal. Et en janvier 2007, à l’âge de 87 ans, il est retourné en Antarctique pour célébrer le 50ème anniversaire de la base de Scott en compagnie de la Première ministre de la Nouvelle Zélande. J’en connais plusieurs, et des plus jeunes, qui n’oseraient jamais tenter un tel voyage!

Bien qu’ayant côtoyé des personnages comme le Dalaï Lama, Bill Clinton, la reine Elisabeth, Rajiv Ghandi, Eisenhower, Neil Armstrong et autres grands de ce monde, Sir Hillary ne s’est jamais laissé atteindre par les honneurs. Ainsi, en 2003, déclinant une invitation de la reine pour souligner le 50ème anniversaire de la conquête de l’Everest, il a préféré se rendre au Népal afin de célébrer l’événement en compagnie de ses amis Sherpas. Des honneurs, il en a pourtant reçus! De 1985 à 1989, il a été haut-commissaire de la Nouvelle Zélande en Inde, au Népal et au Bangladesh. Il était tellement respecté dans cette région du monde qu’on aurait eu du mal à trouver un meilleur ambassadeur. Depuis 1990, son image figure sur le billet de $5 de la Nouvelle Zélande. Il en a même influencé le design, insistant pour qu’on y retrouve le plus haut sommet de son pays, le mont Cook, ainsi qu’un tracteur Ferguson comme celui qui l’a conduit au pôle Sud. Il a blagué en recevant cet honneur: «Comme ça je devrai rester respectable jusqu’à la fin de mes jours».

Son respect de la nature et son souci du développement durable

La responsabilité que lui donnait son statut de personnage le plus admiré de la Nouvelle Zélande n’a cependant jamais muselé Sir Ed. Il avait son franc-parler. Interrogé sur la popularité de l’escalade de l’Everest, il s’est montré outré du fait que des tonnes d’objets laissés par les nombreuses expéditions sont en train de polluer la montagne. Aujourd’hui, plus de 2000 alpinistes ont atteint le plus haut sommet du monde, dont Peter Hillary, le fils de Sir Ed, qui l’a fait deux fois. Il y a des cordes fixées en permanence et de nombreux guides Sherpas pour faciliter l’ascension. Mais à l’aube de la révolution technologique, Edmund Hillary et Tanzing Norgay n’ont eu que leur force et leur détermination pour relever un des derniers grands défis qui se posaient encore à l’homme explorateur. Sir Edmund n’a pas manqué de fustiger le groupe d’alpinistes, dont un Néo-zélandais, qui ont rencontré un grimpeur en train de mourir sur l’Everest et l’ont laissé dans cet état afin de poursuivre leur ascension. Il s’est également montré très sévère envers le type de développement qui consiste à imposer des programmes d’aide sans tenir compte des souhaits et de l’avis des principaux bénéficiaires. Et il n’a pas épargné les politiciens qui «mentent trop» et qui ne sont pas dignes de la confiance de leurs électeurs. Lui, par contre, se sera toujours montré digne de la confiance et de l’admiration que lui ont portées ses concitoyens.

Samedi dernier, le Dominion Post titrait «L’étoffe d’une légende». Une légende certes, mais surtout le miroir de ce qu’il y a de meilleur chez les Néo-Zélandais: la détermination, la débrouillardise, l’audace, le courage, le jugement, mais surtout la générosité, la sensibilité, la compassion, l’humilité et un adorable sens de l’humour. Le New Zealand Herald l’exprimait ainsi: «Tout ce qu’il y a de bon dans ce petit pays du bout du monde semble s’être incarné en lui: le soleil et la force, le bon sens, la patience et la polyvalence de l’homme pratique». Pour ses amis Sherpas, il restera Burra Sahib qu’on pourrait traduire par «homme de grande taille (il mesurait 6 pieds et 2 pouces) et de grand cœur». Du haut de l’Everest, Sir Edmund Hillary a conquis le cœur des gens et il est devenu l’icône de son peuple.

Sir Hillary avait déclaré que lorsqu’il quitterait ce monde, il ne voulait pas de preuves tangibles de l’affection des Néo-Zélandais, comme une statue ou un édifice qui porterait son nom. Il souhaitait plutôt les voir soutenir le Himalayan Trust et poursuivre son oeuvre humanitaire à l’ombre de l’Everest. Si vous souhaitez honorer la mémoire de Sir Edmund, vous pouvez le faire, au Canada, via la Fondation Sir Edmund Hillary: www.thesiredmundhillaryfoundation.ca. Pour en apprendre davantage sur le Himalayan Trust: www.himalayan-trust.org.np/index.html

par Andrée Mathieu, ce 21 janvier 2008

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