Oubli

L'oubli, perte du souvenir, selon Littré. Dans Les formes de l'oubli, l'ethnologue Marc Augé commente ainsi cette définition: «elle est moins évidente qu'il n'y paraît ou plus subtile: ce qu'on oublie ce n'est pas la chose même, les événements purs et simples, tels qu'ils se sont déroulés, mais le souvenir. Le souvenir, qu'est-ce à dire? Toujours si nous suivons Littré, le souvenir, c'est une « impression » : l'impression « qui demeure en la mémoire ». Quant à l'impression, c'est « ... l'effet que les objets extérieurs font sur les organes des sens ». (Marc Augé, Les formes de l'oubli, Paris, Manuels Payot, 1998, p. 23)

Essentiel

«Il s'agit de savoir oublier à propos, comme on sait se souvenir à propos; il faut qu'un instinct vigoureux nous avertisse quand il est nécessaire de voir les choses historiquement. Et voici le principe auquel le lecteur est invité à réfléchir: le sens non historique et le sens historique sont également nécessaires à la santé d'un individu, d'une nation, d'une civilisation.» (Nietzsche, Considération intempestive. Citée à partir du texte allemand par Yosef H.Yerushalmi, dans Usages de l'oubli, Paris, Seuil, 1988, p. 9)

«Se souvenir ou oublier, c'est faire un travail de jardinier, sélectionner, élaguer. Les souvenirs sont comme les plantes : il y en a qu'il faut éliminer très rapidement pour aider les autres à s'épanouir, à se transformer, à fleurir. Ces plantes qui accomplissent leur destin, ces plantes épanouies se sont en quelque sorte oubliées elles-mêmes pour se transformer : entre les graines ou les boutures qui leur ont donné naissance et ce qu'elles sont devenues, il n'y a plus guère de rapport apparent ; la fleur, en ce sens, c'est l'oubli de la graine (rappelons-nous le vers de Malherbe qui continue cette histoire : « Et les fruits ont passé la promesse des fleurs. »» (Marc Augé, Les formes de l'oubli, Paris, Manuels Payot, 1998, p. 24)

Enjeux

Tel compositeur autodidacte se dit fier d'ignorer les techniques de composition et d'avoir écouté peu de musique autre que la sienne: ignorant ses précurseurs, il lui est, soutient-il, plus facile, d'être original, véritablement créateur. Hélas! il lui est aussi plus facile, parce qu'il en été superficiellement imprégné sans en garder le souvenir, de répéter d'une façon informe des mélodies auxquelles des prédécesseurs de génie avait donné une forme achevée. On s'expose au même risque dans tous les arts, à commencer par la littérature, quand on pactise avec l'ignorance ou l'oubli.
Il n'en demeure pas moins que l'excès de mémoire peut nuire au génie. «Il y a des êtres qui ont trop de mémoire pour avoir du génie» disait Nietzsche (cité de mémoire). On peut interpréter cette pensée de bien des façons, y voir une forme de modestie de la part d'un génie qui a trop de mémoire pour ne pas douter de son originalité. Il faut toutefois noter que dans l'un de ses premiers écrits, La deuxième considération intempestive, Nietzsche soutient qu'en raison de l'hypertrophie de sa connaissance et de sa conscience historique l'homme du XIXe siècle était incapable de créer.

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