Fourier Charles

1772-1837

"La vie de Fourier n'a guère été moins bizarre que ses idées. Il avait 17 ans quand la Révolution française a éclaté : il est mort sous le règne de Louis-Philippe et, par conséquent, il a assisté à toute cette période si agitée de notre histoire et qui a si profondément remué tous ceux qui en ont été les témoins. 

Or, il ne paraît pas y avoir prêté la moindre attention ; rien dans ses écrits n'indique qu'il se soit  aperçu qu'il y avait eu, de son vivant, une Révolution française, un Empire, un Waterloo, une Restauration, une Révolution de 1830. La distraction paraît un peu forte, mais il était, en effet, prodigieusement distrait, parlant tout haut dans la rue, restant des nuits sans dormir. Il faut dire aussi qu'il considérait les questions politiques comme de nulle importance à côté des questions sociales, en quoi il n'avait pas tout à fait tort, et il nous a prouvé par son exemple que l'on peut être bon démocrate et même bon socialiste sans s'occuper de politique, et que c'est peut-être même la meilleure façon de l'être. Mais il faut avouer que cette façon-là n'est pas commune. 

Petit employé de magasin, 'sergent de boutique', comme il se désignait lui-même, la plus grande partie de sa vie s'est écoulée dans les emplois les plus obscurs, et le reste a été absorbé par la publication de quatre ou cinq énormes volumes et la préparation de beaucoup d'autres qui n'ont jamais vu le jour. Homme exact, ponctuel, méticuleux, poussant l'amour de la symétrie jusqu'à là manie, d'une probité à toute épreuve, d'une charité inépuisable, d'un entêtement que rien ne pouvait vaincre ou, si vous préférez, d'une loi que rien ne pouvait ébranler; ne connaissant d'autre passion que celle des fleurs, dont il avait rempli sa chambre et à travers lesquelles les visiteurs ne parvenaient pas à se frayer un passage, ayant toutes les manies des vieux garçons ou, pour mieux dire, des vieilles demoiselles, en particulier celle des chats, dont il avait rempli sa cour et auxquels il distribuait des repas à heure fixe ; n'ayant pas ri une seule fois, et trouvé mort un beau matin dans la chambre d'un hôtel garni, — telle fut la vie et la mort de Charles Fourier."

Charles Gide, La coopération : conférences de propagande, Paris, L. Larose, 1900, p. 279-280.
 

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