L'usage profane du tabac chez les Amérindiens
L'usage du tabac est très ancien. On s'entend généralement pour dire que sa domestication remonte à quelque 8000 ans, ce qui en fait l'une des premières plantes à être domestiquée. Chez les Autochtones de l'Amérique du Nord, le tabac revêtait des propriétés sacrées, magiques. On l'utilisait pour établir des «ponts» entre le monde des hommes et celui des esprits. Pour ce faire, on le mâchait, on l'infusait, on l'inhalait ou encore on le prisait. Plus particulièrement, chez les nations amérindiennes qui vivaient sur les territoires qui deviendront éventuellement ceux du Québec, des Maritimes et de la Nouvelle-Angleterre, on le fumait à l'aide d'une pipe, généralement faite de pierre ou d'argile. Afin d'en améliorer le goût ou encore pour l'économiser – parce qu'il était rare dans les régions où on ne le cultivait pas –, le tabac était très souvent mêlé à d'autres substances végétales telle que l'écorce.
En dépouillant les témoignages des voyageurs européens des XVIe et XVIIe siècles, Sylvie Savoie s'est aperçue que les Amérindiens reconnaissaient cinq principaux usages au tabac. Séchées ou fumées, les feuilles de tabac servaient d'offrande aux dieux ou de «véhicule» aux prières, la fumée transportant les requêtes d'ici-bas vers l'au-delà. Jetées dans l'eau, les feuilles de tabac pouvaient également servir à apaiser les esprits ou encore à calmer Mère Nature. On utilisait aussi le tabac dans le traitement des maladies, notamment pour soulager des piqûres d'insectes et éloigner la fatigue ou les maux de dents. On s'en servait par ailleurs lors de certaines pratiques cérémonielles, par exemple en guise de cadeau pour consoler les parents d'un défunt. Finalement, le tabac pouvait être offert à des dignitaires lors d'occasions spéciales ou servir à sceller une alliance ou une affaire, comme lorsqu'on utilisait le calumet de paix.
Traité du tabac. Barthélemy Vincent, Lyon 1626. © National Library of Medicine, U.S.A.
Séchage et autres étapes de la préparation du tabac chez les Amérindiens,
Un usage profane?
Dans chacun de ces cas, l'usage du tabac procédait d'un rituel. La plante revêtait des vertus sacrées. Peut-on imaginer qu'il existait, en marge de ces pratiques, un usage désacralisé, profane? C'est ce qu'a voulu savoir Sylvie Savoie. Il semble que les Amérindiens appréciaient le goût du tabac et l'odeur de la fumée. «Le tabac les tenait au chaud, les réconfortait, coupait leur faim, éveillait leur esprit, indique l'historienne. Pour bien des voyageurs blancs de l'époque, le tabac était aux Amérindiens ce que la bière et le vin étaient aux Européens.» Comme le précise Sylvie Savoie : «On présente généralement une période, précédant l'arrivée des Blancs, où l'usage du tabac était strictement limité aux cérémonies. Ce n'est pas tout à fait juste puisque déjà, selon les témoignages, l'utilisation rituelle du tabac côtoyait son usage sur une base plus quotidienne. Il reste toutefois que l'usage désacralisé se répandra avec l'accessibilité plus grande au tabac, celle-ci coïncidant avec sa présence en grande quantité dans les marchandises européennes.»
À l'heure actuelle, l'historienne n'a étudié que les témoignages écrits des Européens, des sources d'une grande richesse, mais qui demeurent partielles et partiales. Au cours des prochains mois, elle entend regarder du côté de l'histoire orale pour mieux comprendre le rapport qu'entretenaient les Amérindiens à l'égard du tabac. Sylvie Savoie continuera de mener en parallèle ses autres travaux. Chargée de cours au Département d'histoire et de sciences politiques depuis une douzaine d'années, elle travaille à plusieurs projets d'histoire amérindienne, dont un site Internet consacré aux Autochtones de 1500 à nos jours, financé notamment par le ministère de l'Éducation du Québec. La spécialiste des études autochtones a par ailleurs dirigé le plus récent numéro de la revue Recherches amérindiennes au Québec, qui porte sur les Abénakis.
Un colloque riche en réflexions
Au total, plus d'une vingtaine d'universitaires de provenances et d'horizons divers (archéologie, histoire, théologie, anthropologie et droit) ont présenté les résultats de leurs travaux dans le cadre de ce premier colloque sur la Transformation historique des systèmes religieux amérindiens. Un colloque qui visait, comme l'indique Claude Gélinas, professeur à la FATEP et principal organisateur de l'événement, «à brosser un portrait général et multidisciplinaire de la façon dont les religions amérindiennes se sont transformées au cours de l'histoire, depuis les religions «traditionnelles» de la préhistoire en passant par l'acculturation religieuse et les conversions de l'époque coloniale, jusqu'au renouveau spirituel actuel». Le mandat était large. Il embrassait l'ensemble des Amériques, de la période précolombienne à aujourd'hui.
Parmi les participants, on trouvait aussi des Amérindiens. Le chef régional de l'Assemblée des Premières Nations du Québec, Ghislain Picard, a souligné l'importance d'un tel événement à un moment où certaines nations amérindiennes semblent faire face à un cul-de-sac en matière spirituelle, dans la mesure où les membres connaissent de moins en moins leur histoire et se voient forcés d'emprunter aux autres nations. L'Abénakis Michael Benedict a quant à lui montré comment il a acquis raison et équilibre au contact de son dieu. L'Attikamek Charles Coocoo a offert une présentation sur la tradition et le Nouvel Âge dans les mouvements d'affirmation culturelle autochtone, et Carmen Petiquay a livré un témoignage sur le rôle de la spiritualité dans la guérison des autochtones aux prises avec des dépendances.