Ducharme Réjean
Autobiographie de l'auteur au moment de la parution de l'Avalée des Avalée:
«Je ne suis né qu'une fois. Cela s'est fait à Saint-Félix-de-Valois, dans la province de Québec. La prochaine fois que je mourrai, ce sera la première fois. Je veux mourir verticalement, la tête en bas et les pieds en haut.
À l'école, j'étais toujours le premier à partir. Je n'y allais pas souvent et j'y restais le moins longtemps possible. J'ai complété mes études secondaires à Joliette, avec les Clercs de Saint-Viateur.
J'ai souffert six mois à l'École Polytechnique de Montréal. Enfin délivré, je me suis pris pour un commis de bureau et me prends encore aujourd'hui pour tel. Mais ceux qui embauchent des commis de bureau ne veulent pas me prendre pour un commis de bureau. Je ne travaille pas toujours et ne travaille pas toujours comme commis de bureau. Un mois sur deux, je suis en chômage.
J'ai été dans l'Arctique avec l'Aviation canadienne, en 1962. Personne ne veut me croire. Je ne sais pas pourquoi. Je dis : " J'ai été dans l'Arctique. " Ils répondent : " Pas vrai. " En 1963, 1964 et 1965, j'ai fait de l'auto-stop au Canada, aux États-Unis et au Mexique. C'est fatigant.
J'ai vingt-quatre ans. Je n'ai plus tous mes cheveux et toutes mes dents. Et cela m'écœure.
Je ne me suis pas marié une seule fois encore. Les femmes ne veulent pas se marier avec moi. Si elles avaient voulu, je me serais marié tous les jours et, aujourd'hui, j'aurais à peu près 5,768 enfants. S'il n'y avait pas d'enfants sur la terre, il n'y aurait rien de beau. »
* * *
«Des mots, des torrents de mots, des laves incendiaires de mots, des avalées de mots, Réjean Ducharme est comme glace en débâcle et il ne nous parle que de la débâcle des jours.»
Esprits nomades
«Passé un certain âge, dit la rengaine, il faut qu'un coeur se brise ou se bronze. Suivant Cioran qui cite en exemple Scott Fitzgerald (La fêlure), peut-être n'est-on moderne que dans la mesure où l'on goûte le charme de cette vie brisée. Lecteur, moi qui te parle en lecteur et rien de plus, de bouche à oreille voici un simple avis: si tu savoures cette brisure sans pleurnicherie, si tu as le goût de l'irrémédiable avec humour, sérénité, et cependant une immense compassion, lis Réjean Ducharme. (...) On croit que Ducharme, qui ne lâche jamais un mot de politique, dont la rêverie est humaine et fraternelle, jamais paroissiale ni identitaire, pourrait bien être aussi l'écrivain national québécois. La voix de son peuple. Et l'une des plus belles. L'une des plus radicales qui se soient élevées en français cette fin de siècle.
Si vous n'avez jamais lu Ducharme, si vous ne lisez qu'un de ses livres, que ce soit L'Avalée des avalées, le plus poignant, le plus imprévu, une pure insurrection verbale. (...) N'espérez pas d'entretien avec Ducharme, ou le voir à la télé. Il fait partie de ces rarissimes qui agissent comme ils écrivent. Ducharme comme ses personnages refuse obstinément le commerce que ce soit pour se vendre ou pour acheter. "Quelqu'un qui m'aborde, c'est quelqu'un qui veut quelque chose, qui a quelque chose à échanger contre quelque chose qui est pour lui d'une plus grande valeur, qui a une idée derrière la tête. Je les vois venir avec leurs gros sabots. Ils ont quelque chose à vendre. Merci! Je n'ai besoin de rien. Repassez !" (L'avalée des avalées).
Extrait d'une recension de certains livres de Réjean Ducharme par Yannick Blanc,"Va savoir", République des lettres (déc. 1994)