Humain: Une enquête philosophique
Voici quelques commentaires sur sur Humain, Une enquête philosophique sur ces révolutions qui changent nos vies, par Monique Atlan et Roger-Pol Droit.
«Journalistes chevronnés et spécialistes de philosophie, les deux auteurs ont regroupé en une suite de rubriques, allant du corps régénéré à la vie en société, les domaines où des avancées importantes sont en cours.[...]
À la fabrique du corps, on peut juxtaposer l'intervention sur les mécanismes de la pensée. La recherche donne ici le vertige, et on rencontre quelques docteurs Folamour, comme le professeur Freeman Dyson, qui évoque sans ciller la fusion de l'homme et de la machine. Mais le rêve du parfait robot vient avec ses propres démons, comme l'évoquent plusieurs philosophes sceptiques sur le réalisme d'un projet de recherche qui pourrait conduire à une société de maîtres et d'esclaves. On trouvera un peu de réconfort dans les propos de Jean-Michel Besnier, fin critique du démiurgisme technique contemporain, qui associe cette frénésie à une dépression face aux échecs moraux et politiques du siècle dernier. Pareillement, Jean-Pierre Dupuy, interrogé sur cette rupture avec l'humain naturel, cite Hannah Arendt et critique ce rêve d'auto-engendrement. Mais devant les travaux sur la digitalisation de la mémoire vivante, ou sur la reproduction de toutes les activités du cerveau dans des artefacts, on peut penser que le recours aux humanistes n'offrira pas longtemps un rempart efficace.
L'enquête ne se limite pas aux avancées des sciences naturelles et cognitives, elle s'étend en effet aux modes de vie et aux conséquences morales de l'innovation technologique. Amartya Sen, critique de l'économie mondialisée, livre ici un plaidoyer très senti pour un développement respectueux de l'humain. Comment réagir à la déshumanisation qui résulte des technologies de la communication et du management? Sa pensée des «capacités humaines» peut-elle s'opposer à cette économie du capital humain qui transforme des sociétés entières en fourmilières? Peter Sloterdijk et Jürgen Habermas offrent eux aussi un propos critique de l'eugénisme et s'inquiètent du soutien spontané de la recherche à toute amélioration anticipée produite par la technologie. Habermas pense que la tradition politique saura résister aux utopies inutiles des «technofreaks» et il ne propose rien de moins qu'une éthique de l'espèce humaine.
Georges Leroux, Le Devoir, Montréal, 21 avril 2012
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Serions-nous finalement au seuil d'une humanité 2.0 ?
Nous ne faisons pas un travail de futurologie. Pour nous, l'enjeu principal est plutôt d'inciter à recomposer un humanisme. Celui-ci devrait tenir compte des sciences et des techniques, sans les craindre ni les magnifier à l'excès. Il intégrerait les décentrements introduits par la pensée contemporaine, abandonnerait l'arrogance des vieilles définitions de l'homme. Mais il n'abdiquerait pas les spécificités de notre espèce : nous demeurons toujours les seuls êtres parlant un langage articulé inventif, les seuls à avoir produit des sciences, des littératures et des arts, et à formuler une éthique. C'est pourquoi il faut réendosser cette part de responsabilité qui incombe à chacun et ne pas l'abandonner aux seuls experts. Cette tâche nous dépasse, c'est évident. Mais il fallait souligner son urgence.
Interview: Le Point, 17 janvier 2012