Les deux intelligences les plus opposées du grand siècle
(*) avaient eu jadis, à Paris, quelques-uns de ces rapports fortuits qui constituent plus tard une sorte de liaison; l'auteur de l'
Enéide travestie s'était même pris d'une admiration sincère pour le peintre des
Bergers d`Arcadie, et cependant, si quelque chose peut donner une idée juste des goûts du Poussin en matière de pure littérature, c'est la répugnance invincible que le peintre sublime manifesta toujours à l'égard de l'oeuvre du poète. Le chef de l'école burlesque, au contraire, humilia son esprit et le ploya à une respectueuse déférence, lorsqu'il sollicita du Poussin quelques-uns de ses ouvrages; mais jamais, quoi qu'il pût dire, I'admirateur passionné de
Virgile ne sut oublier l'outrage fait à son maître. En effet, il suffit de lire les lettres si simples et si sincères dans lesquelles Poussin s'adresse aux protecteurs dont il s'est fait des amis pour voir que toutes ses sympathies littéraires se partagent entre deux oeuvres de l'antiquité : la Bible et Virgile sont les deux sources où son âme se vivifie.
Homère sans doute n'est pas écarté, mais son influence ne se révèle que par des reflets, et grâce à la faveur du poète romain. – L'
Enéide, on peut le dire, a été l'éternelle étude du Poussin; il n'est pas de secret qu'il n'ait tenté de pénétrer en cherchant à se rendre compte de la structure du poème, et même de combinaisons de style qu'il n'ait scrutées. Selon lui, l'ordonnance des belles compositions de Virgile procède d'abord d'un premier élan du génie; puis une attention plus studieuse lui a fait découvrir l'
harmonie du rythme et ses combinaisons variées. Chose étrange ! il aspire, pour les reproduire sur la toile, à connaître les secrets rythmiques d'où «procède la puissance d'induire l'âme à certaines passions». Il se promet quelque part de peindre un sujet dans le mode phrygien; puis il revient naturellement à son poète favori, pour obtenir de lui sur ce point de nouveaux enseignements : «Virgile surtout, dit-il, s'est montré dans tous ses poèmes grand observateur de cette partie, et il y est tellement éminent que souvent il semble, par le son seul des mots, mettre devant les yeux les choses qu'il décrit. S'il parle de l'amour, c'est avec des paroles si artificieusement choisies, qu'il en résulte une harmonie». Cette harmonie secrète, pure essence, il la gardait en son âme comme un dépôt sacré, et c'est pour cela qu'on remarque, dans plusieurs de ses phrases, une sorte de dédain pour l'auteur de
l'Enéide travestie.
(*) Scarron et Poussin.