Trieste est le Marseille de l'Autriche

Cyprien Polydore
On arrive à Trieste par le magnifique viaduc de Franzensdorf. Trieste est le Marseille de l'Autriche. C'est une ville de deux cent mille habitants, vaste port de commerce, et centre du Lloyd autrichien, l'une des plus puissantes compagnies maritimes du monde. La marine de l'Etat y possède aussi de grands chantiers de construction. La ville de Trieste est étagée, comme Marseille, sur le versant de hautes collines rocheuses. La basse ville s'étend sur le bord de la mer, avec ses quais immenses; elle est bien percée, et renferme de beaux édifices, tels que l'Académie royale nautique, le musée Ferdinand, le môle Sainte-Thérèse, dont le phare gigantesque a plus de cent pieds d'élévation, le monument de l'empereur Maximilien, etc., etc. La ville haute, à laquelle on monte par des rues tortueuses, pavées en bois, possède la cathédrale, vaste église romano-bysantine (sic), mais basse, écrasée et pauvre. En entrant dans cette église, un Français est étonné de fouler une dalle sur laquelle est écrit le nom de Fouché. Conventionnel, ami de Robespierre, régicide, duc d'Otrante et ministre de la police sous le premier empire, royaliste avec Louis XVIII qui lui confia aussi le portefeuille de la police, mis de côté enfin comme le méritait un homme sans principe et sans conviction qui, toute sa vie, avait regardé le soleil levant, capable de toutes les bassesses et de toutes les trahisons, mais habile à connaître les hommes de sa trempe, instrument utile du pouvoir qui ne craignait pas de se l'attacher, tel fut Fouché. Il mourut à Trieste, en 1820, riche à millions. Je ne sais trop pourquoi cet homme a mérité l'honneur de reposer sous les voûtes d'une cathédrale.


Le diocèse de Trieste fait partie de l'archidiocèse de Goritz, il n'a pas de séminaire. Pauvre diocèse, évêque pauvre, qui donnent peu et qui à leur tour ont besoin d'être assistés. Je recueillis à peine quelques florins pour mon église. Il me tardait de quitter une ville dans laquelle je ne pouvais qu’être à charge, et avec d'autant plus d'empressement, qu'en ce moment-là, il soufflait un vent violent, chaud comme le vent du désert, qui soulevait des nuages de poussière et qui faillit me jeter à la mer. Il me tardait de fouler la terre d'Italie dont la langue, plus intelligible pour moi et sœur de la mienne, devait me rappeler la patrie.

J'étais logé derrière la cathédrale, au couvent des Capucins. Ces chers religieux, auxquels je dois beaucoup, on se le rappelle, il m'en coûtait de les quitter; dans leur pauvreté, ils trouvaient encore les moyens d'être généreux envers leurs hôtes étrangers. Chez eux, on parlait italien. À Trieste, la population est italienne en majeure partie. La plupart des noms des rues sont italiens. Toute cette côte de l'Adriatique, quoique appartenant à l'Autriche, parle italien. Le bon Padre Guardiano était heureux de me recevoir et de me garder tout le temps qui me serait nécessaire.

Le Miramar. Photo prise vers 1900. Source : Library of Congress, Prints and Photographs Division, LC-USZ62-103402J'avais pris pour cicerone dans mes courses en ville et sur le port, un charmant enfant qui parlait l'italien à ravir. Nous nous promenions le soir sur les bords de la mer, tandis que le soleil se couchait à l'horizon, derrière les lagunes de la grande Venise. Des voiliers, des bateaux à vapeur passaient au large; la flottillle des pêcheurs, voile blanche déployée, partait pour la pêche de la nuit; la côte élevée du nord fermant le fond de l'Adriatique, brillait d'un reflet d'or sous les feux du soleil couchant. Nous étions au pied de la statue de l'empereur Maximilien, dont l'œil de bronze regardait au loin un point fixe qui s'élevait comme un promontoire dominant l'immensité des flots. Je demandai à mon jeune compagnon le nom du site que le regard et la main de la statue semblaient indiquer : – Il castello di Miramare, signore, c'est le château de Miramar, Monsieur ! – Miramar ! C'était toute une révélation. En langue italienne, Miramar veut dire qui regarde la mer. Le site est admirable. Le ciel bleu, les flots bleus, la vigne et l'olivier qui se mirent dans les ondes, la sombre végétation qui couronne ces rives escarpées, tout est saisissant. Le château près duquel passe le chemin de fer de Goritz serait plutôt une gracieuse villa, avec sa tourelle carrée et crénelée qui avance sur les flots. C'était une demeure enchantée qu'animait autrefois le bruit des fêtes, avant les gloires éphémères de la cour de Mexico, si prématurément effacées par le drame sanglant de Quaretaro. Le château était vide; qui eût osé l'habiter après une si grande infortune ? Ses bosquets et ses jardins étaient silencieux; la petite cour d'un brillant archiduc d'Autriche n'en réveillait plus les échos. La gracieuse archiduchesse, devenue impératrice, a laissé à travers l'océan les débris de sa raison qui ne s'est plus retrouvée, ni dans la royale demeure de Laeken près de son auguste frère le roi des Belges, ni sur les bords du bleu Danube, ni sur les rivages étincelants de l'Adriatique. L'Écriture dit que les rois sont souverainement malheureux ! D'autres ont dit : que de larmes n'y a-t-il pas sous la paupière des grands ! La raison ! elle est fragile, on la perdrait à moins. Les cours de l'Europe ont gémi des malheurs de Maximilien, et leurs échos retentissent encore des plaintes incohérentes de l'infortunée Charlotte devenue folle après tant de poignantes douleurs. Ce fut là une grande responsabilité à l'actif du second empire, elle n'a pas peu contribué peut-être à nos derniers désastres. – Quand le lendemain, je passai devant Miramar, je m'inclinai devant cette gracieuse et silencieuse villa, et je saluai avec un saint respect le souvenir de malheurs immérités, imputables, peut-être, à ma patrie. Une heure après j'étais à Goritz.

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