Biographie de l'abbé Barthélemy

L.-G. Pélissier
Biographie extraite de la Grande Encyclopédie publiée à la fin du XIXe siècle incluant une bibliographie très complète des travaux de l'abbé Barthélemy.
BARTHÉLEMY (Jean-Jacques), savant français, fils de Joseph Barthélemy, d'Aubagne, et de Magdeleiue Bastis, de Cassis; né à Cassis (Provence) le 20 janv.,1746, mort à Paris le 30 janv. 4795. Privé de sa mère dès l'âge de quatre ans, élevé par un père sensible, Barthélemy montra, dès le collège, le goût de l'étude et de la recherche personnelle; il cultiva les vers latins et français sous le P. Raynaud, lauréat de l'Académie française; sans se laisser décourager par la sottise et les fureurs de ses professeurs jésuites, il continua à s'occuper de langues et d'histoire. La philosophie de Descartes qu'il étudiait en secret était un antidote puissant: il étudiait l'hébreu, le syriaque, les antiquités chrétiennes, et, dans la belle ardeur de la jeunesse, voulut embrasser dans une thèse les principales questions d'exégèse et d'histoire ecclésiastique: ce travail le fatigua et il fit une grave maladie. Au séminaire, il apprit l'arabe. Quelques prédications en arabe aux séminaristes maronites, un dialogue en hébreu et en arabe avec un israélite, lui acquirent à Marseille une grande réputation d'orientaliste; une séance littéraire, présidée par M. de la Visclède, lui avait valu auparavant une renommée de poète. A la sortie du séminaire, « quoique pénétré des sentiments de la religion », il demeura dans le siècle. Mais son jansénisme de cœur, quoique discret et attendri, son érudition en patristique (il avait lu saint Paul et saint Augustin) effrayèrent M. de Belzunce et ses deux jésuites de confiance, l'ignare P. Fabre et le fougueux P. Maire, premier grand-vicaire, administrateur du diocèse et chanoine théologal. Il n'obtint aucun bénéfice et alla vivre à Aubagnc dans sa famille. Il se rendit à Paris quelques années plus tard (1744) et se présenta à M. Gros de Boze, garde des médailles du roi, qui, malgré sa froideur, le reçut poliment et le présenta dans le monde savant. Les dîners de M. de Boze étaient célèbres et fréquentés. Barthélemy y connut Réaumur, le comte de Caylus, l'abbé Saltier, Gedoyn, La Bléterie, Da Resnel, Foncemagne, Duclos, Loris Racine. Entre temps, il visita en détail Paris et fréquenta les bibliothèques publiques. Le voyant sans emploi, instruit et de bonne volonté, M. de Boze pensa à se l'adjoindre pour conserver, classer et cataloguer le cabinet des médailles. Pendant sept ans, Barthélemy fut sous sa direction et fit à bonne école son apprentissage technique de numismate. L'arrangement des médailles dura plusieurs années sous la direction de ce «sévère censeur»; le classement des suites du maréchal d'Estrée (empereurs-bronze, rois grecs, villes grecques), des médailles modernes, monnaies et jetons, laissés dans leurs caisses depuis le transfert du cabinet de Versailles à Paris; de la collection de Rothelin de Beauvau (impériales de grand bronze), et l'installation du cabinet des antiques l'occupèrent plusieurs années. Bientôt il entra à l'Académie des inscriptions: Le Beau, qui eût été un redoutable concurrent, ne s'était pas présenté. La mort de M. de Boze le délivra ou le priva d'un conseiller désagréable, mais utile, et Barthélemy fut nommé pour le remplacer. Choiseul-Stainville, nommé ambassadeur à Rome et qui avait pris Barthélemy en amitié, lui offrit de l'accompagner en Italie. Ce voyage convenait à ses travaux; il reçut pour le faire une commission du roi et une gratification de 6 000 fr. Il partit, en août 1755, avec son ami le président de Cotte et arriva à Rome le 1er nov. Son séjour en Italie dura trois ans; après la présentation à Benoît XIV, M. de Cotte et Barthélemy allèrent passer un mois à Naples; les temples de Paestum, le musée pompéien du palais de Portici, la bibliothèque des papyrus d'Herculanum, l'y occupèrent. Désolé de l'abandon où on laissait les papyrus, il tenta vainement d'intéresser à leur déchiffrement l'ambassadeur Caracoiali. Il s'en vit refuser communication et ne put en copier qu'un fragment en cachette. Il connut à Naples l'éditeur des antiquités d'Herculanum, Mgr Baiardi, compilateur imbécile et grotesque. Le récit de son entrevue avec ce vieux fou, est un chef-d'œuvre de verve et de gaîté. Le marquis d'Ossun lui fit connaître des archéologues plus sérieux, Mazocchi, le premier interprète des inscriptions d'Herculanum, M. de Gazole, M. de Noia, numismate (qui avait une suite immense des médailles de la grande Grèce), M. de Pianura qui céda plusieurs médailles au cabinet du roi. À Rome, où Barthélemy séjourna plus longtemps, il fréquenta surtout Paciaudi, Bottari, Assemaai, le P. Corsini, le cardinal Passionei. Barthélemy revint à Paris avec Choiseul-Stainville en janv. 1757. Nommé à Vienne, Stainville eût voulu l'y emmener pour lui faire faire un voyage dans le Levant, mais, retenu par ses devoirs à Paris, Barthélemy refusa. Il songeait, du reste dès ce moment, à son Voyage d'Anacharsis. Choiseul était au ministère des affaires étrangères. Barthélemy ne cessa de vivre chez lui jusqu'à sa mort. Il lui dut les diverses situations lucratives qu'il occupa et qui lui acquirent une fortune considérable pour un homme de lettres. Barthélemy n'abusa pas de la bienveillance de ses protecteurs et eut même à se défendre contre l'excès parfois peu discret de leur zèle; il refusa le privilège du Mercure, bénéfice de 20 000 livres, retiré à Marmontel, disgracié pour une parodie dont il n'était pas l'auteur; il refusa de se porter à l'Académie française contre Marmontel; il abandonna à propos la pension qu'il avait sur le Mercure, qu'il fit attribuer à La Place, à M. de Guignes et à Chabanon ; il refusa, en 1789, le poste de bibliothécaire du roi à la mort de Hardion. De sa fortune, il fit un sage emploi, éleva et établit trois neveux, dont l'un, François, marquis de Barthélemy, fait l'objet de l'art. suivant. Son seul luxeétaitsa bibliothèque et son seul plaisir l'équitation. Les années 1758 à 1789 furent les plus fécondes de sa carrière de savant, qui se couronna par une élection flatteuse à l'Académie française. Victime de la Révolution, destitué et enfermé aux Madelonnettes, il en sortit glorieusement le 12 oct. 1793 par une démarche spontanée du ministre de l'intérieur Paré qui le nomma bibliothécaire de la Nationale. Il n'accepta que ses anciennes fonctions et les remplit jusqu'à sa mort survenue deux ans après. Son activité au cabinet des médailles pendant les 30 ans qu'il le dirigea fut merveilleuse et enrichit singulièrement ce vaste dépôt. Il y établit une discipline sévère pour les visites, tint une nombreuse correspondance avec des numismates étrangers et commença la préparation du catalogue général. Il enrichit le cabinet de diverses collections et de suites très nombreuses, compléta les suites d'argent modernes, par les médailles de Suède et de Danemark; acheta, en 1754, pour 18 000 livres, le cabinet de M. Cary, de Marseille, grâce à l'intervention pécuniaire du fermier général M. de Fontferrières; une partie de la suite en or de M. de Clèves (1762) vendue 50 000 livres à M. du Rodent qui retrocéda au cabinet pour 20 000 livres; en 1775, le célèbre cabinet Fellerin, formé de plusieurs collections particulières et accru, pendant 40 ans, de médailles grecques recueillies dans le Levant (400 000 livres) et catalogué; une partie du cabinet de M. d'Ennery, catalogué, vendu aux enchères et à vil prix; et y fit entrer une à une ou par petits groupes bien des médailles célèbres, illustrées par des dissertations spéciales ou objets de discussions scientifiques : le médaillon du baron de Stosch, les bronzes chrétiens de Vettori, une médaille de Trajan surfrappée de M. de Henrion. Il fut aidé dans ses travaux d'abord par son neveu Courçay, depuis 1772, et ensuite par M. Barbié. Cette activité infatigable n'empêcha pas Barthélemy de produire beaucoup de travaux archéologiques. En voici la liste complète Réflexions sur l'alphabet et la langue de Palmyre (1754); les Chinois, colonie égyptienne; la Mosaïque de Palestrine; traduction du roman grec : Amours de Carite et de Polydore (1758) ; Médailles trouvées à Vieille-Toulouse (1764);
Sur quelques monuments phéniciens, lettre à Olivieri (4766); la Musique grecque au IVe siècle avant J.-C. (1777) ; Discours de réception à l'Académie (1789) ; dissertations dans le Recueil de Caylus (1732, et suiv.) dans le Journal des savants (1760-61, 63-90); sur les médailles phéniciennes (1760-63); sur les médailles samaritaines (1790) ; le Voyage du jeune Anacharsis en Grèce (Paris, de Bure, 1787, 4 vol. in-4, atlas de Barbier de Bocage). L'édition de Sainte-Croix (7 vol. in-4, chez Didot, 1799) est très bonne. Sainte-Croix a publié, en 1798, les œuvres diverses de Barthélemy : Traité de morale; la Chanteloupie ou guerre des puces; les Ruines de Palmyre, les Ruines de Balbeck; les Antiquités d'Herculanum; les Tables d'Héraclée; les Médailles de Marc-Antoine; le Rapport sur l'édition des œuvres de Winckelmann (1793); Recherches sur le partage du butin chez les peuples anciens; Sur quelques peintures mexicaines; Instruction pour M. Dombey sur son voyage au Pérou; Fragments d'un voyage littéraire en Italie; Mémoire à la commission des monuments (18 oct. 1792); Essai d'une nouvelle histoire romaine (parodie); Traité de la science des médailles (fragments); Instructions pour M. Horiel, sur son voyage de Naples et de Sicile; les Droits des anciennes métropoles sur les colonies; Dissertation sur une ancienne inscription grecque. Serieys a publié, en 1801, les Voyages de l'abbé Barthélemy en ltalie. Ses Mémoires sur sa vie et quelques-uns de ses ouvrages parurent en 1799. Les tomes XXI à XLI du recueil de l'Académie des inscriptions contiennent plusieurs de ses dissertations. En 1752, il édita l'Histoire numismatique des rois de Thrace, de son ami F. Cary. Le principal ouvrage de Barthélemy est ce Voyage du jeune Anacharsis en Grèce dans le milieu du IVe siècle qui, sans doute, n'est plus au courant de la science, mais qui reste un tableau complet, animé et intéressant de l'antiquité grecque (surtout pour la vie privée). Il avait songé d'abord à faire sous forme de mémoires d'un voyageur un tableau de la Renaissance italienne littéraire, scientifique et artistique; mais, manquant de la préparation nécessaire et absorbé par d'autres travaux, il renonça à ce projet ou plutôt l'appliqua à une autre époque; au lieu de la Renaissance décrite par un Français, il donna la Grèce du IVe siècle décrite par un Barbare. Il suppose « qu'un Scythe vient en Grèce quelques années avant la naissance d'Alexandre et que, d'Athènes, il fait plusieurs voyages dans les provinces voisines, observant partout les mœurs et les usages des peuples, assistant à leurs fêtes, étudiant la nature de leurs gouvernements; quelquefois consacrant ses loisirs à des recherches sur les progrès de l'esprit humain, conversant avec les grands hommes qui florissaient alors: Phocion, Epaminondas, Xénophon, Platon, Aristote, Démosthène». «Cet ouvrage, commencé en 1757, ne parut qu'en 1787.» Malgré l'imminence de la réunion des États généraux qui laissait peu de loisir aux plaisirs scientifiques, le succès d'Anacharsis fut immense. Le Monthly review seul insinua que l'ouvrage était imité des Lettres athéniennes, parues à Cambridge en 1741 et non mises dans le commerce. Barthélemy n'eut pas de peine à convaincre ses censeurs qu'il avait ignoré l'existence de cet ouvrage anglais, et le Monthly rewiew enregistra sa déclaration. Ainsi rien ne troubla le bonheur du vieux savant qui disait de son livre: «Je regrette, après y avoir employé plus de trente ans, de ne l'avoir pas commencé dix ans plus tôt et de n'avoir pu le finir dix ans plus tard.» Aubagne a orné une fontaine publique du buste de Barthélemy.

Autres articles associés à ce dossier




Articles récents