Raimon Panikkar, une biographie intellectuelle

Agusti Nicolau-Coll

Raimon Panikkar (1918-2010), philosophe, théologien et prêtre catholique est né à Barcelone d’une mère catalane et catholique et d’un père indien et hindou, une origine peu courante à l’époque. Il est reconnu comme l’un des penseurs les plus originaux et les plus profonds du XXe siècle. Le dialogue interculturel et interreligieux a été l’axe sur lequel s’est construite et s’est articulée sa pensée au fil de ses pèlerinages en Inde et de ses séjours en Europe et en Amérique du Nord.

Sa biographie et sa pensée sont si inextricablement liées que l’on ne peut pas comprendre l’une sans l’autre. L’auteur a fait le pari, risqué et difficile, d’écrire une biographie qui rende compte de l’influence des évènements de sa vie dans le développement de sa pensée et vice-versa. Pour justifier cette approche, Maciej Bielawski mentionne dans son introduction, avec raison, que Panikkar, bien qu’il fût un auteur très prolifique, était un philosophe dont la biographie comptait autant que sa bibliographie. C’était le pari que comme biographe il devait relever. Il l'a fait en mettant l'accent sur les écrits inspirés par les événements de sa vie. C’est pour cette raison que nous pourrions présenter sa biographie1, comme une « biographie intellectuelle ».

Pour réussir un tel pari, il fallait rentrer vraiment dans la vie et les écrits de Panikkar, ce qui était particulièrement ardu : car il a laissé plus de cinquante livres, traduits dans plusieurs langues et trois cents articles académiques, ce qui imposait au biographe la tâche de faire un choix éclairé des ouvrages les plus importants. Par ailleurs, l’auteur n’a pas connu Panikkar et surtout n’a pas eu la possibilité de consulter, même partiellement, les archives le concernant qui sont jalousement protégées par la fondation Vivarium qu’il a créé et à qui il les a léguées. Il a donc dû se fier aux évènements connus et aux informations qui lui ont été fournies par différentes personnes qui ont connu Panikkar. Le livre est divisé en sept chapitres qui parcourent chronologiquement la vie et la pensée de Panikkar, chacun précédé d’un épilogue qui résume de façon originale la pensée complexe du philosophe et du théologien.

Dans le premier chapitre, l’auteur nous fait part de l’importance de la relation de Raimon Panikkar avec sa mère, une femme d’une grande sensibilité artistique, qui jouait du piano et qui participait aux rencontres philosophiques, littéraires et culturelles qui avaient lieu à Barcelone avant la Guerre Civile. Cette relation contraste avec celle qu’il a eue avec son père, plutôt froide et distante. On s’étonne d’apprendre que son père ne l’initia nullement à l’hindouisme et qu’il se limita, occasionnellement, à lire à haute voix des fragments de la Bhagavad-Gita.

Lors de la Guerre Civile espagnole (1936-1939), par crainte d’être victime des excès révolutionnaires, la famille se réfugia en Allemagne où des amis du père les accueillirent. Le jeune Panikkar fut donc témoin du régime nazi alors à son apogée dans cette période de l’avant-guerre qui se préparait. C’est pendant son séjour en Allemagne qu’il commença des études universitaires en sciences pour se préparer à prendre en main l’entreprise familiale de traitement du cuir que son père avait créée. Toutefois il s’intéressait déjà à la philosophie et à la théologie, selon le témoignage d’un membre de la famille, sa soeur Merçè, qui partagea l’exil familial en Allemagne.

Revenu à Barcelone pour les vacances d’été en 1939, l’éclatement de la deuxième Guerre mondiale l’empêcha de retourner poursuivre ses études en Allemagne; il dut les reprendre à zéro à l’Université de Barcelone. Ce qui ne l’empêchera pas de suivre discrètement des cours de philosophie.


Le deuxième chapitre aborde la période où Panikkar fut un membre actif de l’Opus Dei (1940-1953), une réalité qui a toujours étonné ceux qui se sont intéressés à son oeuvre et à sa vie. Il faut prendre en compte le fait que l’Opus Dei, en 1940, en était à ses premiers balbutiements et que sa mission : évangéliser le monde et prôner la sanctification de la vie quotidienne, était tout à fait valable et orthodoxe. Autre chose sont les dérives sectaires et les procédés douteux en tant qu’organisation qui ont pu se développer au fil des ans.

Cette entrée dans l’Opus Dei marquera indélébilement pendant longtemps la vie de Panikkar, et cela pour deux raisons : d’abord parce que c’est à l’intérieur de cette organisation qu’il devint d’abord prêtre catholique, une dimension fondamentale de sa vie; et ensuite parce que c’est là qu’il commença à développer sa pensée philosophique ce qui, paradoxalement, suscitera des tensions et des problèmes tels qu’ils seront la cause de sa sortie de l’Opus Dei en 1966.

L’auteur explique en détail les différents moments de tension entre Panikkar et l’Opus Dei, ainsi que les mesures qui ont été prises contre lui, tel « l’exil » à Salamanque pour l’éloigner de Madrid, où il était responsable d’exercices spirituels très prisés par les étudiants universitaires. Cet éloignement et cette réclusion à Salamanque lui permirent d’écrire trois textes majeurs, qui à plusieurs égards, marqueront l’orientation de sa pensée ultérieure.

Il écrivit en premier lieu un long article qui deviendra ultérieurement un livre : F.H. Jacobi y la filosofia del pensamiento2 (F.H. Jacobi et la philosophie de la pensée), dans lequel il analyse l’aspect anthropologique du sentiment chez Jacobi. Bielawski attire l’attention sur le fait qu’on retrouve chez ce philosophe allemand des idées qui font écho à celles que Panikkar mûrira au cours de sa vie. Par exemple, l’idée que le Dieu qu’on croit connaître en le réduisant à des paramètres religieux n’est pas le vrai Dieu. Ou encore, que l’existence d’un Créateur ne peut pas être démontrée rationnellement, mais seulement par l’intuition que « tout ce qui est » correspond à la réalité de « tout ce qui est »; une affirmation de la primauté du « Réel », très importante chez Panikkar. Selon Bielawski on peut aussi y voir l’influence des critiques par Jacobi du panthéisme de Spinoza et de Lessing, allant dans le sens de l’advaita 3 hindoue comme dépassement de la tension entre immanence et transcendance.

Le deuxième livre El concepto de naturaleza. Análisis histórico y metafísico de un concepto 4 (Analyse historique et métaphysique du concept de nature), qui était en fait sa thèse de doctorat, est une tentative pour répondre à la question « Que sont les choses? ». Pour Bielawski ce qui fait l’intérêt de cet ouvrage, c’est la critique que fait Panikkar du réductionnisme physico-mathématique de la notion de nature que la science moderne a opéré, la vidant de toute dimension métaphysique et théologique et la réduisant aux paramètres mécaniques d’un rationalisme étroit. On y voit apparaître déjà sa critique de la science moderne qui occupera ultérieurement une part importante de sa réflexion et de ses écrits.


Le troisième texte écrit à cette époque est une préface 5 à l’édition en espagnol du livre de Jean Guitton, La Vierge Marie, publié dans une collection de spiritualité de la maison d’édition Patmos (appartenant à l’Opus Dei) que Panikkar lui-même dirigeait. Cette préface lui attirera des problèmes du fait que le livre en question, dans sa première édition en français (1949) et en espagnol (1952), fut condamné par le Saint Office. Le livre parut dans une nouvelle édition expurgée de certains passages, mais la préface de Panikkar avait été faite dans la traduction en espagnol de l’édition originale en français. Il est évident que des phrases telles qu’on les trouve dans la préface « Au ciel, c’est-à-dire, en Dieu, il y a un corps d’homme et un corps de femme»; ou encore « Marie ne suit pas une doctrine, elle vit et agit. Elle attire et stimule, tout en nous poussant », n’étaient pas admissibles par l’orthodoxie catholique et les dirigeants de l’Opus Dei en 1952. Cette préface eut comme conséquence qu’il fut démis de ses fonctions à Patmos et envoyé à Rome, suite à la dénonciation du Cardinal Segura, qui ameuta le fondateur de l’Opus Dei, Escrivà de Balaguer.

Bielawski souligne qu’on trouve en germe dans ce texte la notion même de cosmothéandrisme, qu’il développera ultérieurement; Marie dans sa corporalité, représenterait la dimension cosmique. Alors que le Christ serait théandrique (theos Dieu et ander homme). L’union du Christ et de Marie constituerait dans les faits un cosmothéandrisme.

Le troisième chapitre traite de ses séjours à Rome (1953-1954) et en Inde (1954-1958). À Rome, Panikkar put parachever sa formation théologique jusqu’alors limitée par celle nécessaire pour être ordonné prêtre.

Quant au séjour en Inde, il semble qu’il fut également motivé par des tensions avec l’Opus Dei, qui utilisa ce moyen pour l’éloigner de toute possibilité d’influence dans le cadre ecclésiastique et théologique européen. Mais comme Panikkar l’affirma lui-même à plusieurs reprises, cet exil indien fut le chemin de son salut. Grâce à la rencontre de trois pionniers du dialogue hindou-chrétien : Henri Le Saux, Jules Monchanin et Bede Griffiths, il s’imprégna de la culture millénaire de l’Inde et s’initia à l’hindouisme, lequel nécessitera une lente maturation pour donner ses fruits. En témoigne le fait que le seul écrit qu’il publie à ce moment-là est le livre La India. Gente, culturas y creencias 6 (L’Inde. Gens, cultures et croyances), et qui est destiné à un large public. Dans ce livre, qui connut un grand succès, Panikkar réussira à transmettre l’essentiel de la réalité indienne en dehors de toute thèse proprement philosophique ou théologique.

C’est pendant cette période qu’il approfondit la figure de Melchisédech 7 à partir de l’Inde et grâce à ses relations avec des prêtres hindous qu’il côtoie quotidiennement, à l’inverse d’autres auteurs qui l’étudieront à partir de l’Occident et d’un point de vue surtout historique. Le livre résultant de cette réflexion théologique sera publié en 1959 en allemand Méditation sur Melquisédech 8. Le christianisme y est présenté comme la religion qui permet la conversion et la perfection de toutes les autres religions. Elle est encore inclusive, une position dont Panikkar s’éloignera ultérieurement, mais représente un changement avec la vision exclusive «hors du christianisme, point de salut». La dimension interreligieuse commence lentement à faire son chemin chez Panikkar.

Le quatrième chapitre traite de son deuxième séjour à Rome (1958-1963), qui coïncidera avec les travaux du Concile Vatican II. Il sera en contact avec des cercles conciliaires plutôt progressistes, mais sans participer activement à la préparation du Concile. Antérieurement, il se sera arrêté à Madrid pour y défendre sa thèse de doctorat en sciences intitulée Ontonomia de la ciencia. Sobre el sentido de la ciencia y sus relacions con la filosofía (Sur le sens de la science et ses relations avec la philosophie), dont Bielawski considère que c’est un grand exercice d’analyse logico-mathématique que malheureusement Panikkar ne pourra pas développer ultérieurement. C’est dans cette oeuvre qu’il introduira la notion d’ontonomie en tant qu’alternative à l’hétéronomie et à l’autonomie, non seulement en ce qui concerne les relations entre science et philosophie mais dans un horizon plus vaste qui comprend les relations entre Dieu, Cosmos et Anthropos, ainsi qu’entre les êtres humains eux-mêmes. Une notion sur laquelle il reviendra constamment dans plusieurs de ses écrits.

Pendant son séjour à Rome il soutiendra une autre thèse de doctorat en théologie, rédigée en anglais, et intitulée Religion and religious on the meeting of hinduism and christianity, qui paraîtra plus tard dans diverses langues sous le titre Le Christ inconnu de l’Hindouisme 9. Cette thèse fut son premier apport majeur au dialogue hindou-chrétien. Il y soutient que le Christianisme n’a pas l’exclusivité de l’expérience christique et que le Christ se manifeste et se fait présent ailleurs que dans le christianisme, sous des formes et des contenus qui diffèrent souvent de ceux propres à cette religion. Mais cela ne fait pas pour autant des hindous, deschrétiens en puissance, ou des chrétiens qui s’ignorent en tant que tels. On apprend comment l’amitié de Panikkar pour le philosophe italien Erico Castelli et sa collaboration avec lui fut capitale pour le développement de sa pensée et son rayonnement. En effet ce philosophe italien, qu’il avait connu lors du Congrès international de philosophie qui a eu lieu à Barcelone en 1948 et dont Panikkar fut le secrétaire, l’invita régulièrement aux colloques qu’il organisait et ses conférences devenaient par la suite des articles. N’étant pas encore professeur universitaire, ces colloques lui permettront de faire connaître sa pensée de telle sorte qu’elle s’enrichisse et évolue vers sa plénitude.

Parmi les nombreux textes tirés de ces colloques, on peut retenir, La foi, dimension constitutive de l’homme 10 (1966), La loi du karma et la dimension historique de l’homme 11 (1971) La philosophie de la religion devant le pluralisme philosophique de la pluralité des religions 12 (1977), La vision cosmothéandrique : le sens religieux émergeant du troisième millénaire 13 (1976).

De cette époque Bielawski rapporte une anecdote intéressante. Dans l’un de ces colloques, il y eut un débat entre Karl Rahner et Panikkar, avec Castelli comme modérateur. À un moment donné, Panikkar prononça la phrase (selon le journal personnel de Castelli) : « Le chrétien de demain sera mystique ou il ne sera pas chrétien ». Cette affirmation fut reprise par Rahner plus tard dans un de ses essais, ce qui a conduit, à tort, à lui en attribuer la paternité.

Il consacrera ainsi une part importante de son temps à l’activité sacerdotale et académique, cette dernière non pas en tant que professeur officiel mais comme invité à donner des cours et des séminaires de façon spécifique dans son champ de compétence. En tant que prêtre, il s’occupera des étudiants universitaires dans des résidences de l’Opus Dei et dans des assemblées ouvertes, ce qui lui vaudra une renommée importante en tant que prêtre indien singulier.

Dans le cinquième chapitre, intitulé Tempête, qui couvre la période 1963-1966, Bielawski souligne une période particulièrement pénible dans la vie de Panikkar. Ses contacts avec l’aile progressiste du Concile étant mal vus par l’Opus Dei, ils lui vaudront un nouvel « exil », cette fois-ci à Milan, pour l’éloigner de Rome. Il semble aussi que son succès auprès des étudiants, comme ce fut également le cas dans les années 1940 à Madrid, indisposa les dirigeants de l’Opus Dei qui n’appréciaient guère sa liberté de parole.

Finalement il partira à nouveau vers l’Inde où il constatera qu’il est difficile de se faire une place dans le milieu académique universitaire et se retrouvera dans une situation d’isolement. Néanmoins, il reprend contact avec Le Saux avec qui il fait un court séjour au bord du Gange, puis un pèlerinage vers les sources de ce fleuve au cours duquel ils débattront longuement de la Trinité et de l’Advaita (non-dualité) et célébreront une messe au bord du Ganges, l’une des expériences marquantes de la vie de Panikkar. C’est à ce moment que l’Inde est rentrée en lui, l’a pénétré : elle n’est plus un objet d’étude mais une expérience vivante qui transformera son regard sur la réalité. Henri Le Saux en témoignera dans le texte Une messe au bord du Gange.

Pendant cette période il rédigera un texte sur la Trinité, qui deviendra un livre qu’il enrichira au fil du temps et qui sera traduit dans plusieurs langues sous le titre La Trinité : une expérience humaine primordiale 14. Il s’agit, selon Bielawski, d’un texte qui contient en puissance tout le Panikkar ultérieur : celui qui va au-delà de tout monisme et de tout dualisme, en prenant le pari de la non-dualité hindoue, l’Advaita. Il mentionne déjà le cosmothéandrisme. C’est aussi à cette époque qu’il met au point le texte La foi, dimension constitutive de l’homme, que nous avons déjà mentionné comme suite à un des colloques de Castelli.

Quand il revient à Rome en 1966, la crise qui couve depuis longtemps avec l’Opus Dei éclate. Déjà incommodé par ses rapprochements avec les penseurs progressistes dans la première étape du Concile Vatican II, l’OpusDei le soupçonna d’entretenir une relation sentimentale avec une jeune française, ce que Panikkar nia. On l’isola d’abord pendant plusieurs semaines dans la maison principale de l’Opus Dei à Rome. Cet isolement fut dans les faits un kidnapping à la suite duquel, en juin 1966, il rompit officiellement avec l’Opus Dei. Une nouvelle étape s’ouvrait à lui.

Une étape (1966-1971) que Bielawski considère comme une transition dans laquelle Panikkar devra se réinventer au-delà de l’Opus Dei qui ,en dépit de tous les différents et les tensions que cette organisation ecclésiastique lui avait fait vivre, avait été pour lui le tremplin de son parcours intellectuel et de son action pastorale en tant que prêtre. Dans ce sixième chapitre, il nous présente un Panikkar qui envisage de mener une vie érémitique en Inde, faite d’étude et de méditation, et en abandonnant toute recherche d’un poste universitaire en Inde (ou en Europe), contrairement à ce qu’il avait semblé souhaiter avant sa rupture avec l’Opus Dei.

C’est pendant cette période de sa vie en Inde qu’il entreprend la rédaction, avec une pléiade de collaborateurs, de The Vedic Experience 15, qui est un commentaire profond de certains passages et fragments des Veda. D’après Bielawski, il s’agit d’une excellente anthologie très prisée encore maintenant, une sorte de classique incontournable. La rédaction de ce livre sera aussi la source de sa conception cosmothéandrique de la réalité.

Mais son séjour en Inde se voit soudainement interrompu par l’offre d’un poste de professeur au «Center for the Study of World Religions» de l’Université Harvard. Cette offre s’appuyait sur la recommandation d’un professeur de cette institution qui avait été très impressionné par la lecture d’un article de Panikkar. Ce dernier finit par accepter, après moult hésitations, un contrat de cinq ans à raison d’un semestre d’enseignement par année, ce qui lui permettra de retourner en Inde périodiquement.

Signe de la profondeur et de la maturité de sa pensée est le fait qu’entre 1966 et 1971, Panikkar rédigera quelque 120 articles dans plusieurs langues et dans une pléiade de revues à travers le monde, en plus de son travail déjà mentionné sur The Vedic Expérience, qui sera publié en 1977. Parmi ces nombreux articles, l’auteur attire notre attention sur quatre d’entre eux qu’il considère comme très importants.
Dans le texte « La faute originante ou l’immolation créatrice : Le mythe de Prajapati »16, Panikkar traite de la souffrance, remettant en question la conception de la douleur en tant que punition divine face à une transgression. Et il pose l’éternelle question : pourquoi Dieu n’épargne-t-il pas la douleur et la souffrance aux hommes? Il y répond en s’appuyant sur le mythe de Prajapati qui conçoit la création en tant que sacrifice. Sacrifice du moi, qui est nécessaire pour atteindre le soi. Dans ce sens, la douleur serait la résistance de la créature (l’homme) à sa propre conversion, ce qui fait dire à Panikkar que « La douleur est la fumée produite pour tout ce qui est encore trop vert pour être sacrifié ».

Le biographe considère comme un peu labyrinthique le texte « Herméneutique de la liberté de la religion : La religion comme liberté »17. Panikkar y prône qu’il faut se libérer de Dieu par amour de Dieu, ce qui demanderait, le cas échéant, de se libérer des vieilles religions qui ne permettent pas la libération de l’homme. Alors, par ricochet, tout acte de libération doit être considéré comme un acte profondément religieux.
Dans le troisième texte retenu : « La loi du karma et la dimension historique de l’homme », l’auteur retient les mots de Panikkar qui présente l’homme comme « le grand mayin, l’artiste cosmique ou le magicien capable autant de créer que de faire disparaître le karman ». Bielawski y voit émerger, et je pense qu’il voit juste, la vision cosmothéandrique de Panikkar surtout dans le passage suivant : « L’homme est plus qu’un homme, mais pendant qu’il est homme, il doit, non seulement jouer le jeu humain, mais il ne peut pas fuir sa condition humaine ».

Le denier texte de cette période que Bielawski soumet à notre attention s’intitule « Le sujet de l’infaillibilité : Solipsisme et Vérification »18, dans lequel Panikkar soulève la question suivante : une entité, quelle qu’elle soit, peut-elle se déclarer infaillible, étant donné que cette infaillibilité la couperait du reste de la réalité. Il s’agirait, selon l’auteur, d’une reformulation de l’idée catholique de l’infaillibilité dans une perspective cosmique et universelle.

Pendant cette période, en plus de travailler sur The Vedic Experience et de publier la centaine d’articles dont nous venons de présenter les quatre qu’a choisi d’analyser l’auteur de cette biographie, Panikkar s’attaqua à la question du Silence du Bouddha. En effet, il semble qu’en 1966 il avait déjà mentionné à Castelli qu’il avait de grandes intuitions sur ce silence. Il avait publié en italien l’article «Buddhismo e Ateismo»19 en 1967, qui fut le germe du livre publié en espagnol en 1970, El silencio del Dios. Un mensaje del Buddha al mundo actual- Contribución al estudio del ateísmo religioso  20(Le silence de Dieu. Un message du Bouddha au monde actuel – Contribution à l’étude de l’athéisme religieux), qui paraîtra plus tard sous le titre El silencio del Buddha. Una introducción al ateísmo religioso 21, (Le silence du Bouddha. Une introduction à l’athéisme religieux).

De ce livre Bielawski retient essentiellement que, selon Panikkar, la question sur l’existence de Dieu est mal formulée, ce qui provoque le silence du Bouddha. Et elle est mal formulée parce qu’elle est née d’une double nécessité, soit de la soif de sa non-existence, soit du désir de son existence. Panikkar verrait alors le silence du Bouddha comme la façon de dépasser cette double contrainte limitative : son silence étant la parfaite acceptation de notre contingence humaine. Panikkar lui-même considérait ce livre comme une autobiographie existentielle, une synthèse de son parcours spirituel jusqu’à ce moment-là.

Le septième chapitre qui couvre la période de 1972 à 1982 s’intitule « Entre deux mondes ». Il porte sur la rencontre de deux mondes : les États-Unis et l’Inde. À la fin de son contrat de cinq ans avec l’Université Harvard, Panikkar songeait à enseigner dans une université européenne, mais l’University of California Santa Barbara lui offrit un poste dans la Chaire d’étude comparée des religions. Vu qu’il n’était pas possible d’accéder à l’enseignement en Inde et peu probable de le faire en Europe, il accepta l’offre américaine. Ironie du sort, à la même période, l’Université de Munich, lui offrit d’occuper la chaire qui avait été celle de Romano Guardini et de Karl Rahner, deux phares de la pensée européenne du XXe siècle. Il refusa de rompre son engagement avec l’University of California Santa Barbara. Toutefois, Bielawski considère que d’autres raisons avaient pu influencer son choix : une fatigue du monde intellectuel européen? L’attrait de connaître le lointain Occident ? La nécessité d’agir à partir de la périphérie de l’Occident, comme il avait l’habitude de le faire ?

Son enseignement universitaire attira de nombreux étudiants, et leur diversité culturelle fut une source permanente d’enrichissement. Beaucoup parmi eux sont plus tard devenus professeurs dans des universités partout dans le monde. Mais selon Bielawski, malgré l’influence qu’il a exercée sur plusieurs de ses étudiants, on ne peut pas en conclure qu’il a réussi à créer une école de pensée autour de lui.
Durant cette période, il resta en contact avec les Frères franciscains catalans, qui furent les héritiers de la première mission de cet ordre dans l’État américain qui donna naissance à la ville de Santa Barbara. Ce contact étroit avec les Frères lui permit de retrouver sa langue maternelle, le catalan, pendant son séjour dans l’Extrême Occident… et de devenir ainsi «le dernier missionnaire catalan qui proclama la fin de l’ère des missions et le début de l’ère dudialogue», nous dit Bielawski, reprenant ainsi l’expression de l’un de ses meilleurs élèves de cette époque, Scott Eastham (1949-2012).

Panikkar élabore sa pensée pendant cette période autour de ce qu’il appela la « Sécularité sacrée » sûrement sous l’influence de son milieu de vie américain. Elle prend forme dans le livre Le culte et l'homme séculier 22 dans lequel il défend la thèse qu’il n’y a pas de séparation entre le sacré et le profane, puisque ces deux dimensions constitutives du réel s’interpénètrent. Et en conséquence, tout dans la vie aurait une dimension liturgique, rituelle, cultuelle et sacrificielle, mais sans perdre pour autant son autonomie en référence au sacré.

En 1977, Panikkar publia Lettre à Abhisiktananda 23, dans laquelle il dresse un portrait d’Henri Le Saux, avec qui il avait partagé des confidences humaines et spirituelles très profondes, pendant les dix-sept années de leur relation d’amitié. La vision que Panikkar avait de ce moine breton transplanté en Inde était, selon Bielawski, celle d’un ascète radical et d’un grand poète mystique qui vécut toute sa vie dans la tension entre son christianisme et l’hindouisme.

Une relation d’amitié que Bielawski nous invite à voir comme merveilleusement complémentaire. Henri Le Saux était d’abord un moine, plutôt acosmique, qui vivait la relation Occident-Orient comme une tension. De son côté, Panikkar était surtout un prêtre incarné dans le monde qui vivait la relation Occident-Orient comme une complémentarité. Leur principale divergence se trouvait dans leur façon de concevoir l’advaita. Henri Le Saux la vivait comme une élimination des polarités, ce qui suscitait des problèmes avec son christianisme, surtout qu’il ne voulait pas que ce dernier soit absorbé par l’hindouisme. Panikkar pour sa part vivait l’advaita, non pas comme une élimination des polarités, mais comme leur harmonisation et mutuelle fécondation.

Bielawski s’intéresse également à un autre ouvrage de cette époque l’article Myth, Faith and Hermeneutics 24, qui comprend une partie
des conférences données dans certains des colloques de Castelli, qui n’en verra pas la publication car il décédera en 1977. Panikkar y défend la foi en tant qu’expérience primordiale de l’humain, qui ne se laisse pas « herméneutiser ».

En 1978, il publia le livre The Intrareligious dialogue 25, dans lequel il prône le dépassement des trois attitudes dominantes dans la rencontre entre les religions : l’exclusivisme, qui refuse l’autre; l’inclusivisme, qui l’accepte seulement dans la mesure où il est le reflet de notre propre vérité; le parallélisme qui défend le chemin de chacun sans aucun mélange. Pour Panikkar, chaque tradition et expérience religieuse devrait s’ouvrir à l’interfécondation mutuelle, non pas pour bâtir une méta-religion, mais pour que chacune devienne plus pleine et plus authentique. Et cela comporte, comme le signale très bien Bielawski, non seulement un dialogue externe, mais aussi et surtout, spirituel.

Par rapport au livre Blessed Simplicity. The Monk as Universal Archetype 26, publié en 1982, l’auteur nous rappelle que Panikkar, en plus d’être prêtre, était aussi un religieux, autant pour avoir été consacré comme tel dans l’Opus Dei, que par vocation profonde. En d’autres mots, sa condition sacerdotale ne doit pas nous faire oublier sa vocation monacale. Il nous rappelle aussi que sa vie durant il a été en contact avec des réalités monastiques diverses, comme ce fut le cas pour le Monastère bénédictin de Montserrat, les monastères du Mont Athos, qu’il visita à plusieurs reprises, et par son amitié avec les trois moines chrétiens en Inde (Henri Le Saux, Jules Monchanin et Bede Griffiths).

Dans ce livre Panikkar revendique la vocation monastique comme une vocation profondément humaine qui s’adresse, non seulement à tous les moines sans exception quelle que soit leur tradition religieuse, mais à tout homme et toute femme. Une dimension monastique qui ne vise pas tant la perfection que la rébellion, une rébellion qui fait du moine un être spontané, profondément libre, qui ne suit aucun chemin tracé ni aucune loi morale, mais sans seprétendre un modèle pour personne, parce que lui-même n’a pas de modèle à suivre.

Une chose que l’auteur ignorait, faute d’avoir pu consulter les archives, c’est l’influence de Panikkar sur Robert Vachon, qui fut directeur du Centre Interculturel Monchanin de Montréal de 1970 à 1979 et s’inspira profondément de sa pensée pour définir les fondements théoriques de ce centre qui devint en 1990 l’Institut Interculturel de Montréal. La revue Interculture que Robert Vachon fonda en 1968, contribua à faire connaître la pensée de Panikkar autant dans le monde académique que dans celui des activistes sociaux impliqués dans le dialogue interculturel et interreligieux. Panikkar fut invité à plusieurs reprises et l’un des séminaires qu’il dirigea à l’Institut Interculturel de Montréal devint par la suite un livre intitulé Le métapolitique. L’esprit du politique. 27

En 1983, trente ans après avoir quitté sa Catalogne natale, Panikkar prit sa retraite de l’Université et retourna vivre dans son pays. Il ne s’installa pas à Barcelone mais dans les montagnes du centre du pays, dans un petit village nommé Tavertet, dans une maison surplombant une falaise au milieu d’un paysage grandiose. Cette dernière étape de sa vie fut caractérisée par sa résidence permanente dans un lieu, un contraste avec sa vie antérieure de grand voyageur nomade. Désormais lorsqu’il voyagera il reviendra toujours dans sa maison de Tavertet.

Dans ce huitième et dernier chapitre, l’auteur tente d’abord de comprendre les raisons qui amenèrent Panikkar, en 1984, à contracter un mariage civil avec Maria González-Haba, ce qui lui créa des problèmes avec les autorités ecclésiastiques. Il s’agit d’une réflexion intéressante qui essaie de combiner différentes interprétations, plus ou moins positives, des raisons de ce mariage. Je veux seulement souligner le fait que Bielawski se demande pourquoi Panikkar, qui avait dans ses écrits réfléchi sur presque tous les aspects de la vie humaine, avait très peu écrit sur l’amour, le mariage et la sexualité.

Cette époque est marquée par une production écrite extraordinaire, et Bielawski est conscient qu’il ne peut pas en rendre parfaitement justice dans le cadre de sa biographie. Il tente de le faire sous la forme d’un dessin de cinq cercles concentriques dans lesquels il situe les ouvrages les plus marquants.

Le premier cercle qu’il nomme Dialogue et Paix, comprendrait des ouvrages comme Le mythe du pluralisme 28, Paix et interculturalité. Une réflexion philosophique 29, La rencontre incontournable 30, entre autres. L’auteur signale comment Panikkar a élargi son intérêt initial pour le dialogue interreligieux vers le dialogue interculturel, dans une perspective de lutte contre tout hégémonisme culturel, surtout celui de la culture moderne technocratique et monétaire. Panikkar se montrait pessimiste en ce qui concerne l’avenir de l’humanité et de la terre, réclamant une véritable metanoia, un changement de cap profond, au-delà de simples réformes.

Le deuxième cercle, que Bielawski nomme Spiritualité, comprend surtout La nouvelle innocence 31, et L’Expérience de la vie. La mystique 32. Selon lui, il s’agit d’ouvrages qui, tout en traitant de différentes thématiques spirituelles, revalorisent la mystique qui se trouve liée fortement à la plénitude de la vie, laquelle ne peut pas être envisagée, selon Panikkar, en dehors de la triade Dieu, anthropos et cosmos.

Le troisième cercle nommé Christophanie est constitué surtout de La plénitude de l’homme. Une christophanie 33. Il s’agit d’un livre qui pénètre dans l’expérience mystique de Jésus de Nazareth, tout en cherchant le lien de celle-ci avec la mystique cosmothéandrique à laquelle tout le monde peut accéder. Il s’agit d’un dialogue entre la personne et le Christ, mais à un niveau mystique et non dogmatique ou historique.
Le quatrième cercle nommé cosmothéandrisme comprend deux ouvrages majeurs : La réalité cosmothéandrique 34 et Le rythme de l’Être 35, que Bielawski considère comme les sommets de l’ontologie de Panikkar. Les deux ouvrages sont en lien avec la vision trinitaire radicale qui l’habitait depuis son expérience de l’Inde, qui fait écho à sa vision que tout est en lien avec tout, dans une sorte « d’harmonie invisible ». Le cosmothéandrisme de Panikkar en plus d’être un néologisme, ne peut pas être réduit à une définition rationnelle ou enfermé dans un dictionnaire, parce qu’il s’agit plutôt d’une intuition, d’une vision, d’une expérience et d’une proposition qui parcourt toute sa vie et son oeuvre, ainsi que le signale justement Bielawski.


Le cinquième cercle nommé Écosophie et Teophysique, comprend des textes comme Écosophie. Une spiritualité de la Terre. 36 et La porte étroite de la connaissance. Sens, raison et foi. 37 Panikkar se montre préoccupé par l’impérialisme de la culture moderne technocratique qu’il tente, selon Bielawski, d’humaniser et de théologiser. Il cherche à dépasser la perspective écologique, qu’il considère insuffisante pour répondre aux défis contemporains de survie de la Terre et de l’Homme. En formant le mot Écosophie, il reconnait à la Terre une sagesse qui lui est propre et vers laquelle l’homme doit se tourner pour l’écouter, au même titre qu’on se tourne vers Dieu pour l’écouter.

En plus de sa production écrite, nouvelle ou révisée, Panikkar consacra une partie de son temps à des séminaires qu’il intitula Vivarium Academicum, avec des jeunes intéressés à son oeuvre et à sa pensée. Il organisa aussi mensuellement sur diverses thématiques des colloques ouverts à tous qui accueillaient plus d’une centaine de personnes. Progressivement, sa figure et sa parole s’imposèrent à la société catalane, par la radio, la télévision ou des articles dans différentes revues. Toutefois, en ce qui concerne le monde académique, autant philosophique que théologique, le silence et le manque d’intérêt à l’égard de son oeuvre furent la note dominante, à quelques exceptions près. Il s’agit d’un aspect que le biographe n’aborde pas, sans doute parce qu’il ne le connaissait pas. Il s’arrêta aux témoignages qui furent rendus à Panikkar lors de son décès et qui lui avaient été refusés de son vivant.

Le monastère de Montserrat lui fut toujours fidèle, c’est là qu’il trouva appui et écoute de la part de certains moines, tel Evangelista Vilanova. Celui-ci lui offrit une collaboration à la revue Qüestions de Vida Cristiana (Questions de Vie Chrétienne), où il commença à publier ses premiers articles en langue catalane. Ce sont L’Universitat de les Illes Balears (Université des Îles Baléares) et l’Universitat de Girona (Université de Gérone) mais aucune des Universités de Barcelone qui lui décernèrent des Doctorats Honoris Causa. À titre d’exemple de ce manque d’intérêt du monde académique pour la pensée de Panikkar, mentionnons que le premier colloque international sur la philosophie de Panikkar, qui a eu lieu à Barcelone en février 2002, n’a pas été organisé par l’une des universités catalanes mais par deux organismes de la société civile catalane : le Centre Unesco de la Catalogne et Intercultura-Centre pour le dialogue interculturel.

Plusieurs raisons peuvent expliquer le silence dont le monde intellectuel et académique catalan a entouré l’oeuvre de Panikkar: une méfiance à l’égard de son passé au sein de l’Opus Dei, car c’est lui qui introduisit ce mouvement en Catalogne; une incompréhension des défis que son oeuvre comportait, qui obligeait à sortir des sentiers battus; son long éloignement de la Catalogne qui lui fit perdre ses contacts et ses liens; le fait que politiquement il ne se prononça pas clairement sur l’avenir de la Catalogne en tant que nation. Peut-être une combinaison de toutes ces raisons. Le fait est que maintenant son Opera Omnia est en train d’être publié en catalan, en plus de l’être en anglais, italien et français 38, grâce à l’audace et à la conviction de la maison d’édition Fragmenta qu’un jeune professeur universitaire, Ignasi Moreta, vient de créer.
Un aspect particulier qui touche l’ensemble de l’oeuvre de Panikkar dont le biographe traite, quoique sommairement, est le fait que l’Église Catholique n’ait pas condamné certains de ses textes qui semblent aller à l’encontre de certains dogmes. Selon Bielawski, il y aurait trois raisons qui expliqueraient ce «mystère». Tout d’abord le fait que sa pensée fut plutôt ignorée parce que trop complexe et qu’elle ne représentait pas vraiment un danger, étant donné que Panikkar était éloigné des centres du pouvoir. Une deuxième raison : parce que personne au Vatican n’était préparé pour évaluer et, éventuellement, confronter sa pensée. Troisièmement, ce qui est peut-être la raison la plus importante, c’est que Panikkar était un vrai interprète de la tradition, ce qui lui permit de transcender le paradigme catholique sans le contredire, mais plutôt en l’élargissant et, en conséquence, en le dépassant, sans jamais le nier. Je dirais que sa façon de rester fidèle à la Tradition était de la dépasser, si paradoxal que cela puisse paraître.

Nous aurions aimé que le biographe amène une réflexion sur la progressive prise de conscience politique et sociale de Panikkar à travers ses textes. Elle n’est présente clairement qu’à partir des années 1970 et encore très sommairement. Quelques ouvrages et articles sur la paix, le complexe technocratique ou l’écologie en témoignent, mais on garde l’impression qu’il fut un philosophe des causes et des fondements premiers, certes nécessaires, mais insuffisants pour provoquer une transformation sociale, politique et culturelle. Sa pensée porte sur la réalité sociale, humaine et écologique, mais pas sur les voies de transformation de celle-ci. Quoi qu’il en soit, nous sommes convaincu que sa pensée continue à nourrir et alimenter des personnes et des groupes qui oeuvrent pour rendre la vie humaine, plus juste et donc plus pleine.

En conclusion, nous pouvons affirmer que Maciej Bielawski a réussi son pari d’écrire une biographie intellectuelle, dans laquelle la vie et l’oeuvre de Raimon Panikkar se croisent et s’expliquent mutuellement. Il éclaire le chemin intellectuel et spirituel de Raimon Panikkar, une évolution qui prend en compte, sans les nier, chacune des étapes précédentes et les intègre toutes dans la plénitude harmonieuse de son expérience vitale. Philosophe, théologien, prêtre de l’ordre de Melquisédech, Raimon Panikkar a embrassé la Réalité toute entière, divine, humaine et cosmique. Espérons que, dans les décennies à venir, son oeuvre demeure pour tous, à travers le monde, une source d’inspiration.

Agustí Nicolau-Coll

1 En plus de l’original en italien, Bielawski, M. Panikkar. Un Uomo e il suo penseiro, Roma (Fazi Editore) 2013, il existe une édition en espagnol, Bielawski, M. Panikkar. Una biografía. Barcelona (Editorial Fragmenta) 2014, ainsi qu’une en catalan, Bielawski, M. Panikkar. Una biografia. Barcelona (Editorial Fragmenta) 2014. Espérons que bientôt sera disponible une version en français
2 Panikkar, R. F. H. Jacobi y la filosofía del sentimiento. Buenos Aires (Sapientia) 1948.
3 Advaita signifie littéralement le .non-deux » et il est traduit couramment par le terme non-dualité. Il réfère à la non différenciation de l’âme individuelle en rapport avec Brahman,compris comme la Totalité (tout ce qui existe). Dans le cadre de l’hindouisme, c’est une des doctrines ou courants majeurs qui a influencé la grande majorité des gourous hindous.
4 Panikkar, R. El concepto de naturaleza. Análisis histórico y metafísico de un concepto. Madrid (CSIC) 1951 (Premio "Menéndez Pelayo" 1942).
5 Panikkar, R. "La Virgen María", préface à J. Guitton, La Virgen María, Madrid (Rialp) 1952, pp. 7-48.
6 Panikkar, R. La India. Gente, culturas y creencias. Madrid Rialp, 1960.
7 Melquisédech est un personnage biblique qui apparaît très brièvement dans l’histoire d’Abraham telle que la rapporte notamment le livre de la Genèse (14, 18-20). Il est considéré à la fois comme roi et prêtre, mais il n’est pas un prêtre de Yahvé. Panikkar en se réclamant de lui, comme le fait l’Église Catholique elle-même, cherchait à libérer la fonction de prêtre d’un légalisme étroit, en insistant sur sa dimension universelle.
8 Panikkar, R. "Meditación sobre Melquisedec", Nuestro Tiempo, Pamplona, IX, 102, 1962, pp. 675-695.
9 Panikkar, R. Le Christ et l'Hindouisme Une présence cachée. Paris (Centurion) 1972
10 Panikkar, R. « La foi, dimension constitutive de l’homme Mythe et foi », ed. E. Castelli, Paris (Aubier) 1966, pp. 17-63.
11 Panikkar, R. « La loi du karma et la dimension historique de l’homme ». La théologie de l'histoire. Herméneutique et eschatologie, ed. E. Castelli, Paris (Aubier), pp. 205-230.
12 Panikkar, R. « La philosophie de la religion devant le pluralisme philosophique de la pluralité des religions » La philosophie de la religion. L'herméneutique de la philosophie de la religion, ed. E. Castelli, Paris (Aubier), pp. 193-201 (1977)
13 Panikkar, R. « La visione cosmoteandrica: il senso religioso emergente del terzo millennio ». Vecchi e nuovi Dei, Torino (Editoriale Valentino) 1976, pp. 521-544.
14 Panikkar, R. The Religious Experience of Man. "Icon, Person, Mystery" 2e edition élargie. London (DLT) 1973 ré-impression London (DLT) & New York (Orbis) 1975.
15 Panikkar, R. The Vedic Experience Mantramañjarî . An Anthology of theVedas for Modern Man and Contemporary Celebration. ed. Delhi (Motilal Banarsidass) 2001.
16 Panikkar, R. « La faute originante ou l’immolation créatrice : Le mythe de Prajapati ». Enrico Castelli (ed), Le mythe de la peine, Paris (Aubier), 1967, p. 65-100.
17 Panikkar, R. « Herméneutique de la liberté de la religion : La religion comme liberté »Dans Enrico Castelli (ed). L’herméneutique de la liberté religieuse, Paris (Aubier), 1968, p. 57-86.
18 Panikkar, R. "Le sujet de l'infaillibilité. Solipsisme et Vérification". L'infaillibilité, son aspect philosophique et théologique, ed. E. Castelli, Paris (Aubier) 1970, pp. 423-445.
19 Panhikkar, R. «Buddhismo e Ateismo». dans l’ouvrage collectif L’ateismo contemporaneo, Facultà Filosofica della Pontificia Università Salesiana di Roma /Sociétà Editrice Internazionale, Torino, 1967-1970, vol IV, p. 449-476.
20 Panikkar, R., El silencio del Dios. "Un mensaje del Buddha al mundo actual. Contribución al estudio del ateísmo religioso", Madrid (Guadiana) 1970.
21 Panikkar, R., El silencio del Buddha. Una introducción al ateísmo religioso. Madrid (Siruela) 1999.
22 Panikkar, R., Le culte et l'homme séculier. "Essai sur la nature liturgique de l'homme. La sécularisation, phénomène majeur de notre temps. Le culte, fait évident de tous les temps. Contribution a une anthropologie intégrale" Paris (Seuil) 1976.
23 Panikkar, R. "Lettre à Abhishiktânanda" Question de, Paris, 85, pp. 107-129.
24 Panikkar, R. Myth, Faith and Hermeneutics, New York (Paulist) 1979.
25 Publié en français en tant que Panikkar, R. Le dialogue intrareligieux. Paris (Aubier) 1985.
26 Publié en français comme Panikkar, R. Éloge du simple. Paris (Albin Michel) 1995, réimpression en 2000.
27 Il reste pour le moment inédit en français. On peut lire l’édition en espagnol. PANIKKAR, R., El espíritu de la política. Homo politicus. Barcelona, (Península) 1999.
28 Panikkar, R. La torre di Babele. Pace e pluralismo. San Domenico di Fiesole, (Cultura della Pace) 1990.
29 Panikkar, R., Pace e interculturalità."Una reflessione filosofica" Milano (Jaca Book) 2002.
30 Panikkar, R. L'Incontro indispensabile: Dialogo delle Religioni. Prefazione di P.F. de Béthune OSB, Milano (Jaca Book) 2001.
31 Panikkar, R. La nova innocència. Barcelona (Proa) 1998.
32 Panikkar, R. De la Mística. Experiencia plena de la Vida . Barcelona (Herder) 2005
33 Panikkar, R . La plénitude de l’homme,. Une christophanie. Paris (Actes Sud) 2007
34 Panikkar, R. Vision trinitaire et cosmotheandrique: dieu-homme-cosmos - Vol VIII Oeuvres de Raimon Panikkar, Paris (Les Éditions du Cerf) - 2012
35 Panikkar, R .The Rhythm of Being. The Gifford Lectures. Marykmoll, New York (ORBIS BOOKS) 2010. Ce livre est le résultat de ses conférences aux préstigieuses Gifford Lectures de l’Edimburg University, qui sont une reconnaissance équivalente à un inexistant Prix Nobel de Philosophie.
36 Panikkar, R. Ecosofía. Para una espiritualidad de la tierra, Madrid (San Pablo) 1994.
37 Panikkar, R . La puerta estrecha del conocimiento Sentidos, razon y fe. Barcelona (Herder) 2009.
38 En français les Oeuvres complètes de Panikkar sont éditées par Le Cerf.




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