Je demande pardon aux pauvres cochons
Texte publié en guise de préface au premier tome de Quatre ans de captivité à Cochons-sur-Marne (juillet 1900- avril 1904), Paris, Mercure de France, 1905. Le texte constituait l'épilogue de Léon Bloy devant les cochons, Paris, Chamuel, 1894.
Je demande pardon aux pauvres cochons – à ceux-là qui marchent sur quatre pieds, qui sont innocents, qui sont beaux, qui sont bienfaisants, qui sont chez les charcutiers et que déshonore avec injustice le langage humain.
Je demande pardon à ces humbles frères de les avoir – par indigence d’imagination ou pénurie de vocables – assimilés irrévérencieusement à une catégorie d’animaux puants dont la plus savante industrie des viandes serait inhabile à utiliser le moindre morceau.
Pauvres chers cochons! de qui les boudins et l’honnête lard furent l’aliment de ma jeunesse, dont la tête me parut, à dix-huit ans, le plus désirable des fromages, et qui me consolâtes si souvent par la succulence de vos pieds grillés dans la chapelure;
O cochons! si aimables quand on vous fume; pélicans de l’adolescence littéraire; vous que les poètes ont le devoir de chanter sous les lauriers dont ils vous dépouillent;
Je vous prie de me pardonner.