Molière

Alain

Il est agréable de penser que Molière est célébré par tous, sans aucune hypocrisie. Ce puissant génie n'a nullement besoin de spectateurs jeunes, naïfs et purs ; mais n'importe quel homme, comédien de politesse, ou de littérature, ou de politique, le grand comique le fait jeune, naïf et pur. L'homme est saisi alors par son dedans que l'on nomme esprit. Remarquez que la satire est toujours faible, parce qu'elle offre à votre jugement un homme que vous ne pouvez juger ; il faut être injuste volontairement, si l'on veut rire ; et ce qui est ridicule pour l'un est sublime pour l'autre selon ce qu'il suppose ; enfin la comédie moyenne ne nous propose que des apparences. Mais le grand comique nous invite à mimer nous-mêmes, et de notre propre fond, le ridicule qu'il met sur la scène ; ainsi le ridicule se trouve transporté dans nos plus intimes pensées, sans aucun vêtement d'apparence. Ce barbouillage nous avertit fortement. Ce n'est point ton semblable, cet Avare qui dit son secret, car de ton semblable tu ne connais jamais que le dehors ; toutefois ce qui est mis sur cette scène, c'est ce que chaque homme connaît de lui-même. Chacun est Harpagon ; chacun a pensé le « Sans dot », mais personne ne l'a jamais dit.

Tout médecin est un médecin de Molière ; cependant personne n'en sait rien ; c'est le médecin lui-même qui le sait ; c'est lui qui mime cette importance, et qui s'y reconnaît comme par un toucher intime. Et dans le moment même l'attitude bouffonne se traduit en discours concordants : « Savez-vous le latin ? », « Nous avons changé tout cela. », « Voilà pourquoi votre fille est muette. » Nul ne résiste alors ; nul ne garde ce vêtement de gestes sots ; toute la nature humaine se reprend et se secoue ; le rire jeune s'élève. Qui n'a jamais été ridicule ne sait point rire. Au reste un tel homme n'est pas né. Si l'avarice était une sorte de maladie rare, qui donc en rirait ? Et si l'on me fait un portrait d'avare, d'après l'anecdote, j'éprouverai le faible plaisir de mépriser. Mais chacun est avare, de vraie avarice, et jaloux, de ridicule jalousie ; chacun est Purgon et Jourdain en importance, cent fois par jour ; tout cela composé et masqué. Cet homme convenable mire ses faibles discours dans les faibles réponses de son vis-à-vis. L'ennui étale son mauvais style, et bâille. Au contraire le beau style de Molière nous fait voir notre vraie image ; la sottise éclate ; l'esthétique produit son « tarte à la crème », et le cœur passe à droite par l'avènement d'un maître nouveau. Sottise sans mélange, qui n'est plus sottise. Sottise qui ne déshonore plus l'esprit. Sottise qui ne peut prétendre. Extérieure. Ce jugement par le rire marque le plus haut pouvoir de l'esprit. Ce beau mot d'esprit, en tous ses sens, nous invite à louer Molière encore mieux que nous n'aurions voulu, et juste autant qu'il faut.




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