Astrologie
Jupiter et Mars sont ensemble dans le Lion. Si vous vous levez avant le jour, vous verrez les deux planètes, la rouge et la jaune, au milieu du ciel ; et à leur droite vous reconnaîtrez le point d'interrogation renversé qui dessine la tête du Lion. Ces grandes figures ont épouvanté les peuples. Je devine à peu près ce que l'astrologue de Tibère aurait tiré de la présente conjonction. Les pouvoirs triomphant par la guerre, voilà une chose qu'on peut toujours annoncer. Le cheval de la fable, qui s'était voulu venger du cerf, nous enseigne mieux ; car le cerf fut puni, mais le cheval resta le nez dans la bride. C'est ainsi qu'Ésope se consolait. Il y a mieux à dire.
Le poids des astres sur nos destins ne fait pas question. Les anciens croyaient que la lune égarait les dormeurs qu'elle touchait de ses rayons. Nous savons mieux, car nous savons que la lune soulève nos navires et change l'horaire des trains, ce qui évidemment peut changer beaucoup notre histoire privée. Et nous pouvons comprendre aussi que les négligents poètes qui dorment à la lune sont sujets à d'étranges passions ; la lune fut toujours la confidente de ceux qui pensent à autre chose qu'à gagner de l'argent. Par ce chemin, on arrive même à comprendre une autre influence des astres, plus subtile, qui vient de ce qu'on les croit. Une éclipse, une comète peuvent remuer les imaginations et changer les empires. Et cette annonce de deux planètes et du Lion, elle sera vraie si l'on y croit. Car la conjonction des pouvoirs et de la guerre va de soi dès qu'on la permet.
Au temps des Grecs les astres étaient lointains et étrangers. Ces grands signes étaient arbitraires et absolus. Mais maintenant nous sommes dans les astres. Ils représentent exactement pour nous cette partie de notre histoire que nous ne pouvons changer, mois, saisons, années, marées ; balancements bien plus larges encore, précession d'équinoxe et autres, qui, dans quelque mille ans, ramèneront peut-être ici même les glaciers, la forêt nordique, l'auroch, et le renne, pendant que le nœud impérial se retrouvera entre Carthage et la Thébaïde. Ce calendrier est tout tracé ; seulement il est tout blanc. Le destin, à présent qu'il est mieux mesuré, nous éclaire l'arène ; mais c'est nous qui courons. Le dompteur de chevaux passera la bride aux pouvoirs ; il s'y essaie partout. J'admire la variété des catastrophes que l'on nous a annoncées depuis quinze ans et qui risquaient bien d'arriver, si l'on avait cru les prophètes. Chez nous du moins, on n'a rien cru du tout ; on a ri. Les peuples se demandent quelquefois s'ils doivent de la reconnaissance à cette petite pointe d'Europe, qui a inventé de terribles maux. Ils lui doivent du moins l'incrédulité. Et d'autres, parmi les incrédules, se demandent à quoi peut servir encore le petit pays de Voltaire. À quoi ? À conserver le courage de rire. À fatiguer la peur. Tout homme d'importance veut faire peur. Mais nous n'avons pas fini de rire.
N'étant donc point payé par Tibère, je fais honnêtement l'astrologue, chose neuve. Je vous désigne du doigt ces grands signes du ciel, qui n'ont de sens que par le nom qui leur fut donné. Or ces métaphores sont pleines de sagesse. Il est vrai maintenant comme toujours que les pouvoirs ne pensent qu'à se fortifier. Il est vrai maintenant comme toujours que les menaces de Mars sont les plus puissants moyens de gouvernement. Il est vrai que la tyrannie et la guerre ensemble nous guettent, essayant leurs vieilles ruses. Telle est la fatalité la plus proche, et dont nous devons tenir compte, comme le navigateur fait des courants, des vents et de la brume. Et ces choses inévitables n'em¬pêchent pourtant pas une multitude de barques d'aller à peu près où elles veulent. Il n’a fallu que mépriser les éléments dansants et tourbillonnants, et s'en servir. De la même manière nous arrivons à considérer les pouvoirs, ces vieilles têtes de Méduse, comme une poussière d'éléments qui n'ont pas plus de vouloir que le vent et la vague. Cet océan d'intrigues et de lieux communs est maniable, et nous mènera où nous voudrons. À quoi ? À vivre humai¬nement, et à former des hommes plus libres, moins crédules encore, et plus indomptables encore que nous-mêmes. Le détail m'échappe ; mais c'est ce qui charme dans les voyages. Inutile et ridicule d'appuyer sur la barre avant la risée.
7 janvier 1933.