Paquette Jean-Marcel
par Jean-François Nadeau
Texte tiré du journal Le Devoir du 3 juillet 2019
Essayiste, critique littéraire et romancier, Jean Marcel est décédé à Bangkok. De son vrai nom Jean-Marcel Paquette, cet érudit et polyglotte, né à Montréal en 1941, vivait depuis une vingtaine d’années en Thaïlande où il est décédé le 30 juin. On lui doit de nombreuses adaptations en français de textes anciens, de même que des essais marquants sur la langue, ainsi que des aphorismes. Professeur à l’Université Laval, il avait aussi enseigné dans quelques universités européennes, après avoir soutenu une thèse sur la chanson de geste et Garin de Monglane, un texte du XVe siècle.
Professeure émérite, ancienne collègue à l’Université Laval, Marie-Andrée Beaudet souligne l’immense culture de cet homme né dans le quartier ouvrier de Saint-Henri. «J’avais une grande admiration pour lui et son immense érudition. Une intelligence rare. Il habitait la Thaïlande depuis sa retraite et parlait thaï.»
Dès les années 1960, son aplomb de critique et d’essayiste est vite remarqué. Le quotidien Le Jour lui offre une colonne où il se consacre à des questions linguistiques. Le joual de Troie, un essai publié en 1973, fait beaucoup parler de lui. Il s’y inquiète de la déperdition d’une culture au nom de faux-semblants qui consistent à se satisfaire des formes d’une langue populaire, mais sans prendre en compte la situation politique de son exercice. «Le joual», nom donné à cette langue québécoise, « ce n’est plus seulement une langue, c'est l'ensemble des conditionnements de l'aliénation dont cette langue n'est que le véhicule », écrit-il. Jean Marcel craignait de voir les Québécois finir par se convaincre que le seul usage d’une langue les assurait d’une spécificité. En 1978, il sera parmi les premiers membres du Conseil de la langue française.
En 1965, tout juste âgé de 24 ans, Jean Marcel adresse une lettre à l’écrivain Jacques Ferron où il lui annonce son intention de lui consacrer un livre. L’importante correspondance entre les deux hommes, en cours de publication aujourd’hui, comptera trois tomes, grâce aux efforts des professeurs Marcel Olscamp et Lucie Joubert. «C’était un érudit incroyable, qui maîtrisait plusieurs langues et qui s’intéressait à nombre d’aspects culturels en même temps», résume Marcel Olscamp. «Pour se détendre, à l’invitation de Ferron, il avait publié des versions modernes du Chevalier de la charrette de Chrétien de Troyes et de la Chanson de Roland.»
Jean Marcel avait aussi publié une traduction du Chant de Gilgamesch, le grand livre de mythologie hérité de l’Antiquité sumérienne. «Un jour, dans une réunion du Conseil de la langue française qui devait être plus ennuyeuse que les autres, je l’ai vu, penché sur des hiéroglyphes: il traduisait du sumérien!», explique le syndicaliste Michel Rioux.
À la fin des années 1980, dans un cycle romanesque, il entreprend de traiter, à partir de figures historiques, de la fin de l’Antiquité et de l’essor du christianisme. Il s’y intéresse de près à Hypatie, cette femme philosophe et mathématicienne. «Rarement la littérature québécoise aura atteint une telle élégance, une telle hauteur», dit Michel Rioux.