Et si les étudiants avaient raison

Denis Bédard


Après l’arrêt des discussions sur la hausse des droits de scolarité survenu le 30 mai, on se demande comment le gouvernement et les associations étudiantes pourront reprendre celles-ci. Durant les trois jours qu’elles ont duré, les parties se sont échangés des formules, essayant d’ajuster les différents paramètres de calcul pour que l’impact financier soit à coût nul pour le gouvernement ou pour les étudiants. La confrontation a finalement fait ressortir un désaccord de principe sur le bien-fondé des droits de scolarité. D’une part, à l’instar de plusieurs pays européens, les étudiants voudraient la gratuité afin de rendre les études universitaires le plus accessibles possible. Et à défaut d’éliminer les droits de scolarité, ils se sont battus au moins pour leur gel. D’autre part, le gouvernement fait valoir un principe d’équité : les dépenses d’éducation sont un investissement bénéfique à la fois pour la société et l’étudiant et il est normal que ce dernier en supporte une juste partie du coût.

On peut imaginer plusieurs formules pour accroître les droits de scolarité selon la proportion choisie des coûts d’enseignement qu’on veut financer et selon la période de rattrapage combinée à un rythme d’augmentation acceptable pour toutes les parties. La formule peut aussi être accompagnée de mesures fiscales compensatoires, évidemment aux frais des contribuables. Suite au jeu de propositions et de contre-propositions entre le gouvernement et les associations étudiantes, les chances d’en arriver à une entente sont maintenant pratiquement nulles. Au-delà du désaccord apparent de principe, le problème est beaucoup plus profond que la recherche d’une simple formule de calcul.

Disons tout d’abord que le Québec investit beaucoup dans l’éducation. Selon les dernières données, les dépenses publiques et privées totales pour tout le secteur étaient en 2007 de 7,0% du PIB, comparativement à 6,3% en Ontario. La différence entre les deux provinces s’explique presqu’en totalité par l’enseignement collégial et universitaire où les dépenses étaient de 3,1% du PIB au Québec alors qu’elles étaient de 2,5% en Ontario, soit un écart de 0,6% du PIB, équivalent en 2012 à environ 2 milliards de dollars. Il a été aussi souligné au cours des dernières semaines que malgré le fait que les frais de scolarité soient beaucoup plus bas au Québec, le taux d’obtention d’un diplôme universitaire est de 25% plus faible au Québec qu’en Ontario.

L’explication de cette piètre performance est probablement reliée à l’attitude des Québécois à l’égard de l’éducation. Le goût d’apprendre ne serait pas transmis par les parents avec autant de conviction qu’ailleurs comme le soulignait récemment madame Denise Bombardier (Le Devoir, 29 avril 2012). Mais quand on fait ce genre de comparaison avec l’Ontario, il y a un autre facteur qu’il faut souligner et c’est celui relié à la différence de fonctionnement des deux systèmes d’éducation. En effet, avant d’entrer à l’université à la fin de ses études secondaires comme cela se fait ailleurs, l’étudiant au Québec passe deux années au CÉGEP afin de compléter son secondaire pour entreprendre ensuite une première année d’études universitaires, laquelle est gratuite puisque qu’il n’y pas de droits de scolarité au CÉGEP. Par contre, l’étudiant en Ontario fait une année de plus d’études au niveau secondaire ce qui lui permet d’entrer directement à l’université où il fait également une année de plus.

Est-ce que la transition des étudiants québécois via le CÉGEP est utile et profitable quant à la performance de notre système d’éducation? La formule des CÉGEPS s’est montrée bien adaptée au cycle d’enseignement professionnel et technique. C’est là leur succès, mais en ce qui concerne les études de la filière universitaire, on peut en douter car elle oblige l’étudiant à s’intégrer à un cycle court d’études et à recommencer une nouvelle adaptation à son entrée à l’université. C’est une formule très couteuse pour la société qui doit ainsi supporter les dédoublements organisationnels, administratifs et pédagogiques d’un cycle supplémentaire d’études. C’est un système inefficace pour les universités qui ne peuvent prendre en charge les étudiants pour le cycle complet de leurs études universitaires et les aider au tout début à confirmer leur orientation de carrière ou à les réorienter le cas échéant. On fait semblant que ces problèmes n’existent pas et aucun ministre de l’éducation n’osera remettre en cause une institution comme le CÉGEP qui est un symbole de la révolution tranquille. Il y a trop d’intérêts acquis dans la structure actuelle.

On peut comprendre dans ce contexte la logique de la position des associations étudiantes à l’égard des droits de scolarité. Les CÉGEPS ont été créés afin de décentraliser une partie de l’enseignement universitaire. On leur a donné des allures de «petites universités» où l’enseignement est gratuit. Comment peut-on alors justifier le principe des droits de scolarité pour le reste de leurs études universitaires? Au fonds, les étudiants voudraient que les universités soient considérées comme de «gros CÉGEPS». Si le gouvernement est sérieux concernant sa proposition de créer un forum pour étudier la situation des universités, espérons que ce sera fait en se penchant sur le fonctionnement de l’ensemble du système d’enseignement postsecondaire.

Ceci m’amène en terminant à formuler un scénario qui est tout à fait utopique mais qui pourrait porter à réfléchir. Si tant est qu’on voudrait réformer les études collégiales en prolongeant les études secondaires d’un an et en ajoutant une année au cycle universitaire, un étudiant québécois pourrait aller directement du secondaire à l’université. En prenant le cas d’un baccalauréat normal, le total des droits de scolarité actuels pourraient alors être répartis sur quatre années au lieu de trois, ce qui les diminuerait de 25% sur une base annuelle. Ce serait à coût nul à la fois pour les étudiants et le gouvernement. Par contre, les économies générées par cette réforme seraient supérieure à mon point de vue au manque à gagner causé par l’abandon du projet gouvernemental de hausse des droits. Il resterait à déterminer un taux d’indexation pour que leur niveau ne régresse pas par la suite. On resterait ainsi relativement près de la gratuité sans abandonner le principe d’une contribution minimale de la part des étudiants, laquelle serait inférieure à 10% du coût d’une année universitaire. C’est en recherchant ainsi l’efficacité non pas maximale mais optimale des services publics que le Québec réussira à les maintenir à long terme et à garder la sorte de social-démocratie que nous avons essayé de bâtir depuis la révolution tranquille.

La conclusion qui se dégage de plus en plus de cette crise est que nous faisons face à un conflit politique profond qui dépasse l’enjeu somme toute mineur des frais de scolarité et qui est le résultat d’une accumulation de problèmes non réglés, que ce soit au plan constitutionnel et linguistique, au plan des finances publiques, des mœurs politiques ou de l’environnement . À cela s’ajoutent les effets pervers de la mondialisation sur l’économie et l’emploi ainsi que le poids du vieillissement de la population sur la santé et les régimes de retraite. Bref l’avenir est incertain pour ne pas dire inquiétant pour ces jeunes qui perçoivent intuitivement qu’on leur propose une solution dont la logique est de la même mouture que celle qui a créé ces problèmes que nous ne réussissons plus à résoudre. Pourquoi accepteraient-ils alors ce qu’on leur propose? Je dédie ce texte à mes enfants et petits-enfants qui héritent de ce marasme.

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