Masaccio

1401-1428
Biographie de Masaccio par G. Lafenestre (1837-1919)
«L'éloge mérité par Masolino l'est plus encore par Masaccio. La restitution de gloire qu'il est juste de faire à l'initiateur n'enlève rien à celle du successeur. MASACCIO (Tommaso di Giovanni di ser Guidi), fils d'un notaire de Castel-Giovanni, né en 1402, avait dix-huit ans de moins que Masolino. Son talent fut très précoce. En 1421, il est inscrit dans l'art des Speziali; en 1424, dans la corporation des peintres. En 1425, quand il succéda à son maître dans la chapelle Brancacci, il n'avait donc que vingt-trois ans. S'il y fit sa réputation, il n'y fit pas fortune. Les registres du cadastre de 1427 constatent qu'à cette époque il vit, avec son frère Giovanni, chez sa mère, une pauvre veuve; il ne possède rien en propre, doit 102 livres à un peintre, six florins à un autre; presque tous ses effets sont en gage dans les comptoirs de prêts «au Lion» et «à la Vache» ; il gagne, en tout, six sous par jour et paye fort irrégulièrement son aide, Andrea di Giusti, car celui-ci l'appelle en justice pour le règlement de son salaire. Est-ce cette situation embarrassée qui le chasse de Florence? Est-ce l'espoir d'une commande qui l'appelle à Rome? Toujours est-il qu'on le voit tout à coup, en 1428, abandonner son œuvre inachevée pour se rendre dans la Ville éternelle. Une déclaration laconique d'un créancier non payé constate, quelque temps après, qu'il y est mort. Tous ces détails navrants confirment le dire de son biographe : «Il fut très distrait, très en l'air, comme quelqu'un qui, ayant toute son âme et sa volonté aux choses de l'art, n'a cure de lui-même et encore moins d'autrui. Et pour ce qu'il ne voulut penser jamais en aucune manière aux soins et choses de ce monde, pas même à se vêtir, n'ayant coutume de toucher ses deniers de ses débiteurs qu'en un besoin extrême, au lieu de Tommaso, qui était son nom, on l'appela partout Masaccio, non qu'il fût vicieux (il était la bonté en nature), mais à cause de cette grande insouciance. Il était d'ailleurs si aimable en rendant service à autrui, qu'on ne pouvait désirer plus. »

Ce fut ce pauvre jeune homme, peu prisé de ses compatriotes, sauf. de quelques artistes, qui, par un coup d'audace, résumant, sur quelques mètres de muraille, tous les progrès accomplis par les efforts individuels depuis un siècle, marqua de nouveau au génie italien sa destinée, en le remettant, avec toute la force d'une technique perfectionnée, dans la voie large et droite ouverte par Giotto. Très lié avec Brunelleschi, qui lui enseigna la perspective, il dut l'être avec tous ces réalistes enthousiastes et tous ces savants laborieux qui formaient son entourage. Lui-même est un naturaliste convaincu, avide de vérité, abordant de front toutes les difficultés à la fois techniques, les résolvant toutes avec une aisance qu'on ne connaissait pas encore. La science, dans l'art, ne l'effraye point, mais il ne sacrifie pas l'art à la science. La sincérité de Donatello ne ferme pas ses yeux à la noblesse de Ghiberti; s'il estime Castagno et Uccello, il n'apprécie pas moins Gentile da Fabriano et Fra Angelico. Sa supériorité fut d'opérer, sans effort apparent, par l'essor naturel d'un esprit grand ouvert, la fusion de toutes les qualités éparses chez ses compatriotes ; sa gloire fut de réaliser, avec la force d'un tempérament plus viril et l'élan d'une imagination plus haute, ce qu'avait naïvement tenté Masolino, l'accord de l'idéal et du réel, de la poésie et de l'exactitude, de la grandeur et de la vérité. A mi-chemin entre Giotto et Raphaël, portant comme eux dans ses mains une grande lumière, Masaccio est le véritable héritier de l'un et l'ancêtre évident de l'autre. Son œuvre modeste n'a pas eu moins d'action que leur œuvre immense.

La comparaison des fresques qui lui appartiennent dans la chapelle Brancacci avec celles de Masolino, son prédécesseur, et celles de Filippino Lippi, son successeur, démontre clairement sa supériorité. Que l'on compare, pour la poésie de la conception, pour la correction et pour la plénitude des formes, pour l'intensité de l'expression, l'Adam et Ève du maître dans le Péché originel et l'Adam et Ève de l'élève dans l'Expulsion du Paradis terrestre, on sentira, du premier coup d'oeil, la grandeur du progrès accompli. La composition de Masaccio, si forte et si dramatique, s'imposait si bien à l'imagination comme une composition définitive que Raphaël lui-même, en la répétant, n'y devait presque rien changer. C'est avec de belles figures nues comme celles des néophytes en train de se déshabiller dans le Baptême de saint Pierre, que le sentiment de la beauté corporelle rentre décidément dans la peinture. La scène, plus importante encore, du Tribut de saint Pierre, où les douze apôtres, gravement drapés, se groupent si naturellement autour du Christ, dans un beau paysage, résout du premier coup, avec une étonnante et durable autorité, les difficultés de la composition expressive. Trois scènes successives de la même action, suivant l'usage du temps, s'y juxtaposent dans le même milieu avec une clarté singulière, et le groupe central est disposé avec une grandeur ferme et simple que personne ne devait dépasser. En même temps, les problèmes de la perspective, du clair-obscur, du modelé, y sont tous abordés à la fois et déjà résolus, sans ostentation comme sans effort. La supériorité de Masaccio, comme sera plus tard celle de Raphaël, c'est surtout d'être grand sans le savoir et d'être savant sans le dire. Où avait-on vu auparavant des figures aussi vivantes se détacher, avec un relief si juste, dans une atmosphère si respirable? Où aurait-on trouvé une série de portraits contemporains, aussi frappants et expressifs que ces rangées de citoyens florentins groupés, dans leurs longues robes, de chaque côté de la Résurrection de l'enfant, devant un mur de marbre surmonté de pots de fleurs, sous un ciel bleu de printemps? Le Saint Pierre et le Saint Jean guérissant les malades, le Saint Pierre distribuant les aumônes témoignent, d'autre part, d'un esprit d'observation libre et hardi, qui ne craint pas d'introduire dans l'art, quand il le faut, la représentation franche et émue des infirmités physiques et des misères morales. On ne peut donc être surpris que tous les Quattrocentisti, si ingénieux et si savants, bien plus habiles pour la plupart, soient venus demander, dans cette petite chapelle, des leçons de simplicité, de noblesse et d'harmonie à ces humbles fresques interrompues par la misère et par la mort, sans pouvoir ressaisir toute l'âme disp,-,vue du pauvre Masaccio. Il faudra vraiment attendre près d'un siècle pour qu'il se présente des génies de taille à lui succéder, un Léonard de Vinci ou un Raphaël!

GEORGES LAFENESTRE, La peinture italienne, Paris, Éd. Quantin [18??]


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«Entre Masolino da Panicale et Masaccio, presque contemporain et collaborant à un même ensemble, on croirait qu'il y a l'écart de deux générations, Masolino est un maître, ses fresques à peu près effacées de Castiglione d'Olonna ont encore, dans quelques traits épargnés, la poésie de leur insidieuse pureté, ses figures d'Adam et d'Eve, à la chapelle Brancacci, respirent le charme des beaux nus d'Italie à l'époque qui précède la maturité historique, – mais Masaccio a le poids des draperies, la lenteur des rythmes, le calme de l'espace entre les figures et cette richesse de substance qui, sans bossuer le mur, donne à la peinture la pleine et paisible autorité de la statuaire.»

H. FOCILLON, Art d'occident, tome 2, Le moyen âge gothique, Paris, 1965, Librairie Armand Collin, p.373.


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Vasari sur Masaccio
«Masaccio est originaire de Castello San Giovanni di Valdarno et l'on dit que l'on peut encore y voir des figures peintes lorsqu'il était dans sa prime jeunesse. Il était distrait et absent d'esprit, tel une personne dont l'esprit et la volonté sont entièrement et uniquement tournées vers l'art, peu préoccupé par sa propre personne, encore moins par celle d'autrui. Il ne prêtait aucune attention aux préoccupations et aux biens de ce monde, même à la manière de se vêtir et il ne souciait jamais de recouvrer quelques créances à moins d'être dans le plus grand besoin. Ainsi, au lieu de se faire appeler par son vrai nom, Tommaso, tout le monde l'appelait Masaccio. Non pas parce qu'il fut méchant ou vicieux, puisqu'il était la bonté même; bien qu'extrêmement négligent, il aimait néanmoins rendre service ou faire plaisir à autrui.

Masaccio commença à peindre à l'époque où Masolino da Panicale travaillait dans la chapelle Brancacci de l'église des Carmine à Florence. Bien qu'il pratiquât un art différent, il tentait le plus possible de suivre les traces de Filippo (Brunelleschi) ou de Donato (Donatello), et d'exprimer dans son art la vie et le mouvement les plus naturels possibles. Son dessin et sa peinture étaient d'une telle modernité et d'une telle originalité qu'on peut les comparer favorablement au dessin et aux coloris des ouvrages de notre époque. Il s'appliqua avec avec le plus grand soin à l'étude de la perspective, discipline dans laquelle il atteint un haut niveau d'excellence comme en fait foi une scène qu'il peignit et qu'on peut voir aujourd'hui dans la maison de Ridolfo del Ghirlandaio. Dans cette peinture, où il a representé le Christ délivrant un homme possédé par le démon, on voit des édifices dessinés selon les règles de la perspective; il nous fait voir simultanément l'extérieur et l'intérieur du bâtiment, ayant choisi de placer son regard à l'endroit le plus difficile à reproduire. Masaccio fit également un peu plus grand usage du nu et des figures montrées en raccourci, ce qu'on avait peu eu l'occasion de voir avant lui. Il travaillait avec facilité, et ainsi que je le disais précédemment, ses drapés étaient d'une grande simplicité.»

Traduction: BERNARD LEBLEU, L'Encyclopédie de L'Agora, (voir le texte)

Articles


Masaccio, peintre de San Giovanni di Valdarno

Giorgio Vasari
Extraits d'une traduction nouvelle de la vie de Masaccio di San Giovanni di Valdarno pittore, par Giorgio Vasari, auteur des Vite de’ piu eccellenti Pittori, Scultori et Architettori. D'après l'édition Giuntana de 1568 disponible sur le site de l



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