L’extinction de la Province française des Jésuites. Une affaire québécoise peu banale

Jean-Pierre Bonhomme

La Compagnie de Jésus, par décret de Rome, unifiera les deux « Provinces » jésuites du Canada. Ce sera fait en juillet qui vient. Le général des Jésuites, Arturo Sosa, fera  une visite exceptionnelle à Montréal, au mois de mai, dans ce contexte général.
 
Dans le concret des choses il s’agit de l’élimination de la « Province » française d’Amérique qui a autorité sur les 117 Jésuites du Canada français (groupe qui comprend les 40 Jésuites d’Haiti). Les Jésuites haïtiens seront dorénavant administrés par une nouvelle et éventuelle Province, probablement celle des Caraibes! 
 
Les 77 Jésuites du Québec qui restent,  un groupe vieillissant, passeront donc sous l’autorité des 130 Jésuites plus jeunes de la Province anglaise dont le siège est à Toronto; une  autorité qui déménagera à Montréal… Ce sera la Province du Canada!  Les Jésuites, sont fort présents et actifs, dans la reste du monde puisque l’Ordre compte 17,000 membres.
 
En pratique cette transformation aura un réel impact sur la métropole du Québec.C’est là, en effet, à Montréal, que l’administration des deux « provinces » de  la Compagnie de Jésus au Canada se trouvera, pas à Toronto.  C’est à la Maison Bellarmin,  rue Jarry, que loge jusqu’’à maintenant le siège administratif de la « Province francaise » de la communauté. Il s’agit d’un édifice de grande importance, qui a été rénové et qui loge, entre autres services, deux importantes bibliothèques, l’une où se trouvent les documents d’une oeuvre sociale active, le Centre Justice et Foi. L’autre bibliothèque, en sous-sol, est un véritable Trésor national qui réunit les archives de la Nouvelle-France en son entier et qui décrit l’évolution de la nation québécoise depuis ses débuts. On y trouve actuellement, aussi, l’administration de la revue Relations, dont les propos progressistes se situent dans la suite des choses historiques.
 
Un nouveau « provincial » a été nommé pour gérer la nouvelle Province « canadian » (de Montréal) pourrait-on dire. C’est un prêtre originaire du Nouveau-Brunswick, Erik Oland, qui sera ce nouveau dirigeant des deux autorités fusionnées. Celui-ci, dit-on dans certains milieux , « n’aurait pas une idée précise de la nature de la société québécoise ». Les Jésuites du Canada anglais, laisse-t-on entendre, estiment bien souvent que la question « péquiste », celle de l’identité nationale québécoise, est réglée et qu’il y a lieu, maintenant, de passer à autre chose…
 
Il est évident que la  transformation pourra générer des frictions de caractère identitaire « nationales ». Elle a déjà causé certains « chocs » selon les observateurs proches de la communauté d’ici. Par exemple, les prêtres de Toronto exigeraient que des prières soient faites en toutes les occasions de rencontres d’animation dirigées par les Jésuites. Alors que les Jésuites québécois, eux, qui sont présents dans des « œuvres associées », seraient accoutumés à fréquenter  bien des laics québécois qui favorisent, eux, une certaine neutralité à cet égard. Aussi, les Jésuites du Canada anglais sont associés à une organisation nord-américaine, une « Conference », dont le siège est à Washington. En ce cas, les Jésuites « canadian » seraient plus distants des origines franco-européennes de la Compagnie; ils seraient  plus proches des États-Unis, plus distants de la traditions d’Europe et de France que leurs collègues du Québec. Cette « Conference » offre des services aux diverses provinces jésuites des Amériques.
 
L’autre transformation probable est l’intérêt que les Jésuites de Toronto portent au Gésù. Cette « chapelle », une grande église du cœur de la ville, en réalité, est un immeuble-clef pour la Compagnie de Jésus. C’était l’ancienne chapelle du collège Sainte-Marie (aujourd’hui disparu au profit de l’Université du Québec à Montréal et dont l’influence sur la culture québécoise fut jadis considérable). Son sous-sol, rénové à grands frais, avec l’aide gouvernementale fédérale, loge diverses œuvres relatives à « la créativité », c’est-à-dire à la culture francaise d’ici..  Les Jésuites de Toronto, eux,  ne possèdent pas pareil patrimoine chez eux; selon les observateurs, ceux-ci lorgneraient de ce côté du Gésù pour  utiliser l’immeuble de la rue de Bleury à leurs propres fins. Le problème est que le Gésù est une rare institution française à se trouver dans le centre-ville principal.
 
Le statut de la Villa Saint-Martin du nord de la ville de Montréal, lui, ne changerait pas. Elle continuera, nous dit-on,  d’offrir ses « retraites » au public d’ici comme elle le fait depuis maintes décennies.
 
Quoi qu’il en soit, l’autorité jésuite a engagé des traducteurs pour faciliter la communication intra muros. Les réunions des conseils d’administration de la « province », où la langue anglaise prévaudra forcément, bénéficieront d’un système « de bilinguisme passif » qui permettra aux prêtres de culture française, qui ont du mal à saisir les propos prononcés dans la langue de Shakespeare, de poser leurs questions en français »!
 
L’extinction de la province jésuite française d’Amérique n’est pas une affaire banale. On peut y voir la fin de la spiritualité française dans les Amériques, rien de moins; de cette spiritualité qui  a pu être la « gardienne de la langue ». Ce sont les Jésuites de France, lesquels ont en quelque sorte fondé la colonie de la Nouvelle-France, à partir de Montréal par-dessus le marché, qui s’éteignent collectivement. Votre serviteur, lui, a été formé rue de Bleury dans une institution collégiale héritée de France, ce collège jésuite Sainte-Marie, culturellement riche, et qui fonctionnait selon les principes établis à LaFlèche, précisément; il ne trouve pas que la conclusion de cette affaire séculaire est très emballante

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