Un avenir cohérent

Vercors

En 1965, dans le cadre des Entretiens de Genève, eut lieu un colloque mémorable intitulé Le robot, la bête et l'homme. Entre autres, Jacques Monod, Ernest Ansermet, Vercors, Roger Caillois, le R.P. Henri Niel figuraient parmi les conférenciers. La variété, la qualité et la pertinence des positions adoptées nous autorisent à considérer ce colloque comme l'événement intellectuel fondateur de l'ère du numérique.

Voici un extrait de  la conférence de Vercors assorti d'un lien vers le site Les classiques des sciences sociales, lequel a assuré la numérisation des actes du colloque.

«Il s’est passé qu’en s’enfermant, nolens volens, dans sa spécialité, l'homme a perdu de vue l’ensemble du but poursuivi, qui est la Connaissance. Car la Connaissance, ce n’est pas de parvenir à résoudre tel problème technique ou théorique excessivement ardu : c’est de parvenir à savoir, en fin de compte, ce que l’homme fait sur la terre, la terre dans l’univers et l’univers dans le néant. Et bien entendu que pour y parvenir, à cette Connaissance-là, il faut d’abord résoudre un à un tous les problèmes particuliers ; seulement ce doit être sans perdre de vue qu’elle ne pourra être le fruit que d’une sorte d’intégration de toutes les petites et grandes connaissances amassées au cours des siècles passés et futurs. Mais une pareille intégration ne sera possible que si, entre tant de découvertes disparates, s’est établi et si demeure une liaison puissante. Le danger réside actuellement dans les difficultés considérables que rencontrent les chercheurs dans leurs domaines respectifs, difficultés qui les enferment chacun dans leur île, au point qu’ils en perdent peu à peu un langage commun, qu’ils ne peuvent presque plus se comprendre d’une île à l’autre, serait-ce dans le seul archipel des hautes mathématiques. Si cela devait continuer, les sciences et notre vie pourraient bien ressembler un jour au travail millénaire et vain des fourmilières tournant à vide, au sein desquelles rien de nouveau ne peut plus apparaître depuis l’époque précambrienne.

L’art est notre assurance contre une pareille menace. Tant qu’il restera des artistes, des peintres, des musiciens, des poètes passionnés par le besoin de créer, et des millions de gens pour s’émouvoir de leurs créations, ce sera le témoignage que l’espèce humaine n’abandonne pas la passion de connaître et de communier, qu’elle ne succombe pas au péril de s’abandonner à d’illusoires victoires techniques, à un confort endormeur sans espoir et sans but. Tant que de la beauté sera multipliée et que ses harmonies viendront rappeler à l’esprit humain l’existence de vérités profondes que les sciences sont chargées d’intégrer dans une vérité totale, les arts demeureront, pour une science qui s’assoupirait sur des lauriers trompeurs, une sorte de sonnette d’alarme. Qu’on nous permette de terminer cet exposé sur cet hommage rendu à l’activité humaine qui, dans l’hiver nocturne de l’ignorance où nous vivons encore, s’est montrée, depuis les premiers âges, l’annonciatrice que le printemps était possible. »

Source et suite

Il s’est passé qu’en s’enfermant, nolens volens, dans sa spécialité, l'homme a perdu de vue l’ensemble du but poursuivi, qui est la Connaissance. Car la Connaissance, ce n’est pas de parvenir à résoudre tel problème technique ou théorique excessivement ardu : c’est de parvenir à savoir, en fin de compte, ce que l’homme fait sur la terre, la terre dans l’univers et l’univers dans le néant. Et bien entendu que pour y parvenir, à cette Connaissance-là, il faut d’abord résoudre un à un tous les problèmes particuliers ; seulement ce doit être sans perdre de vue qu’elle ne pourra être le fruit que d’une sorte d’intégration de toutes les petites et grandes connaissances amassées au cours des siècles passés et futurs. Mais une pareille intégration ne sera possible que si, entre tant de découvertes disparates, s’est établi et si demeure une liaison puissante. Le danger réside actuellement dans les difficultés considérables que rencontrent les chercheurs dans leurs domaines respectifs, difficultés qui les enferment chacun dans leur île, au point qu’ils en perdent peu à peu un langage commun, qu’ils ne peuvent presque plus se comprendre d’une île à l’autre, serait-ce dans le seul archipel des hautes mathématiques. Si cela devait continuer, les sciences et notre vie pourraient bien ressembler un jour au travail millénaire et vain des fourmilières tournant à vide, au sein desquelles rien de nouveau ne peut plus apparaître depuis l’époque précambrienne.


L’art est notre assurance contre une pareille menace. Tant qu’il restera des artistes, des peintres, des musiciens, des poètes passionnés par le besoin de créer, et des millions de gens pour s’émouvoir de leurs créations, ce sera le témoignage que l’espèce humaine n’abandonne pas la passion de connaître et de communier, qu’elle ne succombe pas au péril de s’abandonner à d’illusoires victoires techniques, à un confort endormeur sans espoir et sans but. Tant que de la beauté sera multipliée et que ses harmonies viendront rappeler à l’esprit humain l’existence de vérités profondes que les sciences sont chargées d’intégrer dans une vérité totale, les arts demeureront, pour une science qui s’assoupirait sur des lauriers trompeurs, une sorte de sonnette d’alarme. Qu’on nous permette de terminer cet exposé sur cet hommage rendu à l’activité humaine qui, dans l’hiver nocturne de l’ignorance où nous vivons encore, s’est montrée, depuis les premiers âges, l’annonciatrice que le printemps était possible. 

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