Saint Augustin et les Confessions

Émile-Henry Auguste
Article de la Grande Encyclopédie (1885-1902) incluant un résumé des Confessions.
AUGUSTIN (Saint). Aurelius Augustinus, évêque d'Hippone (Hippo regius), docteur et père de l'Église, né à Thagaste, en Numidie, le 13 nov. 354, mort à Hippone le 28 août 430. Patricius, son père, décurion du municipe de Thagaste, était païen. C'est, parmi les historiens ecclésiastiques, une tradition, accréditée d'ailleurs par le témoignage de son fils, que de le représenter comme un homme vulgaire, violent et sensuel. Quoi qu'il en soit, il est certain que Patricius, étant presque pauvre, s'imposa de lourdes charges pour donner à son fils une haute instruction: il a grandement contribué à faire de lui le docteur le plus disert de l'Eglise, comme Monique, sa femme, à en faire un saint illustre. Monique était chrétienne de naissance; elle a été mise au rang des plus grandes saintes. Après le nom de Marie, son nom est celui que beaucoup de femmes catholiques invoquent avec la vénération la plus émue. Ce qu'on sait d'elle la montre douée d'une âme élevée et d'une piété pénétrante: elle finit par amener son mari à sa foi; elle pleura longtemps sur les égarements de son fils, mais, avant de mourir, elle eut le bonheur d'assister à sa conversion. — Dans un livre qu'il intitule ses Confessions, écrit vers 400, Augustin a cru devoir raconter l'histoire intime des trente-trois premières années de sa vie, non seulement depuis sa naissance, mais dès sa conception, jusqu'à la mort de sa mère (387). Cette œuvre, où se trouvent infiniment plus de dissertations que de faits, est le développement d'une thèse théologique; elle a été composée avec le parti-pris d'un auteur qui s'efforce de faire ressortir la souveraine puissance de la grâce de Dieu, par contraste avec la corruption native de l'homme qui en est l'objet. Nous croyons devoir emprunter, aussi littéralement que le permet un résumé fort succinct, les éléments de la première partie de notre notice à ce gros et célèbre livre, parce qu'il est un document incontestablement sincère et qu'il contient des traits caractérisant avec une netteté originale les idées du grand docteur, et surtout parce que ces Confessions exercent depuis quinze siècles, parmi les chrétiens, une action considérable, et qu'elles ont fait d'Augustin le seul théologien qui soit toujours resté populaire.

Il ne peut confesser rien de précis sur la période obscure qu'il passa dans le ventre de sa mère; mais il demande à Dieu si, avant même ce temps, il était quelque chose et s'il était quelque part. Comme il n'y a pas d'homme sans souillure, pas même l'enfant né d'un jour, Augustin pêcha dès sa naissance, en ce que l'ardeur qu'il avait de têter allait jusqu'à le faire pleurer. Cependant, sa mère déposait dans son âme des germes de piété enfantine; il priait volontiers, mais surtout pour obtenir la grâce de ne pas étre fouetté à l'école; or, il n'aimait pas à l'être, quoiqu'il le méritât continuellement. Pendant une maladie qui mit sa vie en danger, il demanda instamment le baptême; mais le mal s'était soudainement dissipé, on remit à un autre temps à le nettoyer de ses péchés, parce que les péchés où l'on tombe après avoir été baptisé sont plus graves et de plus dangereuse conséquence. Ce retard fut évidemment un bienfait de la divine Providence; car Augustin continua à pécher beaucoup, aimant le jeu plus que l'école et les fables plus que les études sérieuses, dérobant dans la maison et sur la table de son père des friandises qu'il partageait avec ses petits camarades. Mais où le fonds de péché qu'il portait en lui apparaissait le plus manifestement, c'est dans l'aversion qu'il avait pour le grec et dans les larmes que Virgile lui faisait verser sur la mort de la misérable Didon. De tout cela résulte cette conclusion du livre premier: «Si le Christ a proposé les enfants comme modèles à ses disciples, c'est à cause de leur petitesse, qui est une exhortation à l'humilité, et non à cause de leur innocence; leur prétendue innocence n'existe pas. Ils méritent les férules, comme les vieux criminels méritent la corde: à part cette différence dans les châtiments, les uns et les autres sont également iniques et corrompus.»

L'histoire de l'adolescence d'Augustin a été ainsi résumée par lui: «Au sortir de mon enfance, cherchant à contenter les ardeurs que je ressentais pour les voluptés les plus grossières, je me livrais à une infinité de passions qui, pullulant de jour en jour dans mon cœur, y firent comme une forêt épaisse.» Cette crise prit toute son intensité en la seizième année du jeune homme, aggravée par l'oisiveté. On venait de le retirer de Mandaure, où il avait été placé pour commencer à apprendre les lettres humaines et les principes de l'éloquence. Son père voulait l'envoyer à Carthage pour achever ses études; mais dans l'état de gêne où il se trouvait, il dut peiner pendant une année pour se procurer l'argent nécessaire; il mourut peu de temps après. — À Carthage, où il alla vers l'âge de dix-sept ans, et où il fut entretenu en grande partie, par la générosité d'un parent éloigné, Augustin obtint bientôt le premier rang dans les écoles; mais il confesse qu'il eut le désir d'aimer et d'être aimé, qu'il y réussit et qu'il trouva beaucoup d'amertume en ces fausses douceurs. En sa dix-neuvième année, la lecture de l'Hortensius de Cicéron, livre aujourd'hui perdu, lui inspira une passion plus haute; il s'éprit d'un amour incroyable pour la beauté incorruptible de la véritable sagesse. En même temps, il prit une concubine; il impute cette liaison à l'ardeur folle et emportée de son impudicité; néanmoins elle correspond à un relèvement incontestable de ses mœurs: il ne voyait plus d'autres femmes qu'elle et lui gardait fidélité; il eut d'elle un fils, qu'il appellera plus tard l'enfant de son péché, mais dont il fit d'abord hommage à Dieu et qu'il nomma Adéodat (a Deo datas). Quand, après treize années de cette communauté d'existence, la rupture eut lieu, on verra que la conduite de la concubine renvoyée fut infiniment plus digne que celle d'Augustin, aspirant alors au mariage et déjà en voie de conversion (liv. IV et liv. VI, ch. xv). Devenu professeur à son tour, il enseignait la rhétorique avec succès et avec conscience, quoique ses élèves et lui n'aimassent et ne cherchassent que la vanité et le mensonge. Il complétait aussi ses propres études en étudiant les Catégories d'Aristote; et il apprit sans peine, quoique sans aide, tout ce qui regarde l'éloquence, la géométrie, la musique, l'arithmétique (liv. IV).

Cependant l'instinct chrétien qu'Augustin avait gardé de son enfance ne pouvait être satisfait par la pure philosophie; il se mit à lire l'écriture sainte; mais, n'y trouvait point le style de Cicéron, il la dédaigna bientôt et se tourna vers les manichéens, qui lui promettaient la possession de la vérité, sans abdication de la raison, et qui attribuaient dans leur système une part importante à la personne de Jésus, que sa mère lui avait appris à vénérer; il adopta leur doctrine (373) et mit une grande ardeur à la propager. Pendant près de neuf années, il resta dans ce qu'il appelle cet abîme de boue et ces ténèbres d'erreur, faisant pour en sortir de vains efforts qui n'aboutissaient qu'à l'y enfoncer davantage (liv. III). Il cultivait mêmement l'astrologie, qui flatte l'orgueil de l'homme d'une fausse innocence, en rejetant tout le mal qu'il fait sur le créateur et le modérateur du ciel. Enfin, il eut le malheur de remporter le prix de poésie, ce qui aggrava sa maladie de la fausse gloire. — En ces années, il était revenu de Carthage à Thagaste, puis il s'en était retourné à Carthage. Il n'avait que vingt-six ou vingt-sept ans lorsqu'il composa un traité De pulchro et apto (Sur la beauté et la convenance), œuvre inspirée par la doctrine des manichéens. Moins de deux ans après, il fut amené à concevoir des doutes très sérieux sur la valeur de cette doctrine et plus encore sur la sincérité et la vertu de ses docteurs. Désespérant de trouver dans cette secte de quoi s'avancer dans la connaissance de la. vérité, il la négligea beaucoup, quoiqu'il y restât, résolu de s'en contenter et de s'y tenir, jusqu'à ce qu'il eût trouvé quelque chose de meilleur (liv. V, ch. x), acceptant d'ailleurs l'assistance et la protection des manichéens, quand elles lui étaient utiles. — Ses amis le décidèrent à aller s'établir à Rome, espérant pour lui plus de profit, plus d'honneur et des élèves plus convenables qu'à Carthage. Ces espérances furent déçues. Augustin tomba dangereusement malade en arrivant à Rome; il fut reçu et soigné par un manichéen. Quand il fut guéri, il se mit à donner des leçons de rhétorique; mais on l'avertit que, si les étudiants de Carthage étaient grossiers et violents, ceux de Rome avaient d'autres défauts et que souvent ils désertaient en troupe un maître, sans payer ses leçons, pour en suivre un autre. Apprenant donc que la ville de Milan avait demandé à Symmaque, préfet de Rome, un professeur de rhétorique, il sollicita cet emploi, en se faisant recommander par les amis qu'il avait parmi les manichéens. Symmaque, s'étant assuré de la capacité d'Augustin, par un discours prononcé devant lui sur un sujet donné, l'envoya à Milan. En cette ville, Augustin fit visite à Ambroise et il s'attacha à suivre ses prédications, à cause de la bienveillance que cet évêque lui avait témoignée et à cause de son éloquence; mais plus attentif à la manière dont il parlait qu'au fond des choses qu'il disait. Il fut pourtant touché des explications qu'Ambroise donnait sur le sens allégorique de l'Ancien Testament, dont le sens littéral l'avait rebuté jusqu'alors. Il résolut d'abandonner les manichéens, puis de se faire catéchumène dans L'Église catholique et de s'en tenir là, jusqu'à ce que quelque chose de bien clair et de bien certain «lui eut montré de quel côté il devait se fixer» (liv. V, ch. XIV).

Trois choses retenaient encore Augustin loin de la foi et de la discipline de l'Église catholique: l'impossibilité de concevoir une substance absolument immatérielle, l'impossibilité d'expliquer l'origine du mal, l'impossibilité de s'abstenir de femme. — Sa mère, espérant que le mariage le mènerait au baptême, auquel il lui paraissait de jour en jour plus disposé, travailla sans relâche à le marier. Une jeune fille, qui était encore une enfant, lui fut promise, Pour supprimer tout obstacle à ce mariage, il consentit à renvoyer la concubine avec laquelle il vivait depuis de longues années. Cette femme se retira avec dignité, elle partit pour l'Afrique, jurant qu'elle n'appartiendrait jamais à aucun autre homme, et elle laissa à Augustin le fils qu'elle lui avait donné. Mais lui, comme la jeune fille qui lui était promise ne devait être nubile que deux ans plus tard, prit une autre concubine, en attendant (liv. XIII, ch. sur et xv). Les deux autres obstacles qui s'opposaient à sa conversion furent plus facilement franchis. On lui avait remis quelques ouvrages des platoniciens ou plutôt des néoplatoniciens, traduits du grec en latin par Victoria, professeur de rhétorique à Rome. Il lut ces livres et y trouva une grande partie de ce que l'Église enseigne sur le Verbe; moins ce qui concerne la personne de Jésus-Christ, la médiation et la rédemption réalisées en lui; il y trouva aussi sur l'essence divine et la nature du mal des notions qui lui ouvrirent des vues nouvelles. Il reprit alors la lecture de l'Écriture sainte, et s'attacha particulièrement aux épures de saint Paul. Il y découvrit les merveilles de la conduite de Dieu sur les hommes et cette découverte le faisait pâmer d'admiration (liv. VII). Il était dès lors dans l'état d'un homme dont l'esprit est convaincu de la vérité; mais son cœur n'était point encore défait de son vieux levain. Il voulait une femme, et c'était par cela qu'il était retenu. Les misères qui l'attendaient dans le mariage l'effrayaient, mais la continence le consternait (liv. VIII). En ces perplexités, il alla demander conseil au vieux Simplicien qui avait servi de père à Ambroise, lors de son baptême. Simplicien raconta la conversion de Saturnin, le traducteur des livres néoplatoniciens qu'Augustin avait étudiés. Augustin fut ému, mais il ne put encore se résigner à se passer de femme. Il fut plus profondément ébranlé par l'exemple, de saint Antoine et de ses imitateurs, qui lui fut proposé par son ami Pontitien. De cet ébranlement résulta la crise décisive, qu'Augustin appelle une furieuse tempête suivie d'une pluie de larmes. Comme il se lamentait et pleurait, il entendit une voix qui paraissait venir d'une maison voisine. C'était la voix d'une fille ou d'un enfant qui chantait: «Prends et lis, prends et lis», et qui répétait cela plusieurs fois. Il comprit que cette voix venait du ciel et qu'elle lui ordonnait d'ouvrir les épîtres de saint Paul et d'y lire ce qui se présenterait à ses yeux. il ouvrit le livre, et ses yeux tombèrent sur ces lignes de l'épître aux Romains , XIII, 43: «Ne vivez point dans les dissolutions des festins et de l'ivrognerie , ni dans la débauche et l'impiété, ni dans un esprit d'envie et de contention; nais revêtez-vous de Jésus-Christ et prenez garde de ne point satisfaire les désirs déréglés de votre chair.» Et tout fut consommé (sept. 386); il ne restait plus à Augustin nulle pensée pour le mariage ni pour aucun des avantages qu'il aurait pu espérer dans le monde (liv. VIII, ch. xii). Quelques jours après, quand vinrent les vacances qu'on donnait à l'époque des vendanges, il se démit de ses fonctions de professeur d'éloquence et il se retira à la campagne, dans la maison de Verecundus, son ami. Les entretiens qu'il eut en cette retraite, soit avec les amis qui l'avaient suivi, soit avec lui-même , en la seule présence de Dieu, ont fourni la matière de ses premiers écrits chrétiens, notamment des Soliloques, du traité Sur l'immortalité de l'âme et des trois livres Contre les Académiciens. Augustin leur reproche de sentir encore le faste de l'école. En ce temps-là aussi, le souverain pouvoir que Dieu exerce sur toutes choses se manifesta sur lui, en ce qu'il fut guéri soudainement et certes miraculeusement d'un affreux mal de dents (liv. IX, ch. iv). — Pendant les fêtes de Pâques, 387, il fut baptisé par Ambroise, avec son fils Adéodat, alors âgé d'environ quinze ans. Il le perdit quelque temps après. Cet enfant de son péché parait avoir été merveilleusement doué; c'est lui qui par:e dans le dialogue De magistro, et Augustin affirme que tout ce qu'il lui fait dire est bien de lui (liv. IX, ch. vi). Comme il se disposait à s'en retourner à Thagaste, pour se consacrer entièrement à Dieu, Monique, sa mère, tomba subitement malade à Ostie et elle mourut en sa cinquante-sixième année. Suivant la coutume du lieu, on offrit pour elle le sacrifice de la Rédemption, auprès de sa fosse et avant de la descendre. Ajoutons, pour compléter les détails concernant la famille d'Augustin , qui il avait un frère nommé Navigius et une sœur, dont le nom est resté inconnu, mais que la légende appelle sainte Perpétue; étant devenue veuve, elle fut placée par son frère à la tête d'un monastère de femmes. (v. AUGUSTINES)

La maladie et la mort de Monique ayant empêché le départ d'Augustin pour l'Afrique, il se rendit à Rome; il y séjourna pendant dix mois et y écrivit son traité Sur les mœurs catholiques et les mœurs des manichéens. Quand il fut enfin arrivé à Thagaste, il donna une partie de ses biens à 1'Eglise, vendit l'autre et en distribua le prix aux pauvres , ne gardant qu'une maison de campagne. Il y forma une communauté à la manière des cénobites, avec quelques amis partageant comme lui leur temps entre la contemplation, le travail de la terre, la prière et l'étude. Ses livres Sur la Genèse, — Sur la vraie religion, — Sur la musique appartiennent à cette époque. On y trouve encore les idées platoniciennes largement mêlées à la doctrine chrétienne. Malgré la solitude oh il s'était confiné, sa réputation de sainteté et de science s'étendit bientôt dans toutes les églises de la province. En 391, pendant un voyage qu'il fit à Hippone, les fidèles de cette ville le désignèrent à Valérius, leur évêque, comme l'homme le plus capable de combattre les donatistes. Valérius le décida à accepter l'office de preshytre et, après quelques mois de préparation, le consacra. En 395, il l'associa à son épiscopat; il mourut l'année suivante, et Augustin lui succéda comme évéque d'Hippone; il exerça ces fonctions jusqu'à l'année 430 , où il mourut, pendant que les Vandales ariens assiégeaient la ville. — Durant ce long ministère, il s'efforça de réaliser l'idéal chrétien qui brillait en sa conscience; il mit en son œuvre toutes les qualités et toutes les facultés dont il était doué: une profonde sincérité, un ardent amour de la vérité et un zèle non moins ardent pour la faire prévaloir; une singulière force d'attraction qui , aux divers ages de sa vie, amena vers lui et retint les sympathies; un complet désintéressement et une inépuisable charité pour les pauvres et les souffrants; une rare puissance de travail; enfin l'abondance et l'habileté d'élocution qu'il tenait de ses dispositions natives et de l'exercice de son ancienne profession. Son influence s'étendit ainsi beaucoup au delà de son diocèse. En ses dernières années, il exerçait sur toute l'Eglise catholique une véritable suprématie spontanément reconnue.

Pour la science théologique, Augustin doit être placé au-dessous de plusieurs pères de l'Église, mais il occupe le premier rang comme penseur subtil, pénétrant et logique. Son talent à exposer les choses et les idées, d'une manière claire et élégante, et les documents humains que contient son œuvre expliquent l'énorme influence qu'il exerça pendant sa vie et qu'il a continué à exercer après sa mort, par ses écrits. Il combattit avec supériorité et avec succès tous les hérétiques de son temps, et il traita d'une manière remarquable: presque toutes les matières dogmatiques, fortifiant l'enseignement de l'Église par des explications, des définitions et des preuves nouvelles et l'enrichissant par des expressions techniques et des notions inédites. Il est par excellence le docteur de l'Église d'Occident, défiante des spéculations théologiques et tenacement attachée à la tradition: elle admit toutes ses œuvres comme les oracles de l'orthodoxie. Comme Augustin a écrit sur tous les points de la doctrine religieuse, on s'en rapporta à lui dans toutes les difficultés dogmatiques, et une citation de lui devint un suprême argument. On en vint même à considérer comme article de foi ce qu'il n'avait donné que comme hypothèse. Quand, par hasard, on s'écartait de sa doctrine, on n'osait pas avouer cette témérité, et l'on cherchait à la dissimuler par une interprétation forcée de ses paroles. On vénérait toutes les opinions émises dans ses livres, mais souvent, en revanche, on condamna certaines d'entre elles, lorsqu'elles furent professées par des théologiens moins inviolables. Cette soumission n'est point le fait du catholicisme seulement: après avoir été cité en faveur de la mysticité et de l'inquisition, Augustin a été réclamé par beaucoup d'hérétiques: après Gottschalk, par Luther et par Calvin; après la scolastique, par le protestantisme et le jansénisme.

L'œuvre d'Augustin est si importante et la place qu'elle tient dans l'histoire de l'Église si considérable, que nous ne croyons point devoir l'en séparer. Dans les notices spéciales affectées aux détails de cette histoire, on trouvera ce qui appartient à ses écrits et à ses actes, notamment aux mots DONATISME, MANICHÉISME, PÉLAGIANISME et SEMI-PÉLAGIANISME, la part qu'il a prise au combat de l'Église contre ces hérésies; ci-après, au mot AUGUSTINS, ce qu'il a fait pour développer le régime monastique et l'appliquer au clergé; aux mots FOI, GRÂCE, PÉCHÉ ORIGINEL, PRÉDESTINATION, les lignes centrales de son système. — Nous nous bornons ici à deux particularités caractéristiques. On a nommé Augustin le docteur de la grâce; on pourrait également, et à tout aussi juste titre, l'appeler le docteur de la persécution. Dans sa lutte ou plutôt dans sa guerre avec les donatistes, non seulement il provoqua et dirigea contre eux l'emploi de la violence, mais il professa la doctrine et, en quelque sorte, définit le dogme de la contrainte et des supplices en matière religieuse; il assimilait les hérétiques aux plus dangereux criminels et s'indignait de l'impunité réclamée pour eux: Puniuntur homicidia, puniuntur adultera, puniuntur cætera quantaliber sceleris vel libidinis facinora; sola sacrilegia volam a regnantium legibusi mpunita! (CONTRA GAUDENTIUM.) Cette thèse est passionnément développée en d'autres endroits. Ainsi Augustin, par son exemple et par ses leçons, a fourni aux apologistes de la persécution et de l'inquisition leurs plus funestes arguments. — Les ressouvenirs des égarements de sa sensualité combinés avec des réminiscences manichéennes semblent avoir ineffaçablement produit en lui une impression qui a influé sur sa théologie. L'acte de la génération lui apparaît comme essentiellement impur; il appelle, chez tous les hommes indistinctement, concupiscence l'attraction qui l'amène, et il fait de la concupiscence le mode d'infection de l'humanité tout entière, le principe fatal de la propagation du péché originel, qu'elle transmet à toute la postérité d'Adam. D'ailleurs, à toutes les époques de sa vie, il se sentit vulnérable de ce côté: jamais, après son ordination, il ne parla à une femme, sinon en présence d'un ecclésiastique. — Sa vie a été écrite en 432, par Posidius, évêque de Calama, son disciple et son ami.

Augustin a composé beaucoup d'ouvrages et plusieurs de ces ouvrages ont eu beaucoup de traductions. La première édition, se prétendant complète, de ses oeuvres a été imprimée, à Bâle, 1506, 9 vol, in-fol. Parmi les publications postérieures, les plus estimées sont: celle qui fut préparée par les théologiens de Louvain et imprimée à An-vers, vol. in-fol., et l'édition des Bénédictins, Paris, 1679-1700, 11 vol. in-fol., réimprimée par les frères Gaume, Paris, 1835-1840,11 vol.gr. in 8. — Édit. de l'abbé Migne, Paris, 1841, 10 vol. gr. in 8. — Des Sermons inédits, retrouvés au Mont-Cassin et à Florence, ont été publiés par l'abbé Calliau, Paris, 1842, in-fol. - 2e édition bénédictine des œuvres complètes, Paris, 1863, 11 vol. in-fol. - Traductions: Confessions, Arnaud d'Andilly, 1649; Ph. du Bois, 1686; Don Martin, 1740; de Saint-Victor et Moreau, 1840; Janet, 1857. — Cité de Dieu, de Cerisières Paris, 1655, in-fol; Lambert; Saisset, Paris, 1855. — Soliloques, Pelissier, Paris, 1853. Manuel, d'Avenel, Rennes, 1861. — Lettres, du Bois; Poujoulat, Paris, 1858. Sermons, du Bois.

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