Cléopâtre

69 av. J.-C.-30 av. J.-C.
Biographie de Cléopâtre (P. Berthelot)
«CLÉOPÂTRE, la dernière reine d'Égypte, de la dynastie des Lagides, née en 69 av. J.-C. à Alexandrie, morte à Alexandrie le 30 août de l'an 30 av. J.-C. Elle était fille aînée de Ptolémée Aulète qui laissait deux autres filles, dont l'une, Arsinoé, qui fut reine de Syrie, périt dans le temple d'Éphèse, mise à mort sur l'ordre de Cléopâtre, (41 av. J.-C.), et deux fils, qui partagèrent successivement le trône de Cléopâtre; l'aîné, Ptolémée Dionysos, se noya dans le Nil en 48 av. J.-C., et le plus jeune, Ptolémée l'Enfant, fut empoisonné par l'ordre de sa sœur a quatorze ans, âge fixé pour sa majorité (44 av. J.-C.).

Ptolémée Aulète mourut en l'année 702 (52 av. J.-C.), laissant par son testament le trône à son fils aîné Ptolémée Dionysos, et à sa fille aînée Cléopâtre, qui, selon la coutume royale d'Égypte, devaient contracter mariage. Cléopâtre avait alors dix-sept ans, tandis que son frère n'en avait que neuf: elle voulut gouverner seule; mais son frère, poussé par ses favoris, l'eunuque Photin, Achillas, commandant des troupes de la monarchie, et Théodotus, qui exerçaient le pouvoir en son nom, excita le peuple contre elle, et la chassa du royaume en 49. Cléopâtre se réfugia en Syrie, leva des troupes et vint à la rencontre des troupes d'Achillas envoyé contre elle; les deux armées se trouvèrent en présence à Péluse. Cléopâtre ne comptait pas sur les Romains, bien que le sénat eût approuvé le testament de son père, car la guerre de César et de Pompée les divisait alors; mais bientôt, César, vainqueur de Pompée à Pharsale (9 août 48), vint le poursuivre jusqu'en Égypte; Pompée qui s'était déclaré en faveur de Ptolémée Dionysos, comptait trouver un appui auprès de lui: mais le roi d'Égypte le fit traîtreusement mettre à mort, et envoya sa tête à César pour se le concilier. César, qui venait d'arriver à Alexandrie (Octobre) pour régler les affaires d'Égypte, malgré l'opposition du peuple, enjoignit au deux souverains d'abandonner leurs armées et de venir lui soumettre leur différend; Cléopâtre, après avoir envoyé des messagers à César, qui les reçut froidement, obéit et dispersa ses troupes. Puis elle se fit introduire par ruse auprès de lui, dans Alexandrie. On raconte à ce propos qu'elle se fit apporter chez César, roulée dans une couverture; son fidèle intendant, le Sicilien Apollodore, dit au Romain qu'il lui apportait un présent, et Cléopâtre apparut aussitôt dans toute sa grâce. César, charmé de ce subterfuge, et séduit par la beauté de la reine, l'agrément de son esprit et la culture de sa conversation, se déclara en sa faveur: il déclara le lendemain à Ptolémée Dionysos qu'il eût à partager le trône et à se réconcilier avec sa sœur. Mais le général Achillas, campé à Péluse, refusa de déposer les armes, sous prétexte que Ptolémée était gardé prisonnier dans Alexandrie, et Ptolémée tâcha d'exciter une sédition contre César; celui-ci calma non sans peine la populace d'Alexandrie, en montrant qu'il ne faisait qu'exécuter le testament de Ptolémée Aulète. Alors, l'eunuque Pothin parvint à faire échapper de la ville le jeune Ptolémée. Dionysos, et revint secrètement avec les troupes d'Achillas assiéger César dans son palais: celui-ci se trouva alors dans un grand danger; il se maintint cependant dans son palais avec deux légions jusqu'à l'arrivée des renforts de Syrie qui le délivrèrent; c'est pendant ce siège que les soldats romains mirent le feu à un quartier de la ville, l'incendie gagna le Bruchion où se trouvait la célèbre bibliothèque fondée par Ptolémée Philadelphe: quarante mille volumes furent brûlés. Sur ces entrefaites, Ptolémée Dionysos se noya dans le Nil, près de Memphis: Cléopâtre fut aussitôt couronnée reine d'Égypte, et César lui fit épouser son jeune frère âgé de six ans, Ptolémée l'Enfant. Cléopâtre donna de grandes fêtes à César et remonta avec lui le Nil, sur un vaisseau splendidement orné, pour lui montrer les merveilles de l’Égypte; enfin, le Romain la quitta pour aller réduire les derniers partisans de Pompée, la laissant enceinte d'un fils, qui naquit peu de temps après son départ, et reçut le nom de Césarion (707, an 47 av. J.-C.). Il fut plus tard mis à mort par l'ordre d'Octave sur les conseils d'Arrius (30 av. J.-C.). Peu après, Cléopâtre vint à Rome; Dion Cassius place son voyage en 708 (46 av. J.-C.), avant même l'expédition de César en Espagne; mais il est vraisemblable que César ne la fit venir qu'en 709 (45) à son retour d'Espagne, lorsqu'il eut terminé complètement la guerre civile. Quoi qu'il en soit, à l'arrivée de Cléopâtre à Rome, il la logea dans son palais entouré de jardins, au bord du Tibre; il la reçut au nombre des amis du peuple romain, et fit placer sa statue près de celle de Vénus dans le temple qu'il élevait à cette déesse; les honneurs qu'il lui rendait déplurent beaucoup aux Romains. On n'est pas d'accord sur ce qu'elle devint jusqu'à la mort de César; selon Suétone, celui-ci la renvoya bientôt avec de magnifiques présents; au contraire, Cicéron affirme qu'elle ne quitta Rome qu'après la mort de César. Elle retourna en Égypte, et, dans les guerres qui suivirent la mort de César, se mit du côté de ses partisans. Elle se tourna vers les Triumvirs. Un de ses généraux, Sérapion, vint cependant se joindre à Cassius, mais ce fut malgré la reine qui le punit dans la suite. La bataille de Philippes, livrée dans l'automne de 42 av. J.-C., donna le pouvoir aux Triumvirs, et l'Orient à Marc Antoine; ce général passa quelque temps à Athènes, puis entra en Cilicie pour diriger une expédition contre les Parthes; il s'installa avec une cour magnifique à Tarse, et y manda Cléopâtre, pour qu'elle expliquât sa conduite. La reine se rendit à cet ordre dans un appareil dont Plutarque nous a transmis le souvenir, et que Shakespeare a célébré (41 av. J.-C.). Elle remonta le Cydnus au son des flûtes et des lyres sur une galère dorée, poussée par des voiles de pourpre; à ses pieds jouaient des enfants, vêtus en amours, et autour d'elle, semblable à Vénus sortant des flots, ses femmes, d'une rare beauté, représentaient les Néréides; à Tarse, s'excusant sur la fatigue du voyage, elle pria Antoine de se rendre à bord de son vaisseau et lui donna des fêtes splendides; Pline raconte que dans un de ces repas elle fit fondre dans une coupe de vinaigre une de ses perles d'oreilles, valant 10 millions de sesterces (la seconde perle fut après sa mort portée à Rome, partagée en deux et placée aux oreilles de la statue de Vénus dans le Panthéon). Antoine s'éprit passionnément de Cléopâtre, et abandonnant son expédition contre les Parthes, la suivit en Égypte où il passa tout l'hiver de 41 à 40 av. J.-C. dans les fêtes; mais les événements survenus à Rome pendant son absence, et l'irritation de sa femme Fulvie, l'obligèrent bientôt à reprendre le chemin de l'Italie. La guerre civile faillit alors recommencer. Mais Octave avait besoin d'Antoine, et après la mort de Fulvie, ils se réconcilièrent à Brindes; comme gage de cette réconciliation, Antoine épousa Octavie, sœur d'Octave; pendant près de trois années, il vécut tranquillement auprès de sa femme: il semblait avoir oublié Cléopâtre, et l'on nous a transmis le récit de la jalousie et do la colère de la reine d'Égypte. Mais en l'année 37 av. J.-C. (717), il dut repartir -pour une nouvelle expédition contre les Parthes: son armée fut harcelée par les Parthes, ravagée par les privations et les maladies, et il parvint à grand'peine à éviter le sort de Crassus; Cléopâtre vint le rejoindre en Syrie. Aussitôt Antoine retomba sous le charme et retourna avec elle en Égypte, sous prétexte d'y préparer une seconde campagne; dés lors, il ne la quitta plus. Il disposa en maître des monarchies orientales, et mit le comble à l'irritation des Romains en quittant la toge pour les somptueux vêtements asiatiques, et en célébrant un triomphe à Alexandrie (34 av. J.-C.), malgré la loi formelle qui interdisait de célébrer un triomphe autre part qu'à Rome. C'est au milieu de ces fêtes que Cléopâtre fut déclarée «reine des rois »; le fils qu'elle avait eu de César fut nommé roi d'Égypte et de Chypre avec sa mère; les enfants d'Antoine et de Cléopâtre reçurent chacun de riches provinces romaines. C'étaient: Alexandre qui obtint l'Arménie, la Médie et la Parthie; Ptolémée qui reçut la Syrie et la Cilicie; et Cléopâtre, sœur jumelle d'Alexandre, qui eut la Cyrénaïque. Peu après, Antoine répudia Octavie, sans cependant épouser Cléopâtre, craignant peut-être l'irritation des Romains. Cependant, Octave, menacé directement dans ses prétentions au trône, se préparait à combattre Antoine. Il fit déclarer par le sénat romain la guerre à Cléopâtre, considérée comme cause de tout le mal. Antoine, de son côté, avait rassemblé des troupes et se trouvait en Grèce avec la reine d'Égypte qui le poussait à la guerre; il passa l'année à Éphèse, à Samos, à Athènes, au milieu des fêtes et des honneurs. L'hiver de 32 à 31 passa encore sans événement; mais, au printemps, Octave se porta vers Actium: on dit que Cléopâtre poussa alors Antoine (V. ce nom) à hâter la bataille et à attaquer imprudemment Octave, dans le golfe d'Ambracie, sur la côte d'Épire, près de la ville d'Actium (le 2 sept. 31 av. J.-C.). Au milieu de la lutte, et avant que rien ne fût perdu, Cléopâtre, par caprice ou par crainte, fit virer de bord sa galère, et aussitôt les soixante galères égyptiennes suivirent son mouvement; Antoine, à cette vue, ne voulant pas la quitter, abandonna ses vaisseaux et se fit transporter sur la galère de Cléopâtre: il perdait l'empire du monde. On dit que pendant trois jours il resta auprès du gouvernail, la tête dans ses mains, sans vouloir parler à celle pour qui il avait tout sacrifié. De retour à Alexandrie, il pensa un moment à se défendre, mais se replongea bientôt dans les fêtes, comme pour tout oublier. On nommait ses compagnons de plaisir «la bande de la vie inimitable », mais il voulut changer ce nom contre un mot grec qui signifie «ceux qui veulent mourir ensemble ». Cléopâtre semblait avoir retrouvé tout son courage, elle fit quelques préparatifs de défense: on l'a accusée d'avoir voulu se ménager l'indulgence du vainqueur; mais cela n'a pas été prouvé. On dit qu'elle pensa un moment à se réfugier dans l'Inde. Quoi qu'il en soit, elle se préparait à la mort, et faisait construire un immense mausolée, près du temple d'Isis, ou elle fit déposer ses trésors.

Octave, retardé quelque temps par divers incidents, avançait maintenant vers l'Égypte à travers la Syrie; au printemps, il parut avec son armée devant Alexandrie. Cléopâtre, jugeant alors tout perdu, s'enferma dans son mausolée avec deux de ses femmes, Iras et Charmion, et fit répandre le bruit de sa mort; à cette nouvelle, Antoine ne voulant pas lui survivre, se poignarda; mais comme il ne mourut pas sur le coup, il apprit que Cléopâtre vivait encore, et se fit descendre auprès d'elle à l'aide de cordes, par la fenêtre, seule ouverture du mausolée. Elle lui donna les soins les plus tendres, et Antoine mourut dans les bras de celle qu'il avait tant aimée.

Octave entra alors dans Alexandrie, et malgré les précautions prises par Cléopâtre, il la fit enlever par ses soldats; la reine lui demanda et obtint la permission de rendre à Antoine les honneurs funèbres. Cléopâtre fit à son amant de magnifiques funérailles. Elle manifestait la plus vive douleur; c'est alors qu'Octave la vit; il lui dit qu'elle n'avait rien à craindre; elle lui rappela que le grand César l'avait aimée, et l'on a prétendu qu'elle tenta de séduire l'âme froide et méfiante d'Octave; mais elle vit bien dans les yeux du vainqueur, malgré ses protestations, le sort qu'il lui réservait: elle ne voulait pas servir à son triomphe et résolut de mourir. Auparavant, elle vint faire pour la deuxième fois des libations sur la tombe d'Antoine, et, couchée sur la pierre qui le couvrait, lui adressa de touchantes paroles que rapporte Plutarque, puis elle s'étendit sur un lit, se fit revêtir de ses vêtements royaux, et trompant la surveillance d'Octave, se donna la mort avec ses deux suivantes, Iras et Charmion. Le récit de cette mort est diversement rapporté; on a dit qu'elle s'était empoisonnée; le récit le plus poétique a prévalu: elle se fit apporter un panier de figues et de fleurs, au milieu desquelles se cachait un aspic qui lui fit au sein une morsure mortelle. Octave ne put faire figurer à son triomphe que l'image de Cléopâtre (30 av. J.-C.). Les statues de Cléopâtre furent conservées en Égypte, grâce à Alchibius qui donna mille talents à Octave pour qu'il ne les détruisit pas avec celles d'Antoine. Octave permit aussi de déposer ses restes auprès d'Antoine.»

PHILIPPE BERTHELOT, article «Cléopâtre», tome onzième, La Grande Encyclopédie, Paris, 1885-1902

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