Le printemps d'André Laurendeau
Où il n'y avait qu'un mince rideau d'arbres s'est établie une vraie profondeur de feuillage. Il n'y a plus devant nos yeux que ce vert tendre et riche des printemps pluvieux. On regarde. On avait oublilé.
Un peu de ciel à travers les branches les plus hautes, du bleu lumineux et vibrant. C'est tout. Et cela suffit.
On nous dit: vous n'avez pas de printemps. N'en croyons rien. Nous avons au contraire d'innombrables printemps. Ils commencent sur la neige, en février, quand tout à coup une certaine mollesse, une douceur vous frôlent: c'est une promesse si furtive qu'il est facile de la manquer. De l'avoir manquée ne prouve rien. Le printemps s'est annoncé. Il reviendra ainsi à plusieurs reprises, seulement un peu plus insistant. Alors ne regardez pas à vos pieds; la neige est sale, son règne finit, laissez-là partir sans un regard. L'important est de se sentir accordé à cette nouvelle douceur, de savoir qu'il n'y a plus beaucoup à lutter, on peut se détendre, ou se laisser aller.
Il y a, de même, le printemps immobile, où l'on sent la terre en travail. Il y a les premiers bourgeons. Il y a le duvet léger qui adoucit le contour des arbres - enfin, le printemps de partout. Mais à chaque étape, on ne se lasse pas de redécouvrir la couleur et la tiédeur. Nous avons vécu des mois de blancheur et de froide dureté: et puis la terre se met à être douce. Ses couleurs, qui sont pauvres aux yeux d'un méridional, gardent une espèce de pâleur: revenant jadis d'Italie, en juillet, il me semblait que nos paysages s'étaient éteints. Je n'avais plus assez présent dans mes yeux le souvenir de grandes étendues blanches, d'horizons blêmes... Il faut vivre le rythme d'une terre, voir naître ses contrastes, la laisser parler jusqu'au bout.
Où il n'y avait encore, le mois dernier, qu'un mince rideau d'arbres, l'oeil se perd dans une profondeur de feuillage. Et l'on se repose et l'on se divertit à contempler toutes ces nuances de vert, ce vert rendu plus riche et plus doux pour les longues pluies. Quelle fraîcheur, on avait oublié.
C'est un fouillis, que traverse le corps de quelques arbres. Au sommet, des échappées bleues, juste de quoi éprouver que le bosquet respire; un coin d'évasion, par où l'on imagine qu'on pourrait partir.