Claude (Gelée dit le) Lorrain
D'ARGENVILLE
«Ses tableaux sont si parfaits, qu'il demandent ce qu'on ne peut leur refuser, c'est l'admiration: ils parlent encore à tous les âges.
Sa coutume était de faire et d'effacer continuellement; il glaçait tous ses fonds, et couvrait l'ouvrage de la veille sans qu'il y parût aucune touche; tout est fondu, tout est d'un accord admirable, et personne n'a mieux entendu la dégradation des lointains. Il ne peignait point dans la campagne, les jours les nuits s'y passaient à y observer les divers accidents de l'aurore, du lever et du coucher du soleil; les temps de pluie, de tonnerre et autres effets de la nature ne lui échappaient pas: il revenait ensuite chez lui confier à la toile tout ce qu'il avait remarqué de plus considérable.
Quand Claude peignait des arbres en grand, on en distinguait chaque espèce; un auteur contemporain dit que les feuilles en paraissent agitées et bruyantes...» (Abrégé de la vie des plus fameux peintres, 1762)
DENIS DIDEROT
«Je persiste dans mon opinion, Vernet balance le Claude Lorrain dans l'art d'élever des vapeurs sur la toile; et il lui est infiniment supérieur dans l'invention des scènes, le dessin des figures, la variété des incidents, et le reste. Le premier n'est qu'un grand paysagiste tout court; l'autre est un peintre d'histoire, selon mon sens. Le Lorrain choisit des phénomènes de nature plus rares, et par cette raison peut-être plus piquants. L'atmosphère de Vernet est plus commune, et par cette raison, plus facile à reconnaître.» (Salon de 1765)
SIR JOSHUA REYNOLDS
«Claude Lorrain était, au contraire, convaincu qu'on parvient rarement à la beauté en prenant la nature même telle qu'elle se présente. Ses paysages sont un composé de différentes esquisses qu'il avait faites auparavant de plusieurs sites et points de vue variés... On ne peut douter que la manière dont Claude Lorrain a traité le paysage, en y mettant du choix, doive être préférée par les peintres paysagistes à celle des écoles flamande et hollandaise, puisque cette vérité est fondée sur le même principe que celui par lequel le peintre d'histoire parvient à la perfection des formes; mais il n'est pas facile de déterminer si le peintre paysagiste a le droit de porter ses prétentions assez haut pour rejeter ce qu'on appelle en peinture accidents de la nature. Il est certain que Claude Lorrain a employé rarement, et peut-être même jamais, de pareils accidents; soit parce qu'il pensait que ces détails ne s'accordent pas avec le style de la nature vue en grand, qu'il avait adopté; soit parce qu'il croyait qu'ils fixeraient trop l'attention, et détruiraient cette tranquillité et ce repos qu'il regardait comme essentiels à cette espèce de peinture.» (Discourses delivered at the Royal Academy, 1769-1791)
JOHN CONSTABLE
«On l'a toujours considéré comme le plus parfait paysagiste qui soit au monde et il mérite pleinement cet éloge. Ses tableaux ont toujours un caractère de beauté sereine. La douceur et l'aménité règnent dans toutes les créations de son pinceau; mais sa force suprême consiste à unir l'éclat à la quiétude, la chaleur à la fraîcheur, l'ombre à la lumière...» (Lectures at the Royal Academy, 1835)
REYNALDO HAHN
«Claude Lorrain a compris et a su rendre tout ce qu’il y a de triste dans l’adieu du jour, la mélancolie qu’on peut éprouver à quitter un ami de vingt-quatre heures et qu’on ne doit plus revoir. Et ses personnages sont placés près des eaux, comme pour dire adieu aux rayons qui vont partir à jamais sur la mer.» (Journal d’un musicien, Paris, Plon, 1933)
LÉON HOURTICQ
« Dans son émerveillement, il voit des architectures de féerie. Parfois, c’est un port; le soleil, avant de disparaître au bord de l’Océan, darde ses rayons d’or qui, de chaque côté, caressent des façades de marbre et accrochent des étincelles aux crêtes innombrables des petites vagues. Ailleurs, c’est une plaine, et les sombres massifs des grands arbres font paraître plus léger et plus limpide le lointain illimité. Il n’y a d’ombre et de solidité qu’au premier plan, au bord du cadre : au centre du tableau, les objets, à mesure qu’ils s’éloignent, s’allègent, pénétrés par la lumière et comme embrasés par l’atmosphère en feu.» (Histoire générale de l’art : France, Paris, Hachette, 1911)
ÉLIE FAURE
« Poussin est Normand, Claude est Lorrain. L’un grand lecteur, l’autre sachant à peine lire, écrivant mal jusqu’à son nom. L’un d’ordonnance d’esprit ferme, méditatif, quelque peu doctrinaire, porté aux généralisations intellectuelles et aux abstractions plastiques. […] L’autre de visage brouillé, avec des bosses inégales, gauche et balourd, allant à l’aurore et au crépuscule comme une bête à l’abreuvoir, maintenu au-dessus d’un travail pénible et d’une conception confuse par une exaltation lyrique continue. […] Mais tous les deux épris de rythme et de mesure, d’un temps où le besoin de méthode et de style réagissait partout contre la fermentation politique et intellectuelle qui avait arraché le XVIe siècle à l’organisme médiéval, et décidés à demander à l’Italie la discipline où ses maîtres libérés les premiers des servitudes anciennes tendaient irrésistiblement dans la confusion des recherches isolées et des antagonismes passionnels. » (Histoire de l’art. L’art moderne)