Nicole Pageau

L'espoir est une réalité vivante

Voici une histoire en apparence toute simple: lorsqu'en 2004 on commémora dans les médias le génocide survenu au Rwanda dix ans auparavant, Nicole Pageau, une francophone d' Edmonton (Alberta, Canada) fut touchée en plein coeur par la détresse des mamans de Kirimonko, un petit village africain oublié. Comment les aider? Comment aider les enfants en devenir? Comment semer un grain d'humanité là où l'humanité avait failli? Il fallait aller vérifier sur place quelle sorte d'aide apporter. Deux des soeurs de Nicole, Brigitte et Francine, une collègue de travail Christine ont permis ce voyage exploratoire.

Une visite convaincante: "j'ai éprouvé un sentiment énorme de compassion, beaucoup de tristesse et un grand désir d'aider. Et aussi je suis tombée en amour, (comme on dit au Québec), avec les fleurs, les oiseaux, les collines et le climat. J'ai été convaincue que mon expérience en développement communautaire serait utile et que mon amour pouvait faire une différence. Je me suis sentie à ma place presque à tous les niveaux!

Au retour, j'ai fait part de ma décision à ma famille et à mes amis; de généreuses personnes m'ont aidée à créer un organisme à but non lucratif : Alain Nogue, Marc Arnal, Denis qui souhaite garder l'anonymat y ont joué un rôle prépondérant. J'ai pressé mon départ, liquidé mes avoirs et suis arrivée à Kigali le 6 avril 2004, la veille de la date commémorative du génocide: un geste symbolique afin de semer le premier grain d'espoir en démontrant que quelque chose de bon pouvait arriver en avril... Car l'horreur de 1994 a marqué à jamais les survivants, a laissé un goût amer dans le coeur de beaucoup de gens sur la planète, qui ne sont pas intervenus alors qu'ils auraient pu le faire, mais aussi chez beaucoup de gens comme vous et moi qui ne pouvions rien faire...

Quant à moi, je savais au fond de mon coeur que je pouvais et devais poser ce geste humanitaire. Première étape: être proche des mamans pour vivre leur peine et surtout connaître leurs besoins. Comme j'avais l'expérience de la création de centres d'accueil (mon premier pas vers l'Afrique fut la création du Service d'accueil et d'établissement d'Edmonton), j'ai cherché un endroit qui servirait à la fois de logement pour moi et de lieu de rencontre pour les mamans. C'est comme cela qu'est né le Centre César ouvert officiellement le 23 juin 2004.

Kimironko

À dix minutes de marche du Centre se trouve Kimironko, l'un des nombreux villages construits par FARG en 1996 pour toutes ces veuves et tous ces orphelins rescapés du génocide qui n'avaient plus d'endroit où vivre. Cent quarante-huit veuves sont inscrites sur notre liste, avec les jeunes et les enfants cela constitue une communauté de six cent dix-sept personnes que le Centre aide. Mes visites quotidiennes m'ont permis de constater leur pauvreté, leur manque de nourriture et de biens essentiels, mais surtout leur tristesse, leur apathie, leur résignation et les souvenirs d'horreur qui les habitaient.

Je sortais de chaque maisonnette en pleurant car aucune histoire n'était moins malheureuse que les autres: cicatrices de coup de machette, dos déformés par les coups de bâtons, jambes mutilées, souvenirs de viols souvent collectifs. Leur désespoir était si grand qu'elles avaient perdu leur fierté et surtout, leur confiance en elles-mêmes. Elles vivaient en majeure partie de la charité d'organismes et de visiteurs, partaient le jour trouver un peu de travail comme aide maçon à poser des briques, vendre quelques légumes au marché, mendier et parfois vendre autre chose dont je ne parlerai pas.

Partager leur peine était loin d'être suffisant et je cherchais des moyens de les aider de façon pratique et durable.

Un jour lors d'une visite à Marie (je vais, pour vous, toutes les appeler Marie) je l'ai trouvée pleurant de désespoir parce qu'elle n'avait rien à manger. Je lui ai demandé si elle savait tricoter ou broder ou fabriquer quelque chose pour gagner quelques francs et surtout s'occuper et songer moins à sa peine. Elle me montra le petit napperon qu'elle avait tricoté et qui égayait sa vieille table à café. Je lui ai dit d'en faire deux autres et que je les lui achèterais. Les larmes aux yeux, elle me répondit qu'elle n'avait pas d'argent pour se procurer de la laine. Le lendemain j'ai pris le minibus et je suis allée en ville pour acheter de la laine - mais aussi pour Marie no 2 qui avait le même problème avec la broderie -, du fil à broder, des aiguilles et quelques cerceaux. Ce fut le début des travaux de broderie et de tricots.

Un peu plus tard, j'engageais une formatrice et des cours de couture, de fabrication de bijoux et de tricot furent donnés dans notre Centre. Ce fut un pas important, elles sortaient de leur solitude, développaient un sentiment d'appartenance au Centre, apprenaient à utiliser leurs dix doigts et tout doucement, découvraient aussi le travail d'équipe.

Toutefois, plusieurs ne venaient pas parce qu'elles étaient affaiblies par le manque de nourriture; les enfants allaient trop souvent à l'école le ventre creux. Il y avait aussi celles atteintes du sida (la majorité des cas résulte des viols durant le génocide) qui bien qu'elles reçoivent gratuitement des médicaments du gouvernement, ces médicaments deviennent du poison s'ils ne sont pas absorbés avec de la nourriture. De là est née la banque alimentaire. "

Mme Pageau raconte comment à Edmonton des bénévoles trouvaient divers moyens de financer cette aide par des activités de levée de fonds et l'organisation d'un grand souper au cours duquel les convives ont acheté les produits fabriqués par les mamans.

"À mon retour, je leur ai remis la totalité de cet argent et c'est à ce moment que j'ai réellement vu des lueurs d'espoir dans leurs yeux d'ordinaire si tristes. Ce fut un moment décisif qui a eu un effet d'entraînement important: plusieurs sont venues me voir pour me demander ce qu'elles pouvaient faire. C'est à ce moment que j'ai engagé une formatrice comme je l'ai déjà mentionné.

Les enfants

La maman qui n'a pas d'argent, cela signifie pour l'enfant: pas de souliers, pas d'uniformes, pas de matériel scolaire, donc pas d'école (à cause aussi des frais de scolarité), et même si le gouvernement déploie beaucoup d'efforts pour offrir l'accès à l'éducation pour tous, plusieurs enfants ne peuvent pas la fréquenter. D'où le programme de parrainage.

Ce programme a été instauré temporairement pour donner un répit aux mamans en attendant qu'elles soient suffisamment auto suffisantes pour assumer elles-mêmes ces charges. Avec un montant de cent dollars canadiens (100$), sont couverts les frais de scolarité, d 'une paire de souliers, d'une mallette et des effets scolaires. Nous faisons d'une pierre deux coups, car les uniformes que nous fournissons sont fabriqués par les mamans de l'atelier de couture. Nous avons obtenu un contrat pour la fabrication de deux cent quanrante-deux uniformes. Signe du destin, c'est le Collège de l'Espoir, qui nous a lancé!!!

Maintenant ce sont sept mamans et un papa (notre maître tailleur et professeur) qui travaillent à temps plein à l'atelier. (Mme Pageau rend ici hommage à FARG et aux divers donateurs qui lui ont permis de se procurer les matériaux indispendables au développement de l'atelier: tissus, machines à coudre, fers à repasser, etc.)

Parallèlement, d'autres mamans développaient leur talent artisanal: plusieurs ont des difficultés à voir suite aux bastonnades de 1994. Elles fabriquent malgré tout des bijoux, des stylos perlés et récemment, l'atelier obtenait de sous-contracter pour la fabrication de cordons pour une entreprise des États-Unis. Le Centre retentit maintenant de leurs rires et devient trop petit pour les quarante-cinq femmes qui se l'approprient petit à petit en y travaillant tous les jours. Avec l'argent de leurs produits, elles peuvent nourrir leurs enfants, peut-être aussi s'acheter un pagne neuf ou une paire de lunettes pour mieux travailler. Ces femmes sont courageuses et fières et maintenant remplies d'espoir.

Dieu était au Canada, disent-elles, quand on le priait, il nous a entendues et a soufflé sa réponse dans le coeur des Canadiens!

Quelques histoires à succès

Marie no 3: a utilisé l'argent de la vente de ses tricots pour ouvrir un minuscule restaurant qui lui rapporte suffisamment pour nourrir ses quatre enfants

Marie no 4 : a pu remplacer son plancher de briques disjointes et cassées par une belle dalle de ciment grâce aux fruits de son travail.

Marie no 5 : a le sida et était en continuelle dépression. Aujourd'hui, elle tricote, fabrique des bijoux, vient régulièrement au Centre, sourit et chante avec les autres mamans.

Marie no 6 : elle est vieille et se dit tout heureuse à 70 ans d'apprendre à faire des bijoux et de passer ses journées à travailler, chanter et jaser avec des jeunes femmes.

Marie no 7 : âgée de 19 ans, elle a un bébé de 6 mois. Elle reprend goût à la vie et passe ses journées au Centre à fabriquer des bijoux, sa petite couchée près d'elle et souvent bercée par les autres mamans et grands mamans, dont moi.

Marie no 8 : ayant reçu des coups de machette à la tête et au cou, elle a été laissée pour morte. Elle souffre de maux de tête et ses yeux ne peuvent se concentrer longtemps sur un travail quelconque. Elle vient de temps en temps pour en faire un peu et sortir de sa solitude.

Marie no 9 : " Je ne pensais pas que je pouvais faire toutes ces belles choses avec mes deux mains!"

Marie no 10 : elle m'a fait un immense plaisir le jour où elle m'a dit: Tu sais maman Nicole, avant Ubuntu, il y a des gens qui nous donnaient un peu d'argent, d'autres un peu de nourriture, mais personne n'a jamais pensé qu'on pouvait s'en sortir nous-mêmes, alors nous non plus on ne pensait pas qu'on pouvait. Maintenant on apprend et on a l'espoir de s'en sortir un jour.

Ce qui a changé dans leur vie

La confiance que nous leur avons démontrée a développé leur propre confiance en elles et favorisé le retour d'une certaine fierté.

Des temps où elles réussissent à ne pas penser à leur passé douloureux.

Un revenu pour plusieurs d'entre elles. Une liste d'attente pour de futures formations.

La petite troupe du village vient se pratiquer et donner des spectacles au Centre. Nous avons des projets pour que ces jeunes aident leurs mamans en gagnant un peu d'argent pour leurs études au secondaire.

Notre plus grand succès: grâce à l'atelier de couture et la coopérative d'artisanat, quarante et une (41) mamans sont en voie d'autosuffisance, soit près de 30% de début d'autonomie pour cette petite communauté à Kimironko!

À Kimironko, aujourd'hui, après un an et demi 1, l'espoir est une réalité vivante.


Nos projets pour cette année

Former les femmes du comité Ubuntu Kigali nouvellement élues.
Maintenir et augmenter la distribution de denrées via la banque alimentaire surtout pour les vieilles mamans, celles qui ont le sida et celles trop faibles ou handicapées pour travailler.
Explorer la possibilité d'aider les ados à accéder au secondaire (les frais généraux sont d'environ 250$).
Développer l'atelier de couture en obtenant de nouveuax contrats.
Prioriser la commercialisation des produits d'artisanat.
Fournir des équipements sportifs à l'école primaire .
Réparer la voiture tombée en panne qu'on nous a prêtée depuis un an ou en acheter une autre. Elle sert conduire les mamans et les enfants à la clinique médicale et à transporter les denrées et les matériaux nécessaires à nos activités.
Déménager dans un Centre plus grand afin d'augmenter les programmes. Le déménagement est prévu pour le 1er janvier dans une grande maison avec possibilité de construire sur le grand terrain où elle est située. M. Tom Yearwood a généreusement accepté d'assumer le loyer des trois prochaines années.

Mme Pageau remercie les membres de l'équipe bénévole de Ubuntu Edmonton qui par leur travail acharné permettent aux veuves et orphelins de Kimironko de retrouver une qualité de vie ainsi que tous les Canadiens qui par leurs dons maintiennent l'espoir vivant.

Notes
1. Le 18 août dernier (2006) le Centre célébrait son 1er anniversaire en présence de Mme Jeanne Ndatirwa, présidente de Ubuntu Edmonton, de la famille César (dont le centre porte le nom), et sous la présidence de l'ombudsman du Rwanda, M. Tito Rutaremara, qui avait également présidé l'ouverture du Centre.

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