Beethoven Ludwig van

16 / 12 / 1770-26 / 03 / 1827
«Beethoven inaugure dans l'histoire de la musique l'ère du romantisme, qui sera celle de la suprématie allemande... La musique révélera désormais les états d'âme, les joies, comme les peines du compositeur. [...] L'artiste, rompant avec la tradition du XVIIIe siècle, insuffle à tout ce qu'il crée quelque chose de plus humain, quelque chose qui nous livre les amertumes, le tragique de son existence, ou bien ses sentiments intimes en présence d'un être aimé, d'une idée, d'un paysage».1 Beethoven est dans ce sens le premier compositeur moderne. Son oeuvre rompt avec une conception de l'harmonie du monde qui prévalait depuis les Grecs, et dans laquelle le génie de Mozart et de Bach s'est déployé avec une si remarquable aisance. Beethoven a surgi après la Révolution française, cette incommensurable rupture avec l'Ancien Régime dont les retombées se font encore sentir en Europe et en Amérique. Pourquoi cette explosion de l'affectivité, jusque là maintenue dans et par le mouvement de l'esprit, est-elle survenue au XVIIIe siècle? Les autres routes, et en particulier celles sur la vie et sur le cosmos, montrent comment la conception moderne de la science aura contribué à détruire la pensée cosmique et religieuse de l'homme. Les musiciens, plus encore que les autres hommes, ont subi l'influence de cet éclatement. Ils ont cessé de centrer leur oeuvre autour de la musique religieuse. Le rapport si serein d'un Allegri, d'un Palestrina, d'un Bach, d'un Haendel avec Dieu, avec un Dieu omniprésent et insoupçonnable, s'est effondré. L'homme, le musicien, sont retombés de ce Dieu sur eux-mêmes.

LE ROMANTISME

Cette conception qui influencera tous les arts et les écrits du XIXe siècle est née chez Rousseau pour qui la sensibilité et l'imagination doivent supplanter la raison. C'est toute une conception de la nature qu'il oppose au classicisme de Rameau. Nature: peut-être aurait-il mieux valu que les encyclopédistes parlent de naturel lorsqu'ils préconisaient «le retour à la simplicité, à l'émotion vraie et spontanée, étrangère à toute considération intellectuelle ou sociale?»

Ce romantisme qui s'étendra sur toute l'Europe et qui fleurira avec Beethoven, Wagner, Liszt, Berlioz, Chopin, voici comment Jacqueline Jamin le voit: «Quelque soit le domaine dans lequel s'épanouit le romantisme, on peut considérer qu'il présente cinq particularités:

1- L'individualisme de l'artiste, qui soumet son inspiration à l'expression de sentiments personnels.

2- L'abandon de la forme classique: l'inspiration ne peut être enserrée dans un cadre précis.

3- L'exagération des sentiments, qui conduit le musicien à des outrances orchestrales, des effusions lyriques, fort éloignées de la rigueur classique.

4- L'amour de la nature, cher à Jean-Jacques Rousseau, occupe une place importante. Ce n'est pas ici une imitation sonore, mais la traduction des sentiments que la nature inspire à l'artiste.

5- Le goût du fantastique,du surnaturel - que recrée l'imagination passionnée de l'artiste - est un des éléments les plus caractéristiques du Romantisme».2


Le romantisme est-il lié exclusivement à une période, le XIXe siècle? On applique l'expression avec plus de précision à certains compositeurs: Schumann et Weber en Allemagne, Chopin, Liszt, Berlioz et Mendelsohn, en Fance; Tchaïkovski, Rimski-Korsakov, Moussorgski, Stravinski en Russie; Liszt, Bartok et Kodaly en Hongrie, etc. A l'analyse, la musique romantique est caractérisée par la «différenciation poussée des sonorités, l'existence d'un lien symbolique étroit entre le texte... et la musique, l'emploi de tonalités extrêmes... l'opposition de rythmes stylisés et d'accents déplacés de manière irrationnelle».3 Mais dans la conscience populaire, c'est une musique qui exprime les sentiments et les émotions mieux ou davantage que les musiques baroque et classique. Doit-on alors supposer que toute la musique antérieure était uniquement rationnelle, ou plutôt, que l'équilibre entre la raison et les sentiments, qui est la couleur dominante de l'ère classique, est rompu dans la musique romantique en faveur de l'expression de l'affectivité?

Beethoven est déchiré d'abord en lui-même, par lui-même, par cette terrible surdité qui l'a assailli dans son rapport avec ses semblables mais en laissant intacte sa puissante faculté de création. Il est au confluent des profondes transformations de la fin du XVIIIe siècle. Sa musique fait éclater les règles classiques. Les critiques de son époque le percevront, s'irriteront de son excentricité* et lui reprocheront «ses glissements audacieux et continuels d'un motif à un autre, qui font fi des relations organiques à l'intérieur d'un développement progressif d'idées». Autrement dit, ils lui reprocheront d'avoir abandonné la règle classique de l'unité de la composition, qui était celle du théâtre autant que de la musique, et de succomber à «une trop grande exubérance dans la conception de ses oeuvres». C'est du moins ce que dira Tomasek, un de ses contemporains qui l'entendra se livrer à des improvisations sur piano. D'autres critiques considéraient que ses improvisations étaient aussi éblouissantes que ses compositions.

La surdité de Beethoven est l'une des clefs de sa personnalité. Elle a commencé à l'accabler à l'âge de 26 ans pour devenir complète et irrémédiable à 49 ans. Cette infirmité, écrira-t-il, «m'a presque conduit au désespoir, un peu plus et j'en aurais terminé avec la vie - ce fut mon art qui me retint de le faire. Ah! il me semblait impossible de quitter le monde avant d'avoir exprimé tout ce que je sentais m'habiter...».4

Sir Julius Benedict nous a laissé un saisissant portrait de Beethoven: «un petit homme solide au visage très rouge, avec des petits yeux perçants... (ayant) une expression qu'aucun peintre n'aurait su rendre. C'était un sentiment de sublimité et de mélancolie combinées... La merveilleuse impression qu'il fit sur moi la première fois s'accrut encore les fois suivantes... J'étais ému comme si le roi Lear ou l'un des vieux bardes du folklore gallois se tenait devant moi».5

Plus un être est riche, plus il est complexe. Sir Benedict avait pressenti l'être métaphysique du musicien. Vuillermoz en fait l'analyse psychologique. Il était rempli de contradictions, écrit-il, «tendre et grossier, sensible et brutal, idéaliste et matérialiste, apôtre de la fraternité humaine et misanthrope irréductible, libertaire agressif acceptant docilement les libéralités de ses aristocratiques mécènes, moraliste austère titubant dans les estaminets, [...] âme de sensitive et ... humeur d'ours des cavernes, Beethoven offre un mélange déconcertant de qualités et de défauts antinomiques». 6


1- Norbert Dufourcq, Petite histoire de la musique, Paris, Larousse, 1942, p.102
2- Jamin, Histoire de la musique, Paris, Alphonse Leduc, pp.72-73.
3-Honegger, Dictionnaire de la musique, Les hommes et leurs oeuvres (L-Z), Paris, Bordas, 1986, p.885.
4- Grout, Dictionnary of Occidental Music, p.524.
5-Thyler, Life of Beethoven, III, p.138-139
6-Émile Vuillermoz, Histoire de la musique, Livre de poche, Paris Fayard 1993, p 178-179

***

«Ce sourd entendait l'infini. [...] Il a été un grand musicien, le plus grand des musiciens, grâce à cette transparence de la surdité. L'infirmité de Beethoven ressemble à une trahison; elle l'avait pris à l'endroit même où il semble qu'elle pouvait tuer son génie, et, chose admirable, elle avait vaincu l'organe sans atteindre la faculté. Beethoven est une magnifique preuve de l'âme. Si jamais l'inadhérence de l'âme et du corps a éclaté, c'est dans Beethoven. Corps paralysé, âme envolée. Ah! vous doutez de l'âme? Eh bien, écoutez Beethoven. Cette musique est le rayonnement d'un sourd. Est-ce le corps qui l'a faite? Cet être qui ne perçoit pas la parole engendre le chant. Son âme, hors de lui, se fait musique. [...] Les symphonies de Beethoven sont des voix ajoutées à l'homme. Cette étrange musique est une dilatation de l'âme dans l'inexprimable. L'oiseau bleu y chante; l'oiseau noir aussi.» Victor Hugo
Notes biographiques


LES INFLUENCES SUR BEETHOVEN

Nous donnons au mot influence le sens de celle qui vient de et non qui va vers. On sait que Beethoven alla voir Mozart et Haydn à Vienne. En 1787, il put jouer devant Mozart qui prophétisa au jeune virtuose un brillant avenir. (Selon certains historiens, Mozart était déjà mort lorsque Beethoven vint à Vienne; peu importe au fond que la rencontre physique ait eu lieu ou non, la rencontre spirituelle s'est faite.) Il suivit des cours de Haydn de 1792 à 1794, jusqu'au départ de Haydn pour Londres. Il eut également pour maître Salieri, dont le film Amadeus risque de nous faire oublier qu'il était un grand professeur qui avait lui-même été formé par Gluck.

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