La petite querelle de la péréquation: l’économie politique d’une confortable dépendance
«Ce programme érige l’État fédéral en grand bienfaiteur sous la protection égalisatrice duquel les états les moins riches se placent et doivent plaider leurs droits précaires, jamais assurés qu’ils sont du montant des enveloppes à recevoir. Perçus par les uns comme d’odieux privilèges et par les autres, comme une concession du plus fort à l’égard du plus faible, ces montants, qui fluctuent d’une année à l’autre, paraissent obéir à une logique capricieuse. En somme, la péréquation transforme les États provinciaux bénéficiaires en clients chroniques d’un grand patron qui saupoudre ses largesses sous le regard indigné de mieux nantis qui s’imaginent financer celles-ci à leur détriment.»
Le régime financier du fédéralisme canadien est devenu un sujet d’intérêt public à la fin de l’été 2019 quand le nouveau premier ministre de l’Alberta, Jason Kenney, a voulu faire la leçon au premier ministre du Québec, François Legault, lequel se serait mépris selon le chef albertain sur les origines et la nature du programme de péréquation (1), dont le Québec est le premier bénéficiaire. Il a touché à ce titre, pour l’année 2019-2020, plus de 13 milliards de dollars. Piqué par le refus du Québec d’avaliser la construction d’un pipeline sur son territoire, pour écouler le pétrole albertain vers l’Atlantique, Jason Kenney a rappelé que ces largesses reçues par le Québec étaient financées par les hydrocarbures albertains.
Le gouvernement albertain pourra même organiser en octobre 2020 un référendum sur la péréquation, si d’ici là les projets d’oléoducs vers l’Est n’avancent guère et si le projet de loi C-69 adopté par le gouvernement Trudeau pour réviser l’évaluation environnementale et qui est jugé dévastateur par l’industrie pétrolière n’est pas retiré (2). Lors du congrès de son parti tenu en août 2019, François Legault a affirmé que le Québec « a le droit à la péréquation », qui ferait partie intégrante de l’entente à l’origine de la Constitution de 1867 (3). À quoi son homologue albertain a répliqué que M. Legault semblait ignorer que le programme de péréquation a été créé en 1957.
La péréquation, un rappel
Dans les régimes fédéraux, les entités fédérées ont d’ordinaire des moyens fiscaux insuffisants pour financer l’ensemble de leurs activités. Elles doivent alors s’en remettre à l’État fédéral, beaucoup plus riche et détenteur de tous les leviers fiscaux et monétaires, pour recevoir un complément financier qui prend la forme de subventions versées suivant des modalités propres à chaque pays. En ce sens, l’ordre fédéral repose sur un déséquilibre fiscal permanent, si l’on excepte le cas particulier de la Suisse.
Les subventions fédérales versées aux entités fédérées sont de deux types : conditionnel, l’État fédéral attache alors à ses paiements des conditions sur leur emploi et leur gestion ; inconditionnel, les entités fédérées possèdent une grande liberté dans leur utilisation. De plus, selon les régimes, les entités fédérées peuvent avoir (ou ne pas avoir) un mot à dire sur la fixation des transferts fédéraux; par exemple, au moyen d’une deuxième chambre, où elles sont représentées, laquelle participe à l’adoption des lois financières fédérales, comme c’est le cas en Allemagne.
Au Canada, ce qu’on appelle « péréquation » et qu’on nommerait en Europe, « transferts de solidarité », est un programme fédéral implanté par le gouvernement de Louis Saint-Laurent en 1957, en vue de verser aux États provinciaux moins riches que la moyenne un complément financier pour les aider à offrir des services publics comparables à ceux qui existent dans tout le pays. Ce programme s’est ajouté aux autres programmes de transferts, conditionnels, que le gouvernement fédéral a multipliés à partir de l’entre-deux- guerres.
La péréquation, à la différence de ces programmes, est un transfert inconditionnel, bien que l’État fédéral ait gardé la mainmise sur son existence et la détermination des sommes versées, dont il définit seul la méthode de calcul, sans devoir aucunement suivre l’avis des bénéficiaires du programme. En Australie, une commission permanente indépendante, la Commission des subventions du Commonwealth, fixe la formule des transferts. En Inde, cette formule est basée sur la recommandation d’une Commission des finances indépendante.
L’État fédéral canadien n’a pas voulu s’encombrer de telles sauvegardes et préfère demeurer le maître absolu du jeu fiscal. Les transferts de péréquation comptent environ pour un quart de tous les transferts intergouvernementaux versés par l’État fédéral, qui représentent dans leur ensemble plus du quart aussi de son budget. Contrairement à ce qu’on pourrait croire, la péréquation n’est pas un programme de transfert horizontal direct entre états riches et moins riches ; ce n’est pas Edmonton ou Toronto qui envoie un chèque à Québec ou à Fredericton. Les sommes transitent par le fonds consolidé du gouvernement fédéral, auquel les contribuables des états bénéficiaires contribuent également par leurs impôts.
À première vue de nature purement technique, la méthode de calcul de la péréquation au Canada s’avère une joute hautement politisée, à la source de frictions incessantes entre Ottawa et les capitales fédérées ou entre celles-ci. Ce calcul établit une capacité fiscale moyenne, celle de tous les états provinciaux depuis 2007, obtenue par le rendement fiscal tiré de cinq grandes catégories d’impôts. C’est-à-dire qu’on calcule pour chaque état provincial sa capacité à prélever des revenus à partir d’un taux moyen de taxation, qu’on applique à plusieurs listes d’impôts. En principe, ce calcul se fait indépendamment du taux réel de taxation pratiqué par l’état concerné, et des revenus qu’il perçoit réellement. Seuls les états qui ont une capacité inférieure à la moyenne reçoivent une compensation, en fonction du nombre de leurs habitants.
Notons que dans ce calcul on traite les ressources naturelles de façon différente des autres sources de revenus. Dans ce cas, on considère les revenus réels, et non les revenus potentiels, et seulement 50 % de leur valeur. Cette mesure d’exception réduit artificiellement la capacité fiscale des états producteurs d’hydrocarbures qui en tirent une grande partie de leurs revenus, ce qui a pour effet de diminuer le montant des transferts de péréquation. Alors que le Québec touche environ 3 milliards par année en revenus tirés des ressources naturelles, l’Alberta en a collecté grosso modo 14 milliards annuellement entre 2007 et 2012 (4).
De plus, le traitement des revenus tirés de l’électricité s’est prêté à des opérations comptables qui influent sur le calcul des paiements de péréquation. Ainsi, en 2008, le gouvernement fédéral a décidé de rattacher les dividendes versés par Hydro One à l’Ontario à l’assiette de l’impôt sur le revenu des sociétés au lieu qu’à celle des ressources naturelles, alors que les dividendes reçus d’Hydro-Québec ont continué d’être associés à cette dernière assiette. Cette décision se traduirait pour le Québec par un manque à gagner de 3,3 milliards depuis 2009-2010 (5).
Pour éviter la trop forte croissance des paiements de transferts qui résulterait notamment d’un écart grandissant entre les états producteurs d’hydrocarbures et les autres à la capacité fiscale moindre, le gouvernement fédéral a ajouté deux plafonds pour limiter ses paiements. Ainsi, depuis 2007, un État provincial bénéficiaire de la péréquation ne peut se trouver plus riche que le moins riche des États non bénéficiaires du programme. On a changé cette règle en 2009 pour faire en sorte que si les États bénéficiaires représentent plus de 50 % de la population (avec l’Ontario par exemple), le plafond des sommes versées à un État provincial correspondra alors à la moyenne des capacités fiscales des États bénéficiaires. Le ministère des Finances du Québec estime à 7,5 milliards $ le manque à gagner découlant de ce plafond pour la période de 2009-2010 à 2017-2018 (6). En 2008, on a aussi imposé un plafond global, pour limiter la croissance des transferts à celle du PIB nominal canadien, calculée sur trois ans.
Depuis la création du programme de péréquation, le Québec en est effectivement le principal bénéficiaire, du moins par le volume des sommes reçues. Au début du programme, il touchait un tiers des sommes versées à ce titre ; aujourd’hui, environ 66 % (7). Ce qui lui a valu dans la presse la réputation d’un éternel « assisté », vivant prétendument aux crochets de l’Ouest canadien et du Centre ontarien. Cependant, l’importance de ces sommes s’explique par la taille de la population québécoise, comparativement à celle du Manitoba et des Maritimes. Si on rapporte les paiements de péréquation à la population, le Québec n’en reçoit, en 2018-2019, que 1419 $ par habitant, contre 2835 $ pour l’Île-du-Prince-Édouard, 2480 $ pour le Nouveau- Brunswick, 2046 $ pour la Nouvelle-Écosse et 1566 $ pour le Manitoba.
En ce sens, le Québec est le deuxième moins grand bénéficiaire de la péréquation, après l’Ontario, qui a reçu un montant de 70 $ par habitant. En fait, excepté Terre-Neuve, qui ne touche plus de péréquation grâce à la rente pétrolière, les Maritimes et le Manitoba sont plus dépendants que le Québec des transferts fédéraux pour boucler leur budget. À vrai dire, depuis la création de la péréquation, tous les états provinciaux, y compris l’Alberta entre 1957 et 1965, en ont bénéficié, à un moment ou l’autre.
On doit aussi garder à l’esprit les autres transferts financiers fédéraux, plus importants en volume, versés aux États provinciaux et dont le calcul peut favoriser les États non bénéficiaires de la péréquation. Ainsi, en 2011, les conservateurs au pouvoir à Ottawa ont notamment décidé qu’à partir de 2017, les sommes versées par le « transfert canadien de santé » verraient leur croissance limitée à celle du PIB, en remplacement d’une croissance antérieurement prévue à 6 %. Si on tient compte de l’ensemble des transferts reçus par les États provinciaux, c’est l’Alberta qui a connu la plus grande croissance par personne entre 2007-2008 et 2019-2020; elle est évaluée à 83,8 %, suivie du Québec, avec 58,4 % et de l’Ontario, avec 54,7 % (8).
Bref, on voit que la remise en cause en Alberta de la péréquation occulte le fait qu’Edmonton s’avère la grande gagnante de la réorganisation financière des transferts fédéraux opérée sous les conservateurs. La contestation albertaine de la péréquation constitue aussi un autre indice de l’influence américaine sur la culture politique de l’Ouest; en dépit de grandes disparités entre leurs États, les États-Unis n’ont pas de programme de péréquation.
Selon une étude réalisée en 2014 par l’Institut de recherche et d’informations socio-économiques (IRIS), l’idée que la péréquation servirait essentiellement à financer les programmes sociaux plus développés du Québec ne tiendrait pas la route. Obtenant déjà plus de revenus autonomes que les autres États (27 % au lieu de 21 % dans le reste du Canada), le Québec, qui reçoit en moyenne 26 % de tous les transferts fédéraux, jouirait en fait, selon que l’on prend en compte sa population ou l’importance de son PIB, de transferts réels de richesse estimés de 1,8 à 3,8 milliards de dollars, soit une part de ses recettes allant de 2,1 % à 4,5 %. De plus, si on rapporte les paiements reçus de péréquation par le Québec à l’ensemble de ses revenus et de ceux des municipalités, ces subventions représentent environ 5% du total de ces revenus totaux, un pourcentage nettement moindre que celui observé pour les Maritimes et le Manitoba (9).
Bref, la dépendance prétendue serait sans doute moindre que ce que l’on pense spontanément, quoique réelle. Sans compter le fait que ce bénéfice net versé au Québec fait abstraction de l’inégalité dans la structure des dépenses fédérales sur le territoire canadien. Si l’on observe les dépenses nettes en biens et services de l’administration fédérale, on s’aperçoit que celles-ci sont systématiquement plus élevées, par habitant, en Ontario qu’au Québec, et encore plus élevées dans les Maritimes. En 2017, ces dépenses se chiffraient à 1904 $ par personne en Ontario, contre 1564 $ au Québec et à 4974 $ à Terre-Neuve (10). Tout bien considéré, la péréquation peut s’apparenter à une compensation consolatrice offerte aux « perdants » d’une économie politique qui avantage l’Ontario, siège de l’administration fédérale et de la métropole financière torontoise, surprotège les Maritimes et répond aux impératifs des industries extractives de l’Ouest.
Ce programme érige l’État fédéral en grand bienfaiteur sous la protection égalisatrice duquel les états les moins riches se placent et doivent plaider leurs droits précaires, jamais assurés qu’ils sont du montant des enveloppes à recevoir. Perçus par les uns comme d’odieux privilèges et par les autres, comme une concession du plus fort à l’égard du plus faible, ces montants, qui fluctuent d’une année à l’autre, paraissent obéir à une logique capricieuse. En somme, la péréquation transforme les États provinciaux bénéficiaires en clients chroniques d’un grand patron qui saupoudre ses largesses sous le regard indigné de mieux nantis qui s’imaginent financer celles-ci à leur détriment.
Que l'on considère ces transferts égalisateurs comme une faveur, une aumône, un renflouage, un dédommagement ou un dû, il demeure qu’ils contribuent, en incluant tous les autres issus d’Ottawa, à maintenir le Québec dans une sorte de dépendance budgétaire qui le soulage d’un grand souci, soit d’avoir à collecter lui-même une plus grande part de ses revenus et à rejoindre un niveau de richesse collective au moins égal à celui de la moyenne canadienne. Ce qui explique peut-être pourquoi, entre autres raisons, une partie de l’élite politique québécoise semble plus habile à capter la manne fédérale qu’à favoriser l’enrichissement collectif et individuel. D’où peut-être aussi le fait que le Québec ait été propice à l’éclosion de partis et de mouvements plus enclins à rechercher la juste distribution de la richesse que son accroissement. Il est du reste remarquable qu’en dépit des gouvernements québécois successifs qui ont manifesté des appétits d’autonomie ou d’indépendance depuis la révolution tranquille, le Québec, qui obtenait environ un tiers des subventions de péréquation entre 1957 et 1964, ait par la suite accaparé une plus grande part de ces transferts fédéraux, cette part ayant souvent dépassé plus de 50% de ceux-ci à partir de 1968, sans jamais descendre au niveau où elle était à la fin des années 1950. Et comble de surprise, le Québec a décroché les deux tiers de la péréquation fédérale pour l’année 2019-2020.
Si la péréquation paraît par son caractère inconditionnel plus respectueuse de l’autonomie québécoise que les autres programmes de transferts, elle ruine l’autonomie dans un sens plus profond : au lieu d’aider la collectivité nécessiteuse à se relever économiquement, on lui administre un supplément palliatif, sans ne rien changer à sa vraie condition. Selon l’économiste Marcelin Joanis de l’Université de Sherbrooke, « [r]ecevoir année après année des paiements de péréquation devrait en effet entraîner une obligation morale, celle de tout mettre en œuvre pour ne plus avoir besoin de cette aide à plus ou moins brève échéance (11). » C’est là un avis peu souvent entendu au Québec.
Par ailleurs, toute bienfaisance instaure une relation entre un supérieur et un inférieur, comme le rappelle Thomas d’Aquin dans la Somme théologique en citant Denys : « l'amour meut les choses ordonnées suivant une réciprocité de relations ; il meut ainsi les êtres inférieurs vers les supérieurs pour qu'ils soient perfectionnés par ceux-ci, et les êtres supérieurs vers les inférieurs pour leur bénéfice (12) ». Au chapitre de l’aumône, le docteur angélique, reprenant les mots de Saint Basile, constate que cette libéralité fait naître entre le donateur et le bénéficiaire deux qualités : « Tu es dans l'abondance, celui-ci est réduit à mendier ; pourquoi cela, sinon pour que toi tu acquières le mérite d'une bonne dispensation, et lui, la récompense de la patience ? (13) » Cette patience, le Québec l’a eue ; voilà plus de soixante ans qu’il attend, d’année en année, qu’un supérieur pallie son indigence budgétaire.
La péréquation est-elle un droit ?
L’affirmation de François Legault suivant laquelle la péréquation serait un droit fondé sur la Constitution de 1867 a attiré les railleries du premier ministre albertain et de plusieurs commentateurs politiques. Répondant à celui-ci, François Legault a admis que le programme de péréquation a vu le jour après 1867 en précisant que « les principes de la péréquation étaient là en 186714 ». Le cabinet du premier ministre a ajouté que ce dernier faisait référence à un article oublié et périmé de la Loi constitutionnelle de 1867, l’article 118, qui prévoyait le versement de subventions fixes aux quatre États provinciaux initiaux, « pour le maintien de leurs gouvernements et législatures », subventions qui « libéreront à toujours le Canada de toutes autres réclamations. » En 1874, 57 % des revenus provinciaux étaient attribuables aux subventions fédérales (15). Cependant, les sommes versées étant fixes, elles se révélèrent largement insuffisantes, et l’article 118 fut révisé pour augmenter le niveau des transferts avant d’être finalement abrogé en 1950.
Les subventions versées en vertu de l’article 118 ne constituaient pas un programme de péréquation proprement dit, puisqu’elles étaient versées à tous les États provinciaux sans référence à une formule de capacité fiscale. Cependant, cet article enregistrait dans le droit constitutionnel la vocation du gouvernement fédéral à affecter, sur une base prévisible et inconditionnelle, une partie de ses revenus généraux au soutien des gouvernements et des législatures des États provinciaux.
Par ailleurs, la réforme constitutionnelle de 1982 a consacré un article à la péréquation et aux inégalités régionales, soit l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982. Cet article comporte deux volets : le premier prend acte de l’engagement des onze gouvernements et de leurs assemblées à promouvoir l’égalité des chances et à fournir, à un niveau de qualité acceptable, « les services publics essentiels » ; le deuxième constate que l'État fédéral prend l’engagement de principe « de faire des paiements de péréquation propres à donner aux gouvernements provinciaux des revenus suffisants pour [...] assurer les services publics à un niveau de qualité et de fiscalité sensiblement comparables. »
Plusieurs juristes ont vu dans cet article au langage alambiqué, et notamment son deuxième volet, une disposition purement programmatique ou idéologique, sans portée exécutoire devant les tribunaux (16), ce qui laisserait à l’État fédéral la latitude voulue pour le modifier ou le mettre au rancart. Cependant, c’est oublier l’avis finement argumenté d’un juriste qui, dans une thèse de maîtrise réalisée en 1993 sous la codirection de feu le sénateur Gérald Beaudoin, soutient que cet article, assez précis pour valoir une norme constitutionnelle impérative, contraint l’État fédéral à maintenir le programme de péréquation et sa finalité. Cet article pourrait même recevoir la sanction des tribunaux (17).
Faisant l’historique de cet article, dont le choix des mots reprend le vocabulaire et l’esprit de la législation fédérale en cette matière, Claude Lebel estime que le constituant n’a pas parlé pour ne rien dire et aurait donc enchâssé le principe de la péréquation dans la constitution canadienne. Si l’État fédéral conserve la liberté de varier le montant des transferts et la méthode de leur calcul, il serait obligé constitutionnellement de maintenir le programme de péréquation et sa mécanique redistributive, conçue pour égaliser la capacité fiscale des états provinciaux. Il est donc loisible de penser que l’État fédéral ne pourrait pas, à moins de s’appuyer sur un amendement constitutionnel, abolir le programme, y substituer des transferts versés aux individus ou éloigner sa méthode de calcul des visées inscrites à l’article 36.
Or, si l’Alberta devait tenir un référendum sur la péréquation et obtenir un vote défavorable à son maintien, il serait peu probable qu’une coalition de sept États provinciaux représentant plus de 50 % de la population se cristalliserait pour entériner l’abrogation constitutionnelle de ce programme. Mais un tel vote déclencherait assurément une crise politique et précipiterait peut-être le pays dans une ronde de négociation constitutionnelle, puisque selon plusieurs juristes, la Cour suprême attacherait une obligation juridique de négocier à l’option constitutionnelle validée par un référendum positif, quel qu’en soit le sujet.
Notes
(1) Voir Clare Clancy, « Kenney fires back at Quebec premier on equalization payments, calls for “fair deal” », Edmonton Journal, 20 août 2019, en ligne : https://edmontonjournal.com/news/poli- tics/kenney-fires-back-at-quebec-premier-on-equalization-payments-calls-for-fair-deal .
(2) Kieran Leavitt, « Alberta’s equalization referendum “political science fiction”, experts say », Star Edmonton, 20 août 2019, en ligne : https://www.thestar.com/edmonton/2019/08/20/albertas- equalization-referendum-political-science-fiction-experts-say.html . Cette loi est entrée en vi- gueur le 28 août dernier et le gouvernement albertain a décidé de demander à la Cour d’appel de l’Alberta de statuer sur la constitutionnalité de la loi fédérale. Voir Loi édictant la Loi sur l’éva- luation d’impact et la Loi sur la Régie canadienne de l’énergie, modifiant la Loi sur la protection de la navigation et apportant des modifications corrélatives à d’autres lois, Lois du Dominion du Canada, 2019, c. 28.
(3) Hugo Pilon-Larose, « Péréquation : Legault réplique à Kenney », La Presse, 18 août 2019.
(4) Voir « Le Québec, dépendant de la péréquation ? », note socio-économique, Institut de recherche
et d’informations socio-économiques, mars 2014, p. 5.
(5) Le plan économique du Québec, Le point sur les transferts fédéraux, document H, mars 2018, ministère des Finances, état du Québec, p. 24, en ligne : http://www.budget.finances.gouv.qc.ca/ budget/2018-2019/fr/documents/PlanEconomique_18-19.pdf#page=567 .
(6) Ibid., p. 21.
(7) Voir Claude Lebel, Péréquation et inégalités régionales au Canada : l’article 36 de la Loi constitutionnelle de 1982, maîtrise en droit, Faculté de droit civil, Université d’Ottawa, 1993, an- nexe II, p. 218.
(8) Voir les chiffres fournis par dans le blogue du journaliste Richard Starr, http://www.formac.ca/ starrspoint/2018/12/18/the-equalization-history-that-jason-kenney-likes-to-forget/ .
(9) Donnée obtenue pour l’année 2004-2005, voir Groupe d’experts sur la péréquation et la formule de financement des territoires, Pour réaliser un dessein national, Remettre la péréquation sur la bonne voie, mai 2006, ministère des Finances, Dominion du Canada, p. 32.
(10) Institut de la statistique du Québec, Comparaisons interprovinciales, Tableau 13.2, http:// www.stat.gouv.qc.ca/statistiques/economie/comparaisons-economiques/interprovinciales/ chap13.pdf .
(11) Marcelin Joanis, « Péréquation : les plaques tectoniques du déséquilibre fiscal horizontal sont en mouvement », Options politiques, mai 2010, p. 44.
(12) Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, IIa IIae Pars, question 31, article 1, disponible en ligne dans le site du projet docteur angélique http://docteurangelique.free.fr/saint_thomas_d_a- quin/oeuvres_completes.html .
(13) Ibid., question 32, article 5.
(14) Marc-André Gagnon, « Péréquation : Legault persiste et signe », Journal de Montréal, 21 août 2019, https://www.journaldequebec.com/2019/08/21/perequation--legault-persiste-et-signe .
(15) Le déséquilibre fiscal au Canada, contexte historique, rapport, annexe 1, Commission sur le déséquilibre fiscal, 2002, état du Québec, p. 18.
(16) Voir par exemple l’opinion de Roderick A. Macdonald, « The political economy of the federal spending power », dans John R. Allan, Thomas J. Courchene, Marc-Antoine Adam et Hoi Kong (dir.), Canada: The State of the Federation 2008, Kingston, Institut des relations intergouverne- mentales, Presses des universités Queen’s et McGill, 2012, p. 70.
(17) Claude Lebel, Péréquation et inégalités régionales au Canada : l’article 36 de la Loi constitu- tionnelle de 1982, déjà cité, p. 61.