Enjeux

L'adoption internationale, un phénomène récent et complexe

"Apparue dans les années 1960, l'adoption internationale a pris une importance qui suscite désormais certaines réticences de la part des pays d'origine, et qui nécessite une information spécifique des parents adoptifs, en raison de la complexité des liens créés par l'adoption entre l'"enfant venu d'ailleurs" et sa nouvelle famille.

1. L'expansion des adoptions d'enfants nés à l'étranger depuis les années 1960

Divers facteurs ont conduit les adoptants français à se tourner de plus en plus couramment vers l'adoption internationale. La baisse de la natalité en France et la diminution du nombre de grossesses non désirées ont contribué, avec une attitude plus ouverte de la société à l'égard des mères célibataires, à limiter la pratique de l'abandon d'enfants. A ces motifs d'opportunité -trouver un enfant adoptable à l'étranger devenait plus facile qu'en France- s'ajoutait, à l'origine, un esprit humanitaire, l'adoption internationale visant initialement à aider les enfants en détresse dans leur pays (Algérie, Colombie, Vietnam), quand celui-ci n'offrait aucune possibilité de sauvetage en raison des guerres, des épidémies et des famines qui ont proliféré dans le monde depuis les années soixante.

Le but des adoptants français consistait aussi parfois, à cette époque pionnière, comme le rappelle le professeur Jean-François Mattei dans son rapport "Enfant d'ici, enfant d'ailleurs - L'adoption sans frontières 3 (3), à accueillir un enfant pour une hospitalisation ou une intervention chirurgicale. Ces adoptions concernaient des enfants métissés, handicapés, malades, orphelins ou abandonnés auxquels leur pays n'offrait aucun avenir. L'esprit qui dominait ces premières adoptions internationales était avant tout de "trouver une famille pour un enfant malheureux, et non pas un enfant pour une famille malheureuse" (4).

Devenue une alternative à l'adoption d'enfants nés en France, du fait de la réduction rapide du nombre d'enfants adoptables dans notre pays, l'adoption internationale a connu un important développement: elle représente aujourd'hui deux tiers des adoptions non familiales en France. Ce phénomène s'est traduit par un indéniable changement de nature. L'adoption internationale est, en effet, vécue par certains comme la quête parfois très passionnelle et douloureuse d'un enfant: on s'éloigne alors de la "démarche qui consiste à rechercher une famille pour un enfant qui en est dépourvu, puisque c'est l'enfant qui est recherché".

La France est désormais le deuxième pays d'accueil d'enfants adoptés à l'étranger (plus de 3 500 enfants ont été adoptés ainsi en 1996), après les Etats-Unis où sont réalisées chaque année environ 10 000 adoptions de ce type. Entre 1979 et 1996, plus de 40 000 enfants nés à l'étranger ont été adoptés en France. Ce phénomène concerne également, outre la France, l'Italie, l'Espagne, le Canada et les pays scandinaves. Il demeure marginal en Allemagne.

2. La question de l'attitude des pays d'origine

. La géographie de l'adoption internationale fait apparaître une diversification progressive des pays d'origine: de 7 en 1975, ce nombre est passé à 65 en 1996. La part de l'Afrique a augmenté assez régulièrement depuis 1987, de même que celle de l'Asie. Le nombre d'enfants adoptés originaires d'Europe a connu un certain pic en 1990-1991, probablement lié aux événements de Roumanie et à l'ouverture de la Pologne et de l'ex-URSS, mais ce mouvement paraît régresser, de même que diminue le nombre d'adoptions d'enfants originaires d'Amérique. La part de l'Asie connaît, en revanche, une expansion importante.

En 1996, les adoptions internationales effectuées par des adoptants français étaient ainsi réparties entre les régions d'origine des enfants:
- Asie : 45,06 %;
- Amérique : 22,04 %;
- Afrique : 16,86 %;
- Europe : 16,04 %.
. L'opinion publique des pays d'origine perçoit de manière contrastée le développement des adoptions internationales. Certains considèrent ce phénomène comme une forme de néocolonialisme, et l'assimilent à un appauvrissement au profit des pays riches. Certains pays, comme le Sri-Lanka, se sont fermés à l'adoption internationale après avoir découvert d'importants trafics d'enfants. En Colombie, l'opinion s'est émue de l'inculpation pour mauvais traitements à enfants d'un couple français qui avait adopté un bébé colombien. Des témoignages d'adoptants français font état de gestes d'hostilité de la part de Vietnamiens, à la vue d'occidentaux en compagnie d'enfants vietnamiens (5).

3. Un phénomène complexe, dont les conséquences doivent être mesurées par les adoptants

Si l'adoption d'enfants français peut, le cas échéant, reposer sur la fiction de la ressemblance entre l'enfant adopté et ses parents adoptifs, qui pourrait tenir lieu de filiation biologique, cette filiation disparaît, dans la plupart des cas, avec l'adoption internationale. L'enfant adopté à l'étranger est, en effet, souvent confronté à des difficultés identitaires liées à la différence physique avec ses parents adoptifs. Selon certains psychologues, la découverte par l'enfant adopté de la différence entre son visage et celui de ses parents peut produire un sentiment de honte et de confusion, susceptible d'être à l'origine de troubles psychologiques graves (6). De manière générale, les enfants et adolescents nés à l'étranger qui évoquent le moment de l'adoption se rappellent un profond sentiment de désorientation, de détresse et d'angoisse, à l'origine d'une tendance à la passivité, imputée par certains thérapeutes (7) à l'obligation, pour l'enfant, lors de son arrivée dans son nouveau pays, de s'intégrer à tout prix à son nouveau milieu, cette intégration passant par une tendance très nette à se décharger sur une personne, généralement la mère adoptive, de toute initiative.

Il est donc clair que la sensibilisation des adoptants à l'effort qu'implique une adoption internationale est primordiale pour la réussite de l'accueil de l'enfant. Comme le souligne le rapport Mattei, "les différences physiques, linguistiques et culturelles peuvent entraîner des problèmes et susciter des dysfonctionnements dans les relations entre l'enfant et les parents. Chaque famille doit savoir que les enfants, quel que soit leur âge, ont souffert, et que quelquefois cette souffrance a laissé des traces très profondes". Ainsi importe-t-il d'accompagner les adoptants en leur prodiguant conseils, informations et soutien psychologique.

En France, ce rôle est généralement tenu par des associations de parents adoptifs. Parmi les gestes à entreprendre vis-à-vis de l'enfant, à la nécessité desquels doivent être sensibilisés les adoptants, figure l'acquisition de connaissances du pays d'origine de l'enfant, devant conduire à un voyage de découverte, qui permet à l'enfant de découvrir ses attaches. L'écueil à éviter est néanmoins de compromettre l'intégration et l'épanouissement de l'enfant dans son pays d'accueil, en développant de manière exagérée ses particularismes culturels."

Notes
(3) Rapport à Monsieur le Premier ministre sur l'adoption - 31 janvier 1995.
(4) J. F. Mattei, op. cit.
(5) Voir par exemple Seren Guttmann, Journal d'une adoption - Une filière à Hanoi, l'Harmattan, 1997.
(6) Cas d'un adolescent d'origine coréenne étudié dans Maurice Berger, L'enfant et la souffrance de la séparation, Dunod, 1997.
(7) H. et J. P. Waber, "Histoires singulières - Histoires plurielles", in Étude et rapports de la recherche appliquée, Suisse, 1994.

source: Sénat français - Commission des Affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Rapport (n° 151) sur le projet de loi autorisant l'approbation de la convention sur la protection des enfants et la coopération en matière d'adoption internationale. Session ordinaire de 1997-1998. Annexe au procès-verbal de la séance du 3 décembre 1997. Rapporteur: Monique Cerisier-ben Guiga - reproduction autorisée par le site d'origine

Articles


Aimer sans conditionnel

Hélène Laberge
Un couple adopte dix-sept  enfants handicapés après avoir eu et élevé trois enfants bien à lui. Et il raconte avec une tendresse réaliste l'histoire de chacun de ces enfants adoptés, y compris celle de trois d'entre eux dont le passé antéri



Lettre de L'Agora - Printemps 2025

  • Billets de Jacques Dufresne

    J'ai peur – Jour de la Terre, le pape François, Pâques, les abeilles – «This is ours»: un Texan à propos de l'eau du Canada – Journée des femmes : Hypatie – Tarifs etc: économistes, éclairez-moi ! – Musk : danger d'être plus riche que le roi – Zelensky ou l'humiliation-spectacle – Le christianisme a-t-il un avenir?

  • Majorité silencieuse

    Daniel Laguitton
    2024 est une année record pour le nombre de personnes appelées à voter, mais c'est malheureusement aussi l’année où l'abstentionnisme aura mis la démocratie sur la liste des espèces menacées.

  • De Pierre Teilhard de Chardin à Thomas Berry : un post-teilhardisme nécessaire

    Daniel Laguitton
    Un post-teilhardisme s'impose devant l'évidence des ravages physiques et spirituels de l'ère industrielle. L'écologie intégrale exposée dans les ouvrages de l'écothéologien Thomas Berry donne un cadre à ce post-teilhardisme.

  • Réflexions critiques sur J.D. Vance du point de vue du néothomisme québécois

    Georges-Rémy Fortin
    Les propos de J.D. Vance sur l'ordo amoris chrétien ne sont somme toute qu'une trop brève référence à une théorie complexe. Ce mince verni intellectuel ne peut cacher un mépris égal pour l'humanité et pour la philosophie classique.

  • François, pape de l’Occident lointain

    Marc Chevrier
    Selon plusieurs, François a été un pape non occidental parce qu'il venait d'Amérique latine. Ah bon ? Cette Amérique se tiendrait hors de l'Occident ?

  • L'athéisme, religion des puissants

    Yan Barcelo
    L’athéisme peut-il être moral? Certainement. Peut-il fonder une morale? Moins certain, car l’athéisme porte en lui-même les semences de la négation de toute moralité.

  • Entre le bien et le mal

    Nicolas Bourdon
    Une journée d’octobre splendide, alors que je revenais de la pêche, Jermyn me fit signe d’arrêter. « Attends ! J&

  • Le racisme imaginaire

    Marc Chevrier
    À propos des ouvrages de Yannick Lacroix, Erreur de diagnostic et de François Charbonneau, L'affaire Cannon

  • Le capitalisme de la finitude selon Arnaud Orain

    Georges-Rémy Fortin
    Nous sommes entrés dans l'ère du capitalisme de la finitude. C'est du moins la thèse que Arnaud Orain dans son récent ouvrage, Le monde confisqué

  • Brèves

    La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – La source augustinienne de la spiritualité de Léon XIV – Chine: une économie plus fragile qu'on ne le croit – Serge Mongeau (1937-2025) – Trump: 100 jours de ressentiment – La classe moyenne américaine est-elle si mal en point?