Médecin, et surtout théologien mystique de la secte Aarienne ou antitrinitaire, célèbre par ses écrits hétérodoxes et par sa fin tragique. D’après les meilleures recherches, il naquit soit à Villanueva, dans l’Aragonais, soit à Tudela, dans la Navarre, en 1511. Il se dit lui-même de cette dernière ville. Pour cacher son individualité, il signe
Michael Villanovanus, quelquefois
Reves, ce nom étant supposé être soit l’anagramme imparfait de Servet, soit le nom de sa mère. Fils, croyons-nous, d’un notaire, il se met, à l’âge de dix ans, en qualité de secrétaire, au service de Jean Quintana, confesseur de Charles-Quint, et passe en Italie à la suite de cet empereur, dont il voit le couronnement, comme roi de Lombardie, à Bologne, le 22 février 1530. Un an plus tard, il est en France, bien décidé à y étudier la médecine, et assiste aux fameuses leçons que Sylvius, Fernel et Gonthier professaient dans les écoles de Paris. C’est de cette année 1531 que date la publication de son premier ouvrage antitrinitaire :
De Trinitatis erroribus, dans lequel il professe déjà des idées qui devaient, vingt-huit ans plus tard, en faire un martyr. En 1535, on trouve Servet à Lyon, en qualité de correcteur d’imprimerie, chez les Trechsel. Il y publie même une nouvelle édition de la version latine de la
Géographie de Ptolémée, par Bilibald Pirckheymer. On le représente, non sans raison, s’attachant au fameux médecin lyonnais Symphorien Champier, initié par lui aux secrets de l’art, et prenant dès lors du goût pour la médecine. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’en 1537 Servet, après avoir publié, chez Simon Colin, un petit livre galénique intitulé :
Syruporum universa ratio, est sur les bancs de la faculté de médecine de Paris, il y est en qualité de simple écolier (
scholasticus). Toutes les biographies, peut-être une ou deux exceptées, assurent qu’il y obtint le diplôme de docteur en médecine; cela est faux, absolument faux; nous l’avons prouvé; Servet n’y a jamais été qu’écolier; il n’a jamais été bachelier, ni licencié, ni docteur de l’École de médecine de Paris, laquelle École le chassa de son sein comme se livrant à l’astrologie judiciaire, à la divination, et professant publiquement cette science aussi fausse que dangereuse. Depuis l’année 1539 jusqu’à l’année 1542, nous trouvons le nouveau Servet, correcteur d’imprimerie,chez Gaspar Trechsel, à Lyon, occupé à corriger la
Bible de Santès Pagnini, dont on préparait dans cette imprimerie une nouvelle édition, laquelle parut, en effet, en 1542. Après avoir passé un an peut-être à Charlieu, près de Lyon, le mystique rêveur prit pour résidence définitive la ville de Vienne, en Dauphiné, attiré là par l’archevêque Pierre Paulmier, qui le protégeait et qui finit par l’abandonner. C’est très probablement de Vienne qu’il se rendit à Padoue, pour prendre le grade de docteur en médecine. Mais ce qu’il faut retenir, c’est qu’à Vienne Servet fit imprimer à ses frais, et clandestinement, son fameux livre, la
Restauration du christianisme, livre qui fut saisi par l’Inquisition, et qui fit condamner son auteur au supplice du feu. La fuite seule put le sauver. L’exécution de l’arrêt n’eut pas moins lieu par contumace, le 17 juin 1553, à Vienne, sur la place La Charnève. Servet, par une imprudence inqualifiable, s’était dirigé du côté de
Genève; il avait échappé à l’Église de Rome; il va étourdiment au-devant de l’Église calviniste, au-devant de
Calvin lui-même, son ennemi implacable. Lui,
huguenot, il avait été condamné aux flammes par les catholiques, et leur ayant presque miraculeusement échappé, il va tomber entre les mains des protestants qui le guettaient depuis longtemps, et qui cette fois obtinrent contre lui cet arrêt :
« Toy, Michel Servet, condamnons à debvoir estre lié et mené au lieu de Champel, et là debvoir estre à un piloris attaché et bruslé tout vifz avec ton livre, tant escript de ta main que imprimé, jusques à ce que ton corps soit réduit en cendres; et ainsi finiras tes jours pour donner exemple aux autres qui tel cas vouldroient commettre. »
Et ainsi fut fait à Genève, le 26 octobre 1553, au sommet de la colline appelée
Le Champel. Nous ne donnerons pas les détails du supplice : il fut épouvantable, les fagots destinés à brûler l’hérétique étaient en trop petit nombre, et encore humides de la rosée du matin; ils flambèrent difficilement; pendant plusieurs heures le malheureux Servet ne put mourir, criant : « O malheureux que je suis, qui ne peux terminer ma vie! Les deux cents couronnes que vous m’avez prises, le collier d’or que j’avais au cou et que vous m’avez arraché, ne suffisaient-ils pas pour acheter le bois nécessaire à me consumer!… O Dieu éternel, prends mon âme!… O Jésus, Fils du Dieu éternel, aie pitié de moi!… »
Le livre la
Restauration du christianisme (
Christianismi restitutio), qui fit brûler Servet, est considéré comme le plus rare de tous les livres connus. Nous en avons fait l’histoire; nous n’y reviendrons pas ici. C’est un in-8
o de 734 pages, qui fut imprimé à Vienne (Dauphiné), dans un atelier secret, par Balthazar Arnollet. Je n’en connais que deux exemplaires, un qui est à la Bibliothèque de Vienne en Autriche, l’autre qui se trouve à notre bibliothèque nationale. Ce dernier exemplaire porte des traces manifestes de brûlures; il fut, tout porte à le croire, arraché des flammes du bûcher de la place Charnève. Mais ce qui a fait surtout, dans l’histoire de la médecine, la célébrité et la renommée de cet ouvrage, c’est que les pages 169 à 171 donnent des détails anatomiques et physiologiques qui prouvent sans conteste que le pauvre martyr avait une idée très-nette et presque complète de la
circulation pulmonaire ou
petite circulation, et que, s’appuyant sur ce passage du
Christianismi restitutio, on a, depuis plus de deux siècles, déclaré Servet comme l’auteur immortel de cette grande découverte, qui devait conduire à la compréhension de la
grande circulation. Dans une lecture faite à l’Académie de médecine, séance publique et annuelle du 15 juillet 1879 (
Histoire d’un livre : Michel Servet et la circulation pulmonaire), nous avons, croyons-nous, démontré la fausseté de ce qu’on est en droit d’appeler une légende, et nous avons rendu à l’italien Realdo Colombo de Crémone la gloire dont jusqu’alors on avait couronné, d’une manière presque unanime, le martyr de Champel.
source: A. Chéreau, article « Michel Servet » de: A. Dechambre (dir.),
Dictionnaire encyclopédique des sciences médicales. Troisième série. Tome neuvième (Sep-Sir), Paris, G. Masson, P. Asselin, 1881, p. 432-434